Les murs manquants
Quand les murs se plaignent, les tableaux s’indignent et la potiche du couloir réclame sa liberté, il devient urgent de négocier une paix intérieure.
Petite comédie domestique, où l’absurde se fait miroir de nos certitudes encadrées.
Il y a quelques jours, je remettais un livre à un ami qui n’était jamais entré chez moi.
Les murs de mon petit appartement entièrement couverts de tableaux, l’arrêtèrent, ébloui.
Il déclara :
— Je vois que tu manques de murs, pas assez de murs !
Je lui répondis :
— Mais oui, tu as raison : ce ne sont pas les tableaux qui sont trop nombreux, ce sont bien les murs qui manquent.
Nous restâmes un moment silencieux, entourés par les regards muets des peintures.
Puis, sans prévenir, un tableau se mit à tousser.
La potiche Clarice Cliff, celle du couloir.
— Excusez-moi, dit-elle, mais j’aimerais bien changer de mur ! J’en ai assez d’être au-dessus des vestes et des blousons.
Je crus rêver.
Je lui répondis :
— Dis donc, la potiche, tu n’es qu’une imitation ! Et en plus mal imitée ! Tu te la fermes, sinon tu finis dans le placard de l’entrée, dans le noir. Tes revendications, tu te les gardes !
Un mur, vexé, prit alors la parole :
— Depuis des années, vous m’écrasez sous des Van Gogh de reproduction et des œuvres encadrées dont vous ne connaissez même pas le sens ! Un peu de respect pour la brique intérieure !
J’essayai de le calmer.
— Voyons, ne t’énerve pas, je cherche justement une solution.
— Une solution ? répéta-t-il. Vous pourriez me cloner, par exemple. Ou me peindre en double !
Puis les tableaux ont commencé à s’agiter.
Mais c’est une mutinerie ! dis-je.
Nous en reparlerons demain, si l’aube se lève.
Ok les murs ? Et vous, les tableaux ! Contentez-vous d’être beaux et laissez mon intelligence travailler !
La nuit suivante, les tableaux se sont mis à voter.
À cadre levé !
Résolution n°1 : demander l’agrandissement de l’appartement.
Résolution n°2 : virer les tableaux qui font la gueule. Les abstraits !
Je me levai tranquillement et pris connaissance de leurs votes.
Mais si je vire les abstraits, je n’ai plus besoin de murs, bande d’idiots ! Vous êtes tous plus abstraits les uns que les autres !
— Pas nous ! firent les Tournesols.
— Pas moi ! s’exclama la Joconde.
— Et encore moins moi ! cria L’Origine du monde.
— T’as raison, L’Origine, lui dis-je. Tu n’es pas abstraite, mais tu es une sacrée pipelette !
— Nous devons faire une réunion, les amis. Et vous devrez faire des concessions !
Le Cri de Munch s’exclama :
— Mon Dieu Seigneur !
Je vins vers lui et chuchotai :
— Ça va, le Cri ? Tu as pris tes médicaments ?
Le lendemain, j’ai trouvé dans ma boîte aux lettres un devis signé « Société des murs libres ».
Ils proposaient de me livrer un mètre carré de mur supplémentaire par semaine.
— Un mètre carré ?! Mais vous n’y pensez pas ! Où vais-je les mettre ?
Mes chers enfants, les tableaux, on me propose de me livrer des mètres carrés de murs régulièrement : nous devons en parler sérieusement.
Le tableau Bateau me dit qu’il a besoin d’eau.
Le tableau Champêtre, d’air.
Et les Chaises de la plage, vue sur mer, veulent plus de sable !
— Stop ! dis-je.
Je n’ai pas dit que nous allions vous ajouter ou changer votre apparence ! Soyez raisonnables ! Vous êtes avant tout une valeur sûre, et je ne vais pas toucher à vos estimations respectives.
N’est-ce pas toi, le Champêtre, qui veux plus d’air ?
Il n’y a que moi qui ai besoin de plus d’air ici !
Avant d’accueillir les nouveaux murs, nous devons considérer comment les orienter, puis décider des œuvres à y intégrer, mes amis.
Vous, je vous connais : vous voulez de la nouveauté, de la classe, de l’inédit, tout en maintenant votre élégance respective.
L’Origine du monde répondit :
— Absolument, et l’élégance, je connais !
— Oui, tu connais, mais tu as bien trop de poils, ma chérie !
Je t’amène aujourd’hui pour une épilation.
Les poils, ça ne se fait plus !
Il nous faut du lisse !
Fou rire général.