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Le jeune homme aux allumettes

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Ce texte participe à l'activité : Un conte de Noël surprenant

 

Ses paupières se ferment en ce 24 décembre au soir. À la façon des rideaux de fer, elles annoncent la fin de son rêve. Devanture en berne, inéluctablement. Des gens pressés, un bus à prendre, ne pas être en retard pour le souper. L’hiver a pris la relève, parsemant de milliards de flocons les rues grises des villes. Il n’y a guère plus que les saisons que les hommes ont décidé de combattre. Les rues se vident, laissant place au ballet inquiétant de spectres, enchaînés de leurs espoirs déchus. Ses doux souvenirs lui reviennent en boulets de canon démâtant sa lutte intérieure.

 

Il se remémore des posters de super héros qui tapissaient son univers d’enfant, qui l’invitaient à l’exploit. De ses jouets éparpillés, orphelins le temps d’une nuit de sa créativité débordante. Emmitouflé dans sa couette, il comptait les pas de sa maman, traversant la chambrée sous les regards émus de ses fidèles peluches. Elle les sondait d’un ton inquisiteur "mais où est donc passé mon petit garçon ?". Il était évident que ses fidèles compagnons ne le dénonceraient pas, les adultes sont parfois bien naïfs. Il se les imaginait tous sourires, jubilant que sa cachette ne fût pas encore découverte…

 

Elle chantonnait avec douceur le compte à rebours qui signifiait que les investigations s’intensifiaient « Il était un petit homme, pirouette, cacahuète. Il était un petit homme, qui avait une drôle de maison, qui avait une drôle de maison ».

 

À la fin de ce rituel qu’il aimait tout particulièrement, après que sa mère eut consulté madame l’armoire, peu loquace, et monsieur le coffre à jouets, bougon comme à son habitude, elle relevait la couette et y trouvait sa précieuse créature. Il lovait alors de ses petits bras le cou de sa maman, déterminé à faire le plein d’amour pour le long voyage qu’il allait entreprendre au pays des songes.

"L’avenir t’appartient…" lui murmurait-elle au creux de l’oreille, avant de déposer son baiser protecteur qui chassait toutes ses appréhensions. Quand sa maman se retirait à pas feutré, il se signait. Il collectait ce doux baiser sur son front « au nom de ma mère » puis le ramenait sur son cœur : « de son fils », joignait ses mains « de notre Saint-Esprit » et les embrassaient « ainsi soit-il… » en serrant fort les paupières pour contenir le plus longtemps possible ses vœux bienheureux. 

 

Seize années avaient passé et la sainte femme n’était plus. Foudroyée par la maladie dans le mépris le plus total de son compagnon d’infortune, qui l’avait détruite à petit feu, avant de chasser le jeune homme, livré aux errances de la rue, accablé de chagrin. Il avait pensé mourir à son tour bien des fois mais la cruauté ne méritait pas aussi belle offrande. « L’avenir lui appartenait », se répétait-il dans l’espoir de conjurer le mauvais sort. Il y en aura bien d'autres des soirées chaleureuses, des êtres sur qui compter et partager de nouveaux moments précieux, des soirs pour s'offrir, plus que des cadeaux, des instants heureux avec les personnes qui compteront dans son cœur et au plus profond de son âme. 

 

Une larme dégringole sur sa pommette en cette funeste soirée de Noël pétrie de solitude. Il se désagrège de tristesse sur sa couche. Les poings serrés, il remonte sa couverture comme un condamné s’agripperait à sa vie, puis se retourne comme le destin l’a fait voilà maintenant deux ans. À travers l’opercule, l’hiver ricane sous son nez, le fouette de tout son cynisme, le mord de ses incisives moqueuses, qui l’assaillent par milliers. Il se saisit de la boîte d’allumettes et l’inspecte à plusieurs reprises, comme si ses ouvertures successives en changeraient le contenu. Elles n’étaient plus que deux, désespérément convoitées. D’un geste maladroit il essaye de craquer la première, puis une seconde fois en vain. Il n’en tirera plus aucun usage et il se maudit de tant de maladresse. Il se saisit de la seconde avec plus de concentration ; il respire profondément pour ne pas manquer une ultime chance de bénéficier d’un peu de lumière et d’un peu de chaleur. Le mouvement est cette fois ferme, assuré et l’odeur du souffre couronne cette nouvelle tentative. Il regarde la flamme avec beaucoup de gratitude, ferme les yeux et formule des vœux insensés qui se bousculent pour l’étreindre et lui offrir de nouvelles chances. C’est la cohue, il n’a même pas senti la flamme brûler sa chaire avant de s’éteindre. Il est au cœur d’un nouveau sacre, dont ses sujets sont autant d’espoirs qui acclament leur nouveau roi, celui-là même que sa mère lui promettait de devenir. Il sourit, délire encore un instant et s’endort, épuisé du sommeil du juste. 

Une lumière bleutée le réveille, l’agitation alentour est à son comble. En contreplongée, il distingue deux masses sombres qui s’abattent sur lui. Il les esquive à toute berzingue. Ils se croisent sans se remarquer. Apeuré il s’immobilise, les regarde s’agenouiller en avec beaucoup d’agitation, puis se saisir d’une carte qu’ils décryptent…

 

Une voix lui confirme ce qu’ils pressent désormais et qu’il contemple dubitatif "Ici alpha Sierra, l’individu se prénomme Mathieu Drumme, 21 ans, SDF, emporté par le froid la nuit de Noël...".

 

 

 


Publié le 23/12/2024 / 37 lectures
Commentaires
Publié le 23/12/2024
Triste réalité si bien relatée. Inspiré d'un conte d'Andersen. En ces temps de festivités, ne pas oublier. Merci Léo !
Publié le 25/12/2024
Merci Sophiak pour ton retour, chaque année la rue tue et il ne faut effectivement pas le banaliser.
Publié le 23/12/2024
Hello Léo! Merci pour ce conte de Noël. Le passage du souvenir de l’espoir à l’espoir présent (vision du sacre et la chaire) est très bien décrit. Je trouve la fin fantastique au double sens du terme. À partir « d’une lumière bleutée le réveille », un enfant peut s’exclamer « mais alors il n’est pas mort? » exclamation néanmoins démentie par la première phrase du texte. Merci beaucoup du partage !
Publié le 25/12/2024
Merci Myriam, j’ai améliorer et développer de l’existant afin de le faire correspondre aux attentes de l’exercice. Merci pour cet atelier.
Publié le 24/12/2024
Cela me rappelle un spectacle Les Naufragés d’après Le livre de Patrick Declerck. C'est triste. On reconnaît aussi ton style. ;-)
Publié le 25/12/2024
Une nouvelle référence que je ne connaissais pas et que je m’empresse de noter pour la suite de lon exploration littéraire. A plus tard.
Publié le 25/12/2024
C'est une réalité bien sombre qui est décrite avec justesse et émotion. Il ne faut pas oublier ceux qui n'ont pas la chance de fêter Noël dans de bonnes conditions.
Publié le 25/12/2024
Merci Lucie d’avoir accepté de recevoir l’émotion qu’il m’importait de partager pour traiter de cette thématique qui me tient à coeur.
Publié le 27/12/2024
Wow Léo J'adore ton écriture tour à tour joyeuse (souvenirs), et cruelle (réalité). J'ai aimé aussi particulièrement ce signe de croix si particulier La tristesse domine mais cette narration le demande. Ce qui est le plus triste finalement est Lle réalisme de cette histoire. Bravo à toi en tout cas
Publié le 28/12/2024
Merci Vicky pour ton retour et ta sensibilité. Oui le signe de la croix bien à lui qui place sa maman et l’amour au coeur de toutes les protections et espoirs. À l’image des dieux, les mamans devraient être immortelles. A plus tard ;-)
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