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A la recherche de la femme idéale

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Jamais travail précaire n’avait été aussi élitiste. À tel point que je dus amputer de beaucoup mon curriculum vitae pour parvenir enfin à un rendez-vous d’embauche. Exit mes Masters qui laissaient place à un unique BEPC. Mon management à Saint-Gobain se muait en « chef de rayon-caissier-balayeur-smicard – non syndiqué » de chez Aldi. Mon plan de délocalisation réussi à l’ile Maurice et en Inde de la firme qui m’employait précédemment, se traduisit par technicien de surface affecté à la voirie d’une mairie low cost « qui faisait avec les moyens du bord ». Quant au hobby, je me dessaisissais de mes clubs de golfs pour faire valoir mes sorties qu’organisait ma maison de quartier. Les visites du parc Saint Paul ou encore du zoo de Vincennes ne manqueraient certainement pas d’interpeller mes futurs recruteurs.

Sans ces légères falsifications, je me serais heurté à l’impitoyable loi de Parkinson pour le poste que je souhaitais occuper, au vu de mes compétences professionnelles. Il me fallait ce job. À tout prix. Il en était de ma survie génétique et patrimoniale. Et rien ne pouvait se mettre au travers de ma route. Pour y parvenir, je devais devenir caissier dans une grande surface, soirs et week-end de préférence.

Perfectionniste jusqu’au bout de mes ongles manucurés (qu’il conviendrait de rogner sans états d’âme), je m’étais fait donner des cours particuliers par Sandrine, ma sœur cadette, qui s’était entichée d’un toquard qui jouait leurs prestations familiales aux Paris Mutuels urbains. Sa maigre paye s’évaporait comme son amour propre, au tripot de chez Abdelkader sis à l’angle de la rue Gambetta et Jaurès, promettant à Sandrine de finir par conjurer la roue de l’infortune. Ma diction fut disloquée comme son époux faisait sauter les Neiman, mes habitudes vestimentaires, lourdement corrigées au marché local. Enfin je m’entraînais au fast-food du coin, à m’empiffrer de burgers : trente minutes chrono ! Sans perdre une miette des infos qui passaient en boucle sur le bandeau en bas de l’écran de BFMTV, afin de pouvoir rapporter ma science à la machine à café. Le cours de la bourse avait été remisé dans les oubliettes de mon ancienne vie. J’avais gratifié Sandrine de quelques billets qui seraient placés sur « cœur de nuage » dans la 7ème à Longchamp, contre l’assurance de ne rien dire à notre mère de mon entreprise, qu’elle n’aurait résolument pas comprise. Son unique fils devait rester à ses yeux comme l’un des plus notables hommes d’affaires de la capitale.

À force d’efforts soutenus, c’est en sportif de haut niveau que je venais de décrocher une énième victoire dans ma réussite professionnelle. Celle d’incarner la flotte des caissiers d’un des nombreux temples de la consommation qui redonnait du sens et du pouvoir aux menues monnaies en survivance. Je n’étais pas peu fier de cet exploit, tant la parité ne semblait pas de mise en ce domaine. J’allais enfin pouvoir espérer m’accomplir dans la vie. Ma femme idéale se trouverait là, je le savais, quelque part dans les défilés des caisses qui se succéderaient. Je la voyais active, d’où mes horaires tant prisés. Elle serait simple d’où sa venue au centre commercial plutôt que dans les boutiques de luxes, qui drapaient les Bimbos écervelées. Je la sélectionnerai à partir du contenu de son caddie : « dis-moi ce que tu consommes et je te dirais qui tu es » était mon leitmotiv. Il n’y a que dans l’acte d’achat compulsif que je saurais démasquer la mégère de moins de cinquante ans, de la femme de ma vie. C’est le cœur authentique de son ticket de caisse qui ferait se précipiter le battement de mon code-barre. Mon sourire séducteur la remercierait d’être venue jusqu’à moi et sa beauté, scellerait notre union. J’imaginais déjà la layette Armani et les couches Vuitton du fruit de notre amour, juste pour claquer l’inutilité de mes placements, l’immobilisme de mes sentiments avant cette rencontre qui changerait le cours de ma vie, lui donnerai enfin une consistance digne de mon plus grand intérêt.

C’est donc les rêves plein le tapis roulant que je commençais mon opération Caddie. Je m’étais promis de ne pas lever la tête afin de ne pas être influencé par le physique qui aurait rapidement eu raison de ma démarche amoureuse. La clientèle voyait en cette attitude un zèle bienvenu pour amoindrir leur temps d’attente. J’optimisais pour ma part par presque deux les passages en caisse, et va sans dire le contentement de mes supérieurs. J’usais de toute ma sagacité pour démêler le profil psychologique de mes prétendantes.

Ainsi la multiplicité des produits d’entretien me laissait entrevoir le caractère maniaque de l’une qui n’hésiterait pas une seconde à m’affubler de patins, au lieu de m’en rouler langoureusement dans le canapé. Je ne me sentais absolument pas l’âme d’un guerrier antibactérien. La fée du logis ayant certainement remisée la fée lation dans le placard à chaussures, car de tels actes voyez-vous, seraient crottés par la honte.

De même, tout ce qui portait sur l’ensemble des emballages des images juvéniles était expressément écarté d’un revers de la main. Non pas que je souhaitais trouver une femme vierge d’histoire, mais la marque d’une idolâtrie de l’enfant roi, qui était tout disposé à en découdre avec moi, ne pouvait avoir raison de mes projets de bonheur. Un garçon me promettait une pathétique lutte de couilles afin de ne pas perdre les privilèges qu’il détenait de sa vassale mère. Cette dernière confondant encore fils, et mari qui s’était carapaté. Une fille quant à elle, me rendrait responsable du départ de son bien aimé paternel, avec toute l’artillerie qui visait à torpiller le remplaçant de l’homme de sa vie. Exit donc, les affligeantes séquences œdipiennes et de façon plus globales les emmerdes en culottes courtes…

Les 100 % bios, régimes minceur, serial stockeuses ou soldeuses, bling bling en cartes fidélités ne trouvaient pas plus le chemin de mes aspirations. L’assurance d’être confronté au diktat de l’apparence, de la moralité ou bien pire, à la balade des dimanches et jours fériés dans le dédale des convoitises assumées. Profusion de grandes enseignes me fichait le tournis. Les slogans se foutant ouvertement de la gueule du pauvre type. Je l’imaginais qui serre les dents en écoutant brailler le plus tordu des Jingles : « Heureusement, Ikéa est là… » Bob le bricoleur est le pendant de Barbie fait la bouffe, qu’on se le dise.

Le tapis roulant qui déroulait sous mes yeux ébahis ressemblait à un lâcher de ballons en forme de cœur. Force était de constater que par exigence, j’avais fini par prendre place sur le pas de tir pour m’adonner à un ball-trap sans concession. Cette mécanique du like followisé ou unfollowisé à outrance me rendait incroyablement avide d’amour, tout en me plongeant dans une indicible solitude qui me murmurait aliénante : « nulle âme ne correspondra jamais à tes attentes ». Notre génération avait enfanté d’êtres seuls, mais ensemble.

Contre toute attente, c’est au cours du second mois que je m’étais donné pour réussir ma quête amoureuse, que défila entre mes mains l’ensemble de mes attentes qui évoquait en moi des émotions intimes et rassurantes. Des saveurs que je m’imaginais déjà partager avec elle. L’idéal n’était donc pas fantasmé. Les produits ménagers étaient un alliage de senteurs, qui me promettait un halo de légèreté dans notre nid d’amour à venir. Quelques vieux films en noir et blanc, des années où le cinéma faisait palpiter le cœur, où la performance des acteurs n’était pas liée aux effets spéciaux. Quelques très bons bouquins qui contenaient la quintessence des images et des langages révolus. Tête baissée, je bipais avec frénésie les délices et plaisirs, qui se succédaient sans aucun défaut. Les produits de beauté sélectionnés me laissaient présager une féminité raffinée, ramenée à sa simplicité la plus authentique et enivrante. Des bougies sobres promettaient des tête-à-tête de totale délectation, elle, moi, nous embrassant avec une passion sexuelle débridée à son maximum. L’érection me gagnait dans ce défilé d’excellence. Et puis c’en fut trop : les dessous affriolants que j’imaginais ruisseler de cyprine, les courants tumultueux, m’accueillant tout entier. Je retournais la dentelle dans mes mains tremblantes à la recherche du code-barre, dans ma manipulation fiévreuse, c’est tout son corps que je m’imaginais explorer et caresser. Tous mes coups de reins dans l’accélération des bips intensifs, dont je la possédais passionnément… jusqu’au total à payer qui me permettait enfin de prendre connaissance du visage de la seule femme que je saurais aimer dans ma chienne de vie. Nos regards se fixèrent, il y’avait toute la lubricité dans le mien ; le sien se déroba en une instantanée chute dans les pommes. Les gens de la sécurité accoururent, m’enquièrent sur ce qui venait de se passer.

Je ne pus que balbutier « oups, ma vie est fichue ». Pendant qu’un la ranimait, l’autre n’y comprenant rien s’approcha empathique, en m’affirmant que je n’étais pas responsable du malaise. Je n’eus pas la force de lui dire que ma mère se tenait là…


Publié le 11/03/2023 / 12 lectures
Commentaires
Publié le 11/03/2023
L'idée est bien, singulière, drôle ! Mon passage préféré est largement le paragraphe où un parallèle est fait entre l'encodage des prix et le coït. L'orgasme aurait pu tomber avec le prix total. Très drôle ! ;-)
Publié le 19/03/2023
Cela ne m'étonne pas ;-) merci pour ta lecture.
Publié le 11/03/2023
Quel texte! J’ai ri du début à la fin et je ne m’attendais pas à cette chute.. C’est vrai qu’on n’imagine pas tout ce qui est révélé de nous, lorsqu’on fait nos emplettes au Monoprix. A l’avenir, je ferai attention aux produits d’entretien que j’achète, on ne sait jamais…:-))
Publié le 19/03/2023
Lorsque j'ai écrit ce texte complètement fictif, je souhaitais surtout faire une accumulation de stéréotypes pour montrer à quel point ils peuvent être féroce. Cette chute oedipienne permet aussi de compléter la galerie de stéréotypes et il est vrai que j'ai écrit tout le texte pour distraire suffisamment les lectrices et lecteurs pour que la surprise de la chute soit totale. Mais je suis tout de même d'accord avec l'adage "dis-moi ce que tu consommes et je te dirais qui tu es"... Merci Evelyne pour ton retour.
Publié le 11/03/2023
C'est rondement mené , et le tapis se déroule admirablement jusqu'à la chute (aie !) délicieuse. Merci Léo. J'ai adoré toutes ces petites phrases , comme "Sa maigre paye s’évaporait comme son amour propre, au tripot de chez Abdelkader sis à l’angle de la rue Gambetta et Jaurès, promettant à Sandrine de finir par conjurer la roue de l’infortune.", "C’est le cœur authentique de son ticket de caisse qui ferait se précipiter le battement de mon code-barre.", "La fée du logis ayant certainement remisée la fée lation dans le placard à chaussures, car de tels actes voyez-vous, seraient crottés par la honte" et tout le reste :-)).
Publié le 19/03/2023
Merci Jean-Luc, ma seule obsession était de prendre tout le monde à contrepied sur une chute inattendue et il est vrai que pour ce faire j'ai mis le paquet sur les "punchlines" pour distraire lectrices et lecteurs afin de leur réserver la plus drôle des surprises finales. A plus tard.
Publié le 10/10/2024
Je découvre ce texte tardivement et c’est très amusant cette chute de l’histoire qui chute dans dans les pommes. On imagine l’effet qu’aurait pu provoquer un ticket de caisse avec 80 euros pile: apoplexie côté caisse? Ce qui est encore plus intéressant c’est que les deux éléments sont tout à fait réalistes pris isolément. La surqualification et les accostages au rayon primeur pour pot au feu sont deux absurdités contemporaines.
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