MÉTAMORPHOSE ( version longue)
Quelle ne fut pas ma surprise en me réveillant ce matin de ne plus sentir mes mains. J’essaye d’allumer la lampe de chevet mais je n’ai plus aucune sensation et je suis dans le noir total. J’entends cependant quelques jeunes enfants parler dans la pièce, mais je ne connais pas ces voix là et d’ailleurs comme je vis seule à la maison , c’est plutôt étrange de les entendre .
Ces voix d’enfants me font flipper, où suis- je?
J’essaye de parler mais aucun son ne sort de ma bouche. Alors, j’étends le bras pour allumer ma lampe de chevet. Horreur! Impossible, car je n’ai plus de bras. Je suis à l’intérieur d’un cauchemar, mais comment en sortir. J’ouvre les yeux j’aperçois dans la glace une table remplie de papiers, de factures et de dossiers, je me regarde, et j’aperçois mon reflet dans une glace: je suis devenue une facture EDF…
Non vraiment ça n’a aucun sens. Je suis toujours dans mon cauchemar et je ne peux pas en sortir. J’aperçois en bas à droite de la facture le montant : 684 €. Effectivement c’est impossible. J’ai changé toutes mes lampes pour des ampoules basse consommation et je n’en allume qu’une seule à la fois; je vis à la lueur d’une ampoule de 40 watts et j’utilise des lampes de lecture pour lire. Ce n’est donc pas faute d’efforts de ce côté là. Mais le vrai problème c’est d’arriver à sortir de ce cauchemar.
Et je retourne dans ma tête toutes les pistes qui pourraient me mener à une solution.
Est-ce que j’ai mal fait quelque chose ? Est-ce une punition?
Une main saisit la feuille que je suis devenue, la soulève en regarde le montant et hurle que non ce n’est pas possible on ne pourra pas payer… les enfants se mettent à hurler eux aussi. Le grand frère a pincé le plus petit , il appelle papa, l’autre appelle maman et la main me rejette sur la table. Aïe j’ai mal! C’est plutôt bon signe si j’ai mal, cela veut dire que je suis vivante. Comment sortir de ce cauchemar ?
Effectivement, tout en restant le papier que je suis devenue et qui pense, je crois que ce sera très difficile de tout payer.
On nous annonce des mesures obligatoires pour isoler, s’isoler ? , pour changer les fenêtres, les volets, les chaudières, et j’en passe . Tout ceci me fait penser aux rues de Paris : un gros bordel. Tout le monde râle. Il y a des bouchons pas possibles, la pollution s’accroît et tout cela au nom d’une transformation « écologiste », qui va finir par nous tuer.
Oui c’est ça, j’ai compris en fait je suis morte dans la nuit car la semaine dernière je n’arrivais plus à respirer en sortant dans la rue tellement c’était pollué. Je suis morte et je suis un bout de papier une facture. EDF: Électricité de France, oui et alors, pourquoi EDF, c’est bien ça la question. Toute notre vie n’est qu’une série de questions qui n’ont pas toujours de réponse, alors une de plus… Ce n’est pas ça qui me tracasse c’est de ne plus retrouver mon corps. Deux bras deux jambes c’est quand même bien utile même si à un certain âge, on se plaint toujours, j’ai mal ici j’ai mal là mais on est vivant ! On peut agir.
Tiens, on peut marcher davantage par exemple. Je crois quand même que je fais ma part et même largement.
Je ne peux rien faire, je ne peux pas bouger. Je regarde alors tous les papiers qui sont autour de moi. Il y a des petits carnets avec des étiquettes dessus, , des répertoires, des livres de poésie. Tiens que vient faire la poésie au milieu des factures. Ah oui… je lirais bien un poème à l’heure qu’il est.. mais au fait quelle heure est-il ? Aucun réveil sur la table.
C’est la guerre partout. Le temps est suspendu jusqu’à ce que la paix soit déclarée. Je comprends, je dois être morte et nous avons été bombardés cette nuit. C’est pour cela que je n’ai plus de corps et que je suis devenue un morceau de papier.
Du papier, du papier et encore du papier. C’est une piste de de réflexion au fond : nous utilisons trop de papier… Là n’est pas la question. Encore heureux qu’on puisse avoir dans nos albums photos des traces de nos belles forêts qui disparaissent en fumée chaque été et aussi quelques traces du passé des gens que nous avons aimés. Des traces de tout ce qui disparaît et qui renaît autrement, mais il nous faut des traces.
Je suis peut-être au purgatoire, dans une zone où je dois réfléchir à mes futurs combats..
Au fond je ne suis pas si mal, allongée sur cette table .Je me repose. Aucune information ne me martèle la tête au point d’en pleurer. La guerre, la nature qui se transforme, et disparaît, les gens dans la rue, la souffrance partout. Et les armes, la course au progrès. La technologie ne devrait servir qu’à améliorer notre condition humaine et non pas à tuer les gens .Je suis juste là, seule avec moi-même, seule avec ma conscience.
Peut-être que toutes ces factures sont d’anciens collègues ou relations, qui sont dans la même situation que moi. On peut tout imaginer. Les relevés de banque seraient mon banquier , la facture de fioul ce professeur de technologie que je n’appréciais pas trop.
TiensJ’aperçois une feuille qui attire mon attention.
C’est une proposition pour participer à un atelier d’écriture. Je lis attentivement car le sujet m’intéresse beaucoup.
J’attrape mon stylo…
Evelyne de Gracia