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Esméralda fracturée
Chapitre 8 (fin)

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Ils étaient maintenant rentrés dans l’appartement tiède et sombre. Silence côte à côte. 19H00 s’anonçait sur les programmes télé aphones. Il passa à la cuisine préparer un plat de hamburgers surgelés. Le se tenait recroquevillée dans le fauteuil devant la télé, à regarder les images muettes qui lui parlaient. Il revint avec deux plateaux repas, détaillant le corps de cette étrangère. Et voyant celui de la mort aux yeux verts. Le sang écarlate tout à l’heure dans les émeraudes. Elle lui avait pourtant fait don de son âme, dans un baiser lent et profond, une caresse divine, mais à travers cet amour, c’était l’enfer qu’elle inoculait en lui. La soirée passa, lente et lourde, en silence frissonnant. Il s’isolait dans la lecture répétitive des journaux de la veille. elLe était plongée dans la télé. Puis elle se leva, passa devant la télé sans voix, et entra dans la chambre. Les yeux verts vibraient d’une détresse prémonitoire. Il attendit, seul dans la pièce. Une heure passa. Le sang giclait des yeux d’émeraude, en flash. « Le jour de notre mort ». Sa décision était prise.

 

Il avait saisi une paire de ciseaux dans la cuisine. Il ouvrit en silence la porte de la chambre. Elle dormait, reposant sur le lit et sa respiration légère frôlait le silence. Il devinait le drap blanc du lit qui recouvrait son corps. Il avait une douleur aiguë au ventre, une envie de vomir qui emplissait son être, mais il ne pouvait pas reculer. La paire de ciseaux brillait au bout de son bras tremblant. Il eut un gémissement animal en se voyant empoigner la chevelure blonde d’une main folle, la tordre entre ses doigts et relever brutalement vers lui le visage endormi. Il se vit levant son bras démoniaque qui brandissait la double lame effilée au-dessus d’elle. Elle poussa un hurlement bref qu’il n’entendit pas. Puis dans l’ombre de la chambre, les yeux d’émeraude jetèrent un éclat de résignation et de reddition, devant l’acte qui s’accomplissait.

 

Elle avait senti son souffle rauque de dément au-dessus d’elle et elle acceptait, offerte à l’immolation. Il s’était figé sous le regard sans fond qui se soumettait. Menaçant et crochu, il pointait la lame luisante et bifide, il ferma les yeux, serra les dents et se raidit pour frapper. Mais il ne put achever son geste meurtrier, et il s’affaissa, pantin misérable.

 

Alors ce fut elle qui, levant une main fine vers le bras armé au-dessus d’elle referma ses doigts sur le poignet tueur. Et ce fut cette main qui guida les lames vers son propre visage. Il tremblait, sans force sentant les doigts enserrer son poignet et amener l’arme au-dessus des yeux verts. Elle accentua la pression, crispant les phalanges, et abattit sur elle le bras armé d’acier. Les deux lames pointues s’enfoncèrent d’un trait net dans le vert profond des yeux. Il y eut un spasme sur le lit, sa gorge s’ouvrit en arc dans un râle muet, sa main glissa et elle resta inerte.

 

Les deux émeraudes avaient jailli des orbites – minéralités vertes fendues par les poinçons perçants – et brillaient éclatées en miettes scintillantes sur son visage et ses cheveux.

 

Il ouvrit les doigts, ses doigts rouges du sang qui avait giclé. Il recula et lâcha une longue plainte. Elle ne bougeait plus, offerte sur le lit, transpercée jusqu’à la nuque par les deux lames d’acier plantées au fond des arcades. Les miettes des émeraudes brillaient dans les bouillons rouges qui coulaient des orbites. Il trébucha à reculons jusqu’à la porte, secouant la tête en dénégation hurlée. Il s’écroula dans un hoquet, et, pour la première fois il lui sembla entendre sa voix à elle, sa voix dans un chuchotement continu - «  il faut me deviner, il faut me deviner ».

 

Les yeux d’émeraude répétaient sans fin cette injonction impérieuse «  il faut me deviner, il faut me deviner ».. «  Il faut me DEVENIR ». Les lettres. Mélangées.

 

Il y eut un cri qui zébra la nuit. Puis un fracas de verre, la marionnette d’un corps disloqué qui tombait. Un choc en bas. Un bruit mat dans la cour de l’immeuble. Au sol, une masse informe. Et ce fut le silence à nouveau. Son corps écrasé lâchait un dernier souffle.

 

Sur le sol de la cour, comme là-haut dans la chambre où gisait Esméralda, des éclats verts montèrent, et les émeraudes de leur deux êtres filèrent en osmose vers le ciel noir. Une nouvelle étoile double scintillait au firmament. Et dans la froidure de ce mois de février s’échappait la chanson du souterrain de velours :

 

« I’ll be your mirror – Reflect what you are in case you dont know – I’ll be the wind, the rain and the sunset – The light on your door to show that you’re home – When you think the night has seen your mind – Let me stand you show that you are blind. ».

(The Velvet Underground and Nico – I’ll be your mirror)

Publié le 01/07/2025 / 23 lectures
Commentaires
Publié le 14/07/2025
Quelle fin… digne des plus grandes tragédies antiques, j’avais pensé plus tôt à Maupassant et voici que j’ai pensé également à Tarantino, et la BO de fin conclut ce qui pourrait être un court-métrage de grande qualité. de nombreuses références qui souligne la richesse de ton écrit et la puissance des images et ambiances que tu as su recréé. Je me doutais que cela finirait mal mais à ce point… la flamme s’en est finalement définitivement éteinte. C’était impeccable Stanislas, ça change tout lorsque tu incorpores une intrigue à ton récit. Un grand Bravo.
Publié le 16/07/2025
Merci d'avoir apprécié ce conte fantastique, Léo. Merci aussi pour tes commentaires.
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