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Ce fut bientôt son tour au comptoir avec le connard-costard. Il tendit son billet et son passeport, attendait, et le fonctionnaire examinait ses papiers. Sur une pile de documents, il y avait le passeport isolé de la jeune fille rousse. Elle était Britannique. Il ferma une seconde les yeux pour empêcher une larme de couler. Le type lui rendit ses papiers, il pouvait passer. Il baissa le regard en passant devant la jeune fille rousse, assise prisonnière, écoutant ses chaussures chuinter sur le caoutchouc. Saleté de mecs-police.
Douane tampon. Tampon. Tampon encore. Mais qu’est-ce qu’ils avaient pour tamponner comme ça, devant, derrière, à gauche, à droite, comme des cons ? Même le billet d‘avion était tamponné. Sur leurs routes, dans leurs bidonvilles, on souffrait, on mourait, et ces cons tamponnaient. Tlicklet !!! Bande d’abrutis empapaoutés de castes. Un système, toute une organisation où personne n’était responsable. Une grande machine à tamponner.
Il était maintenant en zone internationale, et l’image douloureuse de la jeune fille rousse s’estompait peu à peu. Le fil invisible qui le reliait à elle disparaissait. Il flânait, cartable en balancier, longeant les vitrines des duty-free shops. Hier, il s’était rendu avec une collègue de travail à Defense Colony Garden. C’était un marché fermé, gardé par des mecs-police matraque au poing, avec les gosses en haillons « roupies mister ». Il avait acheté un sari rouge et or, pour elle. Et s’il lui faisait un cadeau supplémentaire, au P’tit loup ? Il entra dans un duty-free au hasard. Un bazar. Il n’y avait pas grand-chose à l’intérieur, les inévitables Taj Mahal en plastique, les éléphants en faïence, les voiles et les carré de soie. A l’entrée, on trouvait des sachets de thé exotique, qu’on ne trouvait pas en Europe. Il lui avait déjà offert du thé, lors d’un voyage à Londres, et se dit que ce serait rigolo de lui en apporter à nouveau. Un cadeau à répétitions. Allez, va pour le thé. Il paya « ten dollars », et s’apprêtait à sortir sa carte d’embarquement. La vendeuse lui sourit et lui dit que non, non ce n’était pas la peine. Ah bon. Décidément, ici, c’était bizarre. Partout ailleurs, dans n’importe quel duty-free, on lui aurait demandé cette carte, mais pas ici. Bizarre. Il ressortit avec le thé.
Il s’assit un instant sur une banquette en zone fumeur, non loin des vitres de la salle d’embarquement. Il y avait quelques jeunes assis en rond par terre, à côté, des français, Des hippies de l’an 2000. Ils causaient sec là, en rond, devant leur coca, se disant que vraiment ça avait été l’extase ce voyage. Ils rentraient pleins de nirvana, de peace et de love. Et de malaria. Mais non, probablement sans malaria. Ils ressemblaient plutôt à des hippies de luxe avec chauffeur et hôtel international. Il était l’heure de passer en salle d’embarquement, il finirait son attente là-bas. Il tirerait un livre de son cartable et laisserait filer les dernières minutes dans ce cocon international. Il se leva, accompagné de son cartable et du sachet de thé, vers le dernier contrôle aux portes de la salle d’embarquement. Celui ou on vous passe encore une fois le corps au détecteur de mensonges, en vous palpant avec un fer à friser.
Il se présentait face au mec-police affecté là. Une jeune recrue toute crue, presque un gamin encore. Aïe, c’était le genre de mec à faire du zèle. Face au type, il affichait un sourire désarmant de naïveté, un sourire idiot d’innocent, un air mi-con mi-raisin. Avec son cartable et son sachet de thé. Mais le jeune mec, déjà bien dressé à la chasse aux tampons, ne vit qu’une chose : « Handgluggage sticker ! ». Pardon ? Le mec répéta et il déchiffra – hand luggage sticker, étiquette bagage à main. Il n’avait pas placé l’étiquette sur le cartable, ah la la mais merde c’était pas vrai ça. On n’allait pas encore le faire chier avec ça, non ?! Son étiquette bagage à mains. Il revit brutalement les yeux noyés de larmes de la jeune fille rousse, passeport en sanglots, bloquée à la frontière. Une douleur lui cisailla le ventre. Mais non. Il était là son machin pour bagage en cabine, dans la poche de son blue-jeans. Encore tremblant, il l’accrocha à son bagage. Le type lui fit signe de passer et il entra en salle d’embarquement.