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Un aller sans retour (5)
Se taire, écouter, attendre

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André se promène dans les rues du bourg. Il voudrait que cette marche en touriste dans la ville où il a grandit et où il a passé sa jeunesse lui éclaircisse les idées. Finalement, il décide d’aller manger dans une brasserie et de se rendre au cinéma dans l’après-midi. Il appellera Alice en début de soirée, si elle travaille, il aura plus de chance de la trouver chez elle. Après le cinéma, il va dans une librairie en bord de Saône pour acheter deux romans policiers, ça ne lui demandera pas trop de concentration et ça lui permettra de se changer les idées en attendant le soir. Avant de rentrer, il passe également dans une supérette pour prendre des dosettes de café, des yaourts et des céréales pour le petit-déjeuner du lendemain ainsi que du jambon, des chips et des compotes pour un repas rapide le soir.

 

La fin de l’après-midi lui paraît s’éterniser. À dix-huit heures trente, il mange ce qu’il a acheté plus tôt et vers dix-neuf heures, n’y tenant plus, il appelle Alice. Après quatre sonneries, il s’apprête à raccrocher quand quelqu’un décroche. C’est une voix d’homme. Annick ne lui avait pas dit qu’Alice était mariée.

- Allô, dit-il en espagnol, une langue qu’il a apprise à l’école mais qu’il maîtrise mal, je suis un ami d’Alice, est-ce que je pourrais lui parler, s’il vous plaît ?

- Désolé, mais ce n’est pas possible pour le moment, nous sommes en train de faire la fermeture du café. Vous pouvez la rappeler d’ici une demi-heure, elle sera rentrée chez elle.

- Merci, dit André en raccrochant.

Il pense qu’il aurait dû acheter une bouteille de vin ou de la bière, que ça l’aurait aidé à patienter en attendant et que ça lui aurait donné du courage pour la conversation à venir. Il reste assis sur le canapé, le regard dans le vide et les bras ballants, il regarde sa montre toutes les cinq minutes et à dix-neuf heures trente tapantes, il refait le numéro sur le clavier de son téléphone. Visiblement, l’homme de tout à l’heure a prévenu Alice que quelqu’un l’avait appelée car elle décroche à la première sonnerie.

 

- Allô, qui êtes-vous ? demande-t-elle en espagnol. Il reconnaît tout de suite sa voix. Les mots se nouent dans sa gorge…

- Allô, c’est André. Bonsoir Alice, répond-t-il en français.

- André ? Mais comment m’as-tu retrouvée ? Comment as-tu eu mon numéro de téléphone ?

Il commence par lui dire qu’il fait partie d’une association et qu’il avait été amené un rendre un hommage à une femme qui portait le même prénom qu’elle. Il ajoute que toute cette période de sa jeunesse était alors remontée et qu’il voulait la revoir. Il raconte ensuite la rencontre avec Marie-Claude et celle avec Annick.

- C’est elle qui m’a donné ton numéro de téléphone contre la promesse que je n’insisterai pas si tu ne voulais pas me parler.

- Tu veux parler, alors parlons… oui… Annick, je me souviens, elle est passée ici en 2004. Elle faisait un road trip en Espagne avec son mari et ses enfants ; ils se sont arrêtés dans le village. Ils sont entrés dans le café où je travaille. Elle m’a regardée, elle m’a reconnue. Comme ils parlaient français, j’ai tout de suite compris que mon ancienne vie vient de faire irruption dans la nouvelle. Je lui avais donné mon numéro de téléphone mais elle ne m’a jamais rappelée.

- Elle m’a dit tout ça. Mais si je t’appelle, c’est parce que je veux en savoir plus…

- Qu’est-ce que tu veux savoir ?

 

- Tout,je veux tout savoir. Pourquoi tu es partie ? Pourquoi tu as disparue ? Qu’est-ce que tu es devenue ? Qu’est-ce que tu fais aujourd’hui ?

- Doucement, André, s’il te plaît, une chose à la fois. Je suis partie parce que je n’étais pas prête pour la vie bien rangée qui m’attendait, pour l’avenir qui se dessinait devant moi : trouver un travail avec le diplôme de l’école de commerce que j’avais obtenu l’été d’avant, t’épouser comme ma famille et toi l’espéraient, avoir des enfants avec toi. Je m’interrogeais sur le sens de ma vie et j’en arrivais à la conclusion qu’il n’y en avait pas.

- Tu aurais pu m’en parler. J’aurais compris, l’interrompt André. Mais partir comme ça, disparaître sans donner de nouvelles, je ne saisis toujours pas. Est-ce que tu imagines la la peine et l’inquiétude que tu as faites à ta famille, à tes amis et à moi.

Le ton de sa voix était monté au fur et à mesure qu’il prononçait cette dernière phrase.

- André, lui répond-t-elle calmement, je ne pouvais pas, je ne voulais pas qu’on me retrouve et après le temps a passé et je n’ai pas trouvé le courage de reprendre contact avec vous. Dans les années 70, c’était plus facile de disparaître sans laisser de traces, il n’y avait pas les localisations sur les téléphones portables comme aujourd’hui. Avant de partir, de m’enfuir, j’avais retiré tout ce que j’avais sur mon compte, 2000 francs mais ça tu le sais sans doute déjà. Après la frontière, j’ai jeté ma carte d’identité. J’ai vécu de petits boulots et j’ai économisé pour m’en faire faire une fausse, j’ai alors changer mon prénom en Alicia et j’ai choisi le nom de Perez. Je me suis installée en Espagne où Franco avait quitté le pouvoir quelques années auparavant. J’avais appris l’espagnol au lycée et j’étais partie un été en immersion, je maîtrisais suffisamment bien la langue pour espérer m’insérer sans heurt. Environ six mois après, j’ai écrit un mot à mes parents « Je vais bien, ne vous en faites pas. Alice » mais je ne l’ai jamais postée.

- Mais ensuite ? Pourquoi ce silence pendant toutes ces années ?

- Au début, c’était difficile, je me sentais très seule. J’ai fini par m’installer ici, à Isla. J’y ai décroché un boulot de serveuse et je vis dans un studio au-dessus du bar où je travaille. Le soir, je me promène au bord de l’eau, j’aime entendre mon cœur battre au rythme des vagues, il m’arrive parfois de penser à toi mais je ne regrette rien. Je ne regrette pas d’être partie. J’ai toujours gardé avec moi les clés de la maison de mes parents et les boucles d’oreilles que tu m’avais offertes en souvenir de mon ancienne vie mais je n’ai jamais souhaité revenir en arrière.

- Mais maintenant, tu pourrais reprendre contact avec eux, leur parler et même venir les voir.

- Je ne peux pas venir en France car on m’empêcherait de rentrer en Espagne et c’est là qu’est ma vie maintenant. Mais, si tu veux, tu peux venir en Espagne et je te promets qu’on pourra se retrouver et parler plus longuement.

- Je dois réfléchir. Est-ce que je peux te rappeler demain ?

- Oui, j’enregistre ton numéro, tu peux me rappeler en fin de matinée ou en début d’après-midi. Bon, maintenant il se fait tard, il faut que je prenne une douche et que j’aille me coucher. À demain, André.

- À demain, Alicia. Merci d’avoir accepté cette conversation.

Tous deux raccrochent. Comme elle vient de le dire à André, Alicia prend une douche puis va se coucher. Elle a du mal à s’endormir, elle est fière d’avoir pu s’expliquer à lui mais elle se demande si c’est une bonne idée de lui avoir proposé une rencontre. La fatigue de la journée et les émotions du soir finissent par la plonger dans un sommeil sans rêve mais sans cauchemar. Ce qu’elle redoutait depuis tant d’années venait d’arriver et pourtant son monde ne s’était pas effondré. Si André avait posé beaucoup de questions et s’était un peu emporté, il n’avait en rien été vindicatif ni menaçant.

Publié le 20/08/2025 / 4 lectures
Commentaires
Publié le 21/08/2025
Un face à face honnête et sincère. La raison explique mais qu’en est-il du coeur à présent ? Ce peut-il que ce qui n’était pas possible il y a tant d’années, le soit aujourd’hui ? Une nouvelle fois le plein de questions qui rythment l’intrigue et préserve tout l’intérêt qui lui est porté. A suivre, vivement la suite.
Publié le 22/08/2025
Est-il possible de réécrire son histoire ? Trente ans après ? Hâte d'en savoir plus. Nous courrons tous derrière le bonheur un peu comme André. Merci 🍀
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