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Ses yeux plongèrent dans la fixité neutre du regard vert qu’elle lui offrait. Ses grands yeux d’émeraude étaient absents, le visage clair encadré par les vagues blondes regardait au-delà, dans un autre monde, et il resta en interrogation muette devant l’énigme magnifique. Dans le temps figé hors du temps. Il leva doucement la main vers le visage lumineux et le contact de ses doigts sur la soie de la chevelure blonde irradia tout son être d’une douceur électrique. Elle restait immobile sous le frôlement, incrustant le présent de son absence docile. Il fixait les yeux verts et les yeux verts le fixaient sans le voir. Alors tout simplement, comme une évidence dans un rêve ordinaire, il poussa la porte d’entrée, et reculant à pas lents, il pénétra chez lui accompagné par le regard vert et la chevelure blonde. Dans le clair-obscur. Elle le suivit à l’intérieur.
Elle avait abandonné son manteau clair sur une chaise dans l’entrée, puis sans attendre s’était enfoncée dans la tiédeur de l’appartement, suivie par les effluves de son parfum, le laissant interdit sous la caresse odorante qui passait devant lui en cécité. Elle se tenait debout, appuyée à la haute fenêtre du living. Elle regardait dehors entre deux gouttes neigeuses, entre deux yeux. Son regard dans la diagonale de lumière du living. Il n’avait pas quitté sa parka, mains dans les poches – médusé, hors-circuit – tandis qu’elle prenait possession des lieux, mêlant sa fragrance aux odeurs anciennes.
Elle avait maintenant ôté ses souliers et s’était pelotonnée dans le vieux fauteuil du living, jambes repliées et mains croisées sur les genoux, se berçant en torpeur dans le silence ouaté. Lui, sur une chaise en face d’elle, enlisé de stupeur, cherchait un signe caché dans les émeraudes entre les cils, un indice dans l’énigme verte. Mais son regard à elle était toujours perdu aux confins d’un autre univers, et il restait bouche bée entre frayeur et émerveillement.
Elle s’était légèrement assoupie, pas de la somnolence, rien qu’une rêverie, une berceuse éveillée qu’elle murmurait en silence. Ses lèvres se déliaient par instants et sa gorge vibrait en harmonies muettes. C’était une chanson qu’il n’entendait pas, une mélodie sans voix. Au bout d’un moment elle se leva, glissant à nouveau d’un pas de chat vers la fenêtre, puis se détournant et repassant près de lui, le frôlant, allant vers le couloir puis revenant. Avec comme une sorte de connaissance et d’habitude des lieux, comme si elle avait vécu ici depuis toujours. Elle s’était agenouillée près de l’étagère, parcourant du doigt la rangée de CD. Elle prit un disque et l’introduisit dans la mini-chaîne et poussa le bouton. L’appareil s’alluma. Il n’y avait pas de son, ou plutôt il y avait un son qu’il n’entendait pas. Un son hors de portée. Une musique pour elle. Pour elle qui s’était mise à accompagner les mesures, pour elle qui suivait la symphonie en frous-frous aériens au milieu de la pièce. Etait-il en train de devenir fou ? Tout cela était impossible, tout cela n’était qu’un rêve. Ça n’existait pas, il fallait se raisonner. Il fallait qu’il sorte, qu’il chasse le rêve. Il fallait qu’il se mêle à la foule, aux bruits, aux odeurs et aux couleurs. S’enfuir. Se réveiller.