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Passeport en larmes
Chapitre 5

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 01H00, il n’avait plus longtemps à attendre. Le personnel d’embarquement arrivait avec lenteur, tandis qu’on annonçait au micro le vol pour Paris-Roissy, et la lente procession commençait, chacun avec sa carte d’embarquement entre les doigts. Et bien sûr, toutes ces cartes portaient leur tampon. Il tendit la sienne et fila droit dans le boyau vers la porte de l’Airbus A340. Deux hôtesses lui souriaient, un contrôle de charme. L’une d’elle lui disait bonsoir – bonsoir, coucou, bienvenue au pays. Des mots rassurants après les interminables épreuves des étiquettes et des tampons.

 

Il cherchait sa place entre les rangées de sièges, c’était la place 27A. Près du hublot, côté jardin, côté jardin d’étoiles tout à l’heure dans la vibration des réacteurs secouant le ciel de nuit. 01H30. Il était assis à côté d’un Anglais très britannique, la cinquantaine. Ils firent conversation, comme on fait dans les avions ; il savait que tout à l’heure à Roissy, malgré tous les échanges, tous les secrets livrés, ils s’en iraient chacun leur route, sans un regard pour l’autre. C’était toujours comme ça. Mais pour l’instant, ils se disaient des choses importantes, en voyageurs du monde, calés dans leur fauteuil, pépères aventuriers. A grands coups de sourires et de hochements de tête entendus, ils se livraient des secrets. Dans le temps hors du temps. Et tout à l’heure dans la nuit des étoiles, les hôtesses passeraient en silence dans les allées entre les sièges endormis, tandis que lui veillerait, rêvant à son petit loup qu’il allait retrouver.

 

01h45. L’avion attendait. Il causait avec son Anglais. 02H15. il y avait du retard et le commandant de bord s’était excusé, expliquant qu’il y avait des passagers coincés dans les tampons aux douanes. Enfin non, il avait dit « formalités administratives ». N’empêche que ça allait être juste, pour sa correspondance Paris-Genève, avec plus de trente minutes de retard au décollage. Enfin, il y eut un bruit de délivrance, un bruit lourd et puissant. L’avion roulait sur la piste. 02H30. La carlingue vibrait et il regardait les passagers qui semblaient tous atteints d’une maladie de Parkinson subite tandis que l’Airbus 340 accélérait sur la piste. Et décollait.

 

Bye-bye New-Delhi. Bye-bye et sans regrets. Malgré tout, si, des regrets quand même Pour tes odeurs épicées, tes Rickshaws bigarrés, tes fleuves humains, et tes temples de marbre. Bye-bye India avec regrets pour tes routes incertaines, tes lenteurs et tes immensités. Bye-bye pour tes rues enfiévrées, les couleurs des écharpes, le goût des tandooris. La ville immense étalait ses lumières rares, en îlots éparpillés. Et son cœur se perça dans un sentiment double de délivrance et de chagrin. Car en bas, sur le plancher des vaches sacrées, il y avait une jeune anglaise rousse, prisonnière, en détresse et en larmes. Une jeune fille qui n’avait pas pu partir.. Elle resterait comme la princesse des légendes, embaumée dans le secret du Taj Mahal.

 

Les heures passaient dans la nuit. Inde du nord – Pakistan – Afghanistan – Iran – Turquie – Bulgarie – Hongrie – Autriche – Allemagne – et France, enfin. 9H30 de vol. L’Anglais causait, une histoire de plomberie défectueuse dans la chambre de son hôtel, d’un air sérieux avec son accent d’Oxford et son humour so British. Ils riaient tous deux, complices éphémères dans le zinc qui filait. C’était l’heure du repas et chacun mastiquait en silence, le regard plongé sur le plateau-repas. Il se leva, priant son voisin de bien vouloir l’excuser. Il allait aux toilettes. Et il fit un clin d’œil au Britannique, levant un index professoral, et blagua : « There’s no plumbery in the plane ». Son voisin éclata de rire. C’était de l’humour anglais.

 

A son retour des toilettes, l’avion dormait. Il venait de repasser sa montre à l’heure européenne. 4H30 en moins Même le décalage horaire était mal aligné dans ce pays. Il était 5h00 du matin heure française et le commandant de bord annonça que l’avion avait comblé une partie de son retard, et l’arrivée était prévue pour 06h45. Ce serait néanmoins trop court pour sa correspondance Paris-Genève de 07h15. Il en avait avisé une hôtesse. Il n’y avait pas de problème, il n’aurait qu’à se présenter au comptoir des correspondances à Roissy et on lui réserverait une place pour le vol suivant. Pour son bagage en soute, c’était pareil, tout serait fait automatiquement, il n’avait pas à s’inquiéter. Il remercia l’hôtesse en pensant que, quand même, c’était une belle chose l’organisation occidentale. Il imaginait la situation en sens inverse, s’il avait eu une correspondance à prendre à New Delhi. Ça aurait été un coup à tourner deux jours en rond à la recherche de sa valise dans l’aéroport.

 

Les premières pâleurs du jour avaient succédé à la nuit et l’avion était en phase d’approche finale au-dessus de Roissy Charles de Gaulle qui brillait de mille feux. Ça y était, c’était la fin du voyage. Il y eut le choc des roues sur la piste, le tremblement des passagers secoués sur leur siège et le freinage puissant qu’on sentait dans le ventre. L’avion roulait au ralenti sut le tarmac dans un dernier pavanement des ailes. Terminal 2, satellite 2A, celui des longs courriers, Los Angeles – Tokyo – Hong-Kong. Et New Delhi. Le parking des Boeing 747 et des Airbus 340. On était arrivé. Ils ne se dirent pas au-revoir, lui et l’Anglais. C’était comme ça. Même s’ils s’étaient confié l’un à l’autre dans le cocon du zinc, ils se séparèrent sans un mot. C’était comme ça. On avait refermé le livre et chacun retournait à sa vie. Il marchait dans le boyau qui reliait le fuselage à l’aérogare, cartable à la main, les yeux fixés sur ses chaussures. Il faisait froid et humide, le ciel était gris, encore à demi dans la nuit.  

Publié le 17/07/2025 / 17 lectures
Commentaires
Publié le 28/07/2025
Ce qui fait l’essence de ce chapitre c’est le lien à la fois sincère dans l’intention) et factice (dans la raison) des voyageurs qui conversent le temps d’un trajet. Je file à la suite.
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