T'emmener dans ma vieille voiture rouge.

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Ma très chère Martine,

 

 

J'aurais adoré venir te chercher un soir dans ma vieille voiture rouge. Bien habillé, rasé et parfumé, j'aurais sonné à la porte de la maison que ton mari et toi avez fait construire.

 

Vêtue d'un joli ensemble, tu aurais fini par apparaître sous le porche. Nous nous serions embrassés et je me serais rappelé l'odeur de ton corps. En nous dirigeant  vers ma voiture rouge sur l'allée pavée de ton jardin, je t'en aurais fait part. Tu t'en serais amusée, étonnée, incrédule. Je t'aurais ouvert la portière passager.

 

Nous aurions démarré et, à bord de ma voiture construite avant que les ceintures de sécurité existent, tu n'aurais pas manqué d'exprimer ton inquiétude, peut-être même ton regret d'avoir accepté d'embarquer avec moi.

 

Arrivés à destination, je me serais garé sur le parking du restaurant que tu aurais choisi et nous serions descendus. Je t'aurais proposé mon bras que tu aurais sans doute refusé et nous nous serions dirigés vers la porte d'entrée de l'établissement. Je serais entré, tu m'aurais suivi. Le maître d'hôtel serait venu à notre rencontre et il nous aurait demandé à quelle table nous souhaitions être installés, je t'aurais laissée décider.

 

Tu aurais peut-être demandé une eau plate ou pétillante pour commencer, j'aurais préféré un Apérol Spritz. Ce que tu aurais pris ensuite, je n'en ai aucune idée. Pour ma part, j'aurais commandé un poisson. Et pour le vin, si tu t'étais suffisamment sentie en confiance pour en partager une bouteille ou un pichet avec moi, nous nous serions laissés conseiller par le sommelier.

 

Petit à petit, tu te serais laissée aller à me parler de ton quotidien, de ta famille et surtout de tes petits enfants dont tu m'aurais montré des photos sur ton smartphone. Moi, j'aurais fait de mon mieux pour limiter mes allusions à nos amours d'adolescents, ne sachant pas si elles t'auraient irritée ou si elles t'auraient réchauffé le cœur. J'aurais bridé aussi le récit de ma vie chanceuse, j'aurais au moins essayé.

 

A la fin du repas, j'aurais posé mes couverts sur mon assiette, parallèlement, l'un à côté de l'autre, comme tu m'avais montré lorsque nous étions amoureux.

 

Nous n'aurions pas pris de dessert. Tu n'en aurais pas eu le temps. Tout de même il n'aurait pas fallu exagérer. Après mon café et ton déca, nous aurions repris la route pour te ramener chez vous. J'aurais presque réussi à me taire pour savourer mon sentiment, léger, absout, réhabilité. Peut-être nous serions-nous tournés l'un vers l'autre et nous serions-nous simplement souris.

 

Devant chez vous, j'aurais coupé le moteur, tirer le frein à main et nous serions immédiatement sortis de ma vieille voiture rouge. Je t'aurais rejointe et, debout, droit, face à toi, je t'aurais embrassée pour te dire adieu. J'aurais essayé de te serrer contre moi, sans obstacle ni malentendu, juste pour partager mon amitié unique et honnête. Mais je t'aurais sentie te raidir, je n'aurais pas insisté.

 

Alors, je serais retourné m'installer au volant en te faisant un dernier signe de la main, très heureux d'avoir existé une dernière fois pour toi, un peu rassuré de ne pas avoir été rien à tes yeux.

 

Mais ce moment ne se produira pas car à l'heure où tu lis cette lettre, je ne suis plus. Je n'aurai jamais su, tu ne m'auras jamais dit. 

 

Très sincèrement.

 

Patrice.

 

 


Publié le 10/09/2022 / 1 lecture
Commentaires
Publié le 11/09/2022
C'est une belle histoire ; ça sent le vécu..... d'une vie antérieure :-)) Il n'y a que la dernière phrase qui me gène un peu. Elle est moins aboutie. Ce serais sans doute plus joli en remplaçant le "puisque" par une ",". Et avec un point après "lettre. Comme je ne comprends pas "et à l'heure où je les écris" (à quoi se réfère les "les""?), je terminai par la courte phrase "J'espère que tu ne douteras pas des mots que j'y ai mis." ou alors quelque chose du genre : "Mais voilà, ça ne se produira pas. Je suis décédé avant d'avoir écris cette lettre, avant que tu ne la lise. J'espère que tu ne douteras pas des mots que j'y ai mis". Juste un avis, bien sûr
Publié le 11/09/2022
C'est pour avoir des avis, des critiques, des conseils constructifs comme les tiens, que j'aime Ipagination. Et je te remercie pour ton aide précieuse. Je suis d'accord avec toi. il y a des perfectionnements à apporter. Notamment sur la dernière phrase. Le "les" se réfère aux "mots" plus loin dans la phrase. C'est correct mais c'est tordu. La "," pour remplacer le "puisque" est une excellente idée. Je m'en veux de ne pas l'avoir eue. ;-) Et le "." après "lettre" aussi. Je te propose ici l'alternative. "Cette soirée n'existera jamais, je suis décédé à l'heure où tu lis cette lettre. A l'heure où je l'écris, j'espère que tu ne douteras pas des mots que j'y ai mis." Je ne sais pas si tu l'as remarqué mais j'ai essayé d'établir un contraste entre ma vieille voiture et sa maison récente, nos univers tellement éloignés. Peut-être devrai-je l'appuyer plus ? Merci Jean-Luc !
Publié le 15/09/2022
oui, j'avais noté le contraste entre la voiture et la maison. Mais effectivement, c'est assez "discret" et pourrait donc s'accentuer un peu plus :-)) Tout dépend de l'éffet recherché et du poids que l'on souhaite mettre dans ce contraste. Sinon, la nouvelle formulation de la phrase de clôture est mieux ainsi.
Publié le 11/09/2022
Tu nous livres un texte pudique et juste, comme je les aime, avec les mots qu'il faut, et le sentiment livré sans emphase. C'est maîtrisé, ce mi regrets d'outre tombe, et ce final qui tombe comme une lame. Je te félicite Patrice, ton travail paye, ton débit assez court est efficace. Quelle évolution en peu de mois. Adapte cette simplicité à ton récit autobiographique, ne lâche rien surtout.
Publié le 11/09/2022
Merci pour tes encouragements ! Ce texte fait partie du fameux récit même s'il est possible qu'il n 'apparaisse pas, qu'il ne soit qu'évoqué. Tes encouragements me sont précieux. J'espère que je trouverai le temps. Merci encore. ;-)
Publié le 18/09/2022
“Mon amitié unique et honnête”, que c’est beau, à l’image de ton texte sensible et nostalgique. Un spleen littéraire élégant, tout en retenue comme pour honorer de la meilleure façon ce qui ne sera plus, et qui entretiendra peut-être le plus grand des regrets pour celle qui reste. C’est vraiment très émouvant et touchant. Merci Patrice.
Publié le 18/09/2022
Merci Léo ! Regrets ou indifférence pour celui qui reste, celui qui part ne le saura jamais, il a renoncé à l'apprendre pour la tranquillité d'esprit des deux.
Publié le 28/03/2023
J’aime beaucoup cette façon de faire passer une sensibilité, des regrets ou des sentiments d’une façon qui m’a émue. Je trouve ce texte très beau .
Publié le 28/03/2023
Ce texte, ce n'est pas rien. Suite à votre commentaire, je l'ai relu et il est perfectible mais la substance est là et bien là. Cette lettre sera la conclusion probable du récit dont j'ai entamé l'écriture depuis plus d'un an. Je suis très heureux qu'elle vous ait touchée d'autant plus que vous ignorez le contexte. Votre réaction, Evelyne, me confirme que ces mots "fonctionnent", non pas parce que je serais doué pour écrire mais parce qu'ils racontent bien l'extrême détresse dans laquelle je me trouvais l'été dernier. ;-)
Publié le 28/03/2023
Oui on ressent cela au travers de toute cette lettre. L’été dernier, ce n’est pas très loin et j’espère que de l’écrire vous a aidé et que vous allez mieux. Bonne soirée
Publié le 28/03/2023
Ça finit de cicatriser. ;-) Merci ! J'ai la chance de vivre avec ma compagne dont je suis encore amoureux et qui m'apporte tellement ! Donc, ne vous inquiétez pas, tout va bien. Merci encore !
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