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Esméralda fracturée
Chapitre 3

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Presque une enfant encore. Elle se tenait adossée eu mur, entre deux sex-shops. Il passait, les journaux du matin roulés sous le coude. Il avait cessé de neigeouiller et par endroits la boue avait remplacé le tapis blanc-gris sur le trottoir. Il l’avait croisée – presque une enfants encore, et il avait vu les courbes fines au bas du dos et sur les hanches de ce corps à peine éclos. Mais elle avait déjà le regard dur malgré son être en devenir. Elle était là, échouée entre les travelos, les putes-parking et les billets de banque gras au fond des peep-shows. Il s’éloigna vers le Forum des Halles. Auparavant il descendait chaque jour dans ce puits béant de fureur, dans les escaliers mécaniques, jusque sur le quai le la ligne de métro Neuilly-Vincennes, là-dessous sous la ville. Pour aller bosser – pressé dans les couloirs, un œil sur la montre, en retard. Et aujourd’hui un œil sur les heures arrêtées. Il refit le trajet, comme un zombie. Compostage, portillon, sésame souviens-toi. Les horloges indiquaient 13h30 et l’odeur du méthane grandissait tandis qu’il s’enfonçait dans l’intestin urbain. Il monta dans la rame en direction du Pont de Neuilly.

Il était allé jusqu’au terminus. Quelle drôle d’idée. Un simple abandon dans le temps sans volonté. Il avait émergé sur le trottoir, le long de la Seine noire dans la demi-clarté de cet après-midi. Autour de lui, les voitures tourbillonnaient dans le tempo raide de leurs essuie-glaces et les passants dansaient en pastels délavés sous les parapluies. Il était épuisé d’avoir simplement monté les quelques marches depuis le fond de la station jusqu’à l’air libre. C’était un vertige, un tourniquet lancé en trombe. Il fallait fuir ce tourbillon. D’un pas mal assuré, agrippé à la rampe, il redescendit les marches vers le monde souterrain. Dans le temps immobile. Il s’assit au bout du quai sur un des sièges rouges qui s’alignaient contre la voûte du boyau désert. La rame arriva. Il se hissa dans le compartiment et s’affala sur une banquette, le corps tassé le long de la vitre. Dans ce putain de temps qui s’étirait sans jamais passer. A la station Argentine, une jeune femme monta et s’assit face à lui.

Enfoui dans sa torpeur, il ne vit pas les yeux verts, profonds et fixes, il ne vit pas les longs cils finement courbés, pas plus que la fine arabesque des lèvres. Il ne vit pas non plus l’ovale caressant du visage entre les vagues blondes de la chevelure. Regard cloué sur la vitre dans le bruit métallique de la rame, il glissait sous terre dans la taupe électrique. Face à lui les yeux verts luisaient, des yeux d’émeraude, en lumière neutre, comme repliés à l’intérieur, des yeux verts étrangers dans le crissement des roues sur les rails. Les stations passaient, la rame ouvrait et fermait ses portières. Il fut bientôt de retour à Chatelet-les-Halles.

Il se leva pour sortir, la main crispée sur la poignée de la portière, guettant le soupir pneumatique de l’ouverture. Dans le compartiment, la femme se leva aussi. Il descendit. Elle aussi. Il se préparait à affronter la rue et la foule, la densité en marathon vers son retour chez lui. Il s’éloignait vers la sortie en lenteur saccadée, le long des publicités. Elle le suivait dans le couloir en ondulant, claire dans son manteau clair. Il progressait à pas lourds dans l’escalier, vers le plafond du ciel gris de Paris. Elle montait derrière lui, décalquée sur ses pas et pourtant distante, comme si les yeux verts avaient gommé devant elle son corps à lui qui se hissait et peinait sur les marches.

Il forçait son pas raide sur le boulevard Sébastopol. Elle était derrière lui, lente et souple comme un chat. Il approchait de chez lui et elle était quelques pas en arrière, silencieuse et féline, sans percevoir sa silhouette voûtée. Il furent bientôt au pied de l’immeuble où il habitait. Ce fut en passant le porche de la cour intérieure qu’il s’aperçut de sa présence. Dans un flash, il détailla la beauté régulière de son visage., et l’image de grava dans son crâne. Puis il continua dans l’escalier étroit. A qui pouvait-elle bien rendre visite ? Mais elle était toujours là, à sa suite, ignorant sa présence comme s’il avait été invisible pour elle.

Invisible pour elle. Il s’arrêta, captant pour la seconde fois ses traits fins et doux. Puis il reprit sa montée. Elle devait probablement se rendre chez le voisin du dessus – quel veinard. Elle était deux pas derrière lui quand il fourra la clé dans la serrure de la porte de son appartement. La clé tournait et la présence insistait. C’était un parfum dans son dos, une douceur fluide sur sa nuque. Il fit volte-face. Bon sang, mais qu’est-ce qu’elle voulait ?

 

Publié le 01/07/2025 / 20 lectures
Commentaires
Publié le 06/07/2025
Bonsoir Stanislas, je suis pleinement dans ton récit vraiment bien écrit. En annotation une coquille et le signalement de l’endroit où le texte a été mis en double. A suivre.
Publié le 07/07/2025
Bonjour Léo, merci pour ton appréciation. Et désolé pour le texte en double (je suis distrait). ;)
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