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Furie-sur-Mer

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Furie sur les Albères, cieux de colère. Les vignes lâchent la terre qui s’enfuie droit vers la mer. Restent les pierres ! Un ordinaire déjà vécu dans l’hier de nos grands-pères, et dans bien des avant-hier de nos arrière-grands-pères.

J’aime quand tombent ces trombes dans le sombre d’un jour sans ombre. Du ciel de cendre flambée à la mer de terre ocrée, air et mer lissent la toile, se  fondent dans un horizon sans limite, amincissent le lointain, l'écrase, l'épaississent, l'effacent, indéfinissent l’espace, abolissent les repères, travestissent le paysage. Ciel et mer mugissent, puissants, imposant leur poésie. Sud sans âmes d’Homme, ou presque. Dans la tourmente, rares sont ceux qui s’avilissent à la puissance suprême. Prière pourtant quand on se sait humblement si rien devant ce tout, fou !

Écumes brunes en tourmentes sauvages, sans ancrage sur les eaux en rage ; vagues en vrac, ressacs en claques, les barques craquent sous les attaques. C’est démoniaque… paradisiaque, même.

Sur les murs de la morte Collioure, dépouillée de ces masses et mannes estivales, les sardines s’affichent sur les murs, écrasées par les embruns fous. Rues de boues, plantes couchées, chiens assis aux tuiles saturées d’aiguilles, arrachées aux pins voisins… la tempête offre enfin à la cité trop chantée des couleurs brutes d’aventure : réécriture, nouvelle lecture sans posture, sans peinture, sans appogiature. J’aime ce joli Collioure-là, car il ne se vend pas. Sous sa parure de boue, sous les claquements des déferlantes aux noires écumes, le voilà antimasse, antifoule, antinomique à lui-même ! Authentiquement beau dans sa solitude.

Pure nature ? Ce serait imposture, car les ordures en monceaux que rendent les vagues affichent sans conteste de bien tristes réalités.

Point de fauvisme, Matisse et Derain ne sont pas. Ils y furent pourtant. Avant. Dans l’antan. Le maintenant de cette Furie-sur-Mer n’est pas le temps de les vendre en faux, de vendre leur Collioure en tâches de couleurs, en photos copiées. Leur idéal n’existe plus, et encore moins en cet instant. Soulages sans doute y verrait pourtant l’œuvre ; il n’y est pas.

Trois roches chahutées plus loin, la vivante Port-Vendres s’amuse. Le phare de la jetée, sur ses quatre pieds campés, rit de la mer déchainée. Le Feu métallique du môle réplique dans le jeu de rôle : cent trente ans debout sans trembler sous les coups ! Sur les quais inondés, les poissons exondés narguent les chalutiers amarrés. Point d’altitude zéro dans le tumulte des eaux, ni dans les bas ni dans les hauts. La France attendra, quand le beau temps reviendra ! Sur la place carrée, les tortues en carré, sur leur carapace de bronze, portent la phallique pierre à Louis, le seizième, depuis le dix-huitième. Alors, les tempêtes se répètent et nulle tortue ne rouspète. La redoute Béar observe dans la tourmente la presqu’île échevelée d’embruns. Pas de doute... qu’il pleuve, qu’il vente, ici tout va bien.

 


Publié le 05/10/2022 / 7 lectures
Commentaires
Publié le 08/10/2022
Folle semaine me concernant, c'est pourquoi je ne commente que maintenant. Je souhaitais être au calme absolu pour découvrir tes nouveaux mots et je ne suis pas déçu. La mer a cette faculté d'apaiser les âmes autant que de malmener les hommes, c'est ce paradoxe et cette toute puissance qui nous rappelle à notre humilité. Dans le style il y a des sonorités groupées, des mots en rafales qui balayent toute certitude : demain est fragile, et nous ne sommes que les pantins de nos drames, à la merci et tout le monde l'a bien compris d'une nature surpuissante. Merci Jean-Luc, à plus tard.
Publié le 09/10/2022
Ces folles semaines, ces folles journées... ça a toujours un côté déconcertant : comment faire pour trouver du temps libre, vraiment libre et serein pour écrire, pour lire ? Plus on va vite pour gagner du temps, moins on a la sensation d'en gagner ! Je connais et je comprends oh ! combien :-)) J'adore tes mots "demain est fragile, et nous ne sommes que les pantins de nos drames, à la merci d'une nature surpuissante". C'est cela, exactement, à mon esprit aussi, puisque nous refusons obstinément de nous ranger à la sagesse de Bacon (Novum organum) : on ne commande à la nature qu'en lui obéissant ! Merci cher Léo.
Publié le 01/05/2024
J'aime beaucoup ce texte d'un paysage" défiguré" par la tempête mais qui : "J’aime ce joli Collioure-là, car il ne se vend pas." Il ne se vend pas car il se ressent, et dans ce texte, sans l'avoir en peinture il est devant nos yeux comme peint et on le ressent. Merci beaucoup
Publié le 02/05/2024
Merci Evelyne. Oui, le mot défiguré me convient parfaitement, car j'adore regarder des lieux très réputés sous un angle très opposé à la "figure" que tant de gens en ont. Ils révèlent souvent une émotion si différente ! J'avoue par contre qu'il me faudrait l'améliorer un petit peu, mais je n'en ai pas encore pris le temps :-))
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