Ce texte participe à l'activité : Une femme savante

Naouma

 

1985. Mali. Gao. Un petit village inconnu à proximité de cette ville, proche du Niger, ancien empire commercial, aujourd’hui délaissé, asséché, inconnu ou presque.

C’est dans ce petit village qu’habite Naouma.

Elle, a eu la chance de faire partie de la génération où les filles avaient encore droit à l’éducation.

Elle a donc pu faire des études, puis s’est dirigée vers la filière scientifique avant de se voir contrainte d’interrompre brutalement ses projets d’apprentissage, à l’arrivée du nouveau chef du village : Yahové.

Vieille école, traditionnaliste, pour lui la place de la femme était à la maison, à la cuisine, aux champs, auprès des enfants, mais certainement pas à l’école. L’instruction pour une femme ? Il y avait plus important à gérer à ses yeux.

La sécheresse par exemple : ce réchauffement climatique qui tarit les rivières, empêche d’irriguer les champs avec le peu d’eau restante que les femmes ramènent des rares puits forés dans la contrée.

Naouma est très consciente de cette situation.

C’est une jeune femme cultivée qui pose des yeux grands ouverts sur les problématiques de son pays mais aussi sur les éventuelles solutions qu’il faudrait y trouver.

De plus, Naouma est issue d’une famille influente, son père appartenant aux plus grands notables de Gao. La plupart des réunions politiques ont d’ailleurs lieu chez eux.

Naouma, comme les autres femmes en est proscrite évidemment…on ne va quand même pas mêler les femmes à la politique ! Elles n’y comprendraient rien de toute façon !

Du moins c’est ce qu’en pense Yahové…mais pas forcément le père de Naouma qui a pu voir sa fille grandir dans l’éducation, apprendre et apprendre encore plein de choses que lui-même ignorait parfois, qui la sait intelligente et ressent une telle fierté d’avoir la chance d’avoir une fille telle que Naouma !

Cette dernière, à l’insu de tout le monde, même de sa propre mère, avait demandé en toute confidentialité à son père de la tenir informée de ce qu’il s’était dit en réunion afin qu’ils puissent en reparler tous les deux : un secret entre père et fille, témoin de la complicité qu’ils avaient toujours eue et que le père de Naouma tenait à conserver.

De plus il la savait intelligente, il lui faisait confiance et aimait entendre son avis sur les sujets qui touchaient le pays.

« - On ne s’en sortira pas tous seuls, papa, lui dit un jour Naouma. Il nous faudrait pouvoir forer plus de puits et aussi acheter des motopompes pour alimenter les champs. Gao n’obtiendra jamais un budget suffisant de la part du Mali pour cela.

  • Des motopompes tu dis ? Qu’est-ce que c’est ?
  • Ce sont des pompes munies d’un moteur qui permettent de transporter l’eau sur des grandes distances. C’est exactement ce dont on aurait besoin mais c’est vraiment très cher !
  • Comment faire alors ? Tu as une idée, je le sens, demanda son père, un sourire aux lèvres.
  • Peut-être oui, avoua-t-elle dans un clin d’œil.
  • Vas-y, je t’écoute.
  • La solution je pense, c’est de faire appel aux « Paris du cœur ».
  • Les « Paris du cœur » ? Qu’est-ce que c’est ?
  • C’est une association française qui vient de s’implanter au Mali à l’initiative d’un chanteur : Daniel BALAVOINE. Au cours d’un Paris-Dakar il a pris le temps de s’arrêter dans les villages et de discuter avec les gens. Notre condition l’a vivement interpellé et il a décidé de créer cette association pour nous aider.
  • Et en quoi consisterait l’aide de cette association ?
  • Son but est que nous arrivions à créer nos propres ressources alimentaires par et pour nous même en nous aidant concrètement à trouver des fonds pour forer des puits et en nous munissant de ces fameuses motopompes.
  • Cela me semble très intéressant en effet, et c’est là une très belle initiative de la part de ce brave homme…mais crois-tu vraiment que cela peut fonctionner ?
  • « Un peuple, un but, une foi », c’est notre devise non ? Alors pour nous, peuple Malien, quel est notre but principal actuellement ? La sécheresse et trouver des solutions pour y pallier. Alors il faut avoir foi et croire en toute aide qui peut nous être apportée. Je t’en prie papa, parles-en à Yahové, dis-lui de se rapprocher du président TRAORE pour qu’il demande lui-même de l’aide aux « Paris du cœur », car c’est lui la voix officielle de notre peuple, et je t’assure que cette association française peut vraiment nous aider !
  • J’en parlerai à Yahové à la prochaine réunion ma fille, c’est promis. Et pour l’éducation des filles ? ça m’étonne un peu que tu n’y fasses pas allusion aujourd’hui…
  •  A chaque problème, une solution, dans un temps donné…
  • C’est-à-dire ?
  • Les « Paris du cœur » ont aussi l’objectif d’ouvrir des écoles pour tous au Mali. Mais ne parle pas tout de suite de cela à Yahové. Chaque chose arrivera en son temps.
  • Petite maline, je te reconnais bien là, sourit son père. D’accord. Et s’il me pose des questions, s’il me demande comment j’ai entendu parler de cette association ?
  • Tu lui répondras que c’est un groupe d’étudiants qui t’en a parlé.
  • D’accord, je vais faire ce que tu me demandes car cela m’a l’air de très bon conseil. Comment dis-tu qu’il s’appelle déjà, ce chanteur qui est à l’initiative de cette association ?
  • Daniel BALAVOINE.
  • D’accord, c’est tout bien noté dans ma tête. La prochaine réunion se tiendra après demain, je parlerai à Yahové de tout cela. »    

 

A la suite de cet entretien, le père de Naouma tint sa promesse et évoqua l’aide possible de l’association française concernant l’agriculture à Yahové et de fil en aiguilles, petit à petit, une alliance fut créée avec les « Paris du cœur ».

C’est ainsi que, par un chuchotement, la voix de Naouma put résonner dans toute la contrée de Gao. 

 

 

 

 


Publié le 27/03/2022 / 1 lecture
Commentaires
Publié le 27/03/2022
Plusieurs thèmes se retrouvent dans ce texte prosaïque mais parfaitement rédigé. Il me rappelle un excellent film que j'ai été voir début février "marcher sur l'eau" qui montrait le problème de l'eau, de la centralisation, de l'éducation, du rôle de la femme mais aussi et peut-être surtout l'imbrication de ces différents éléments. Merci pour ce texte qui rappelle un mode de vie qui nous est inconnu. Je trouve néanmoins que ce texte et le film ne vont pas assez loin car ils négligent un point essentiel, l'auto-suffisance africaine qui, sans le pillage de l'Occident, serait une réalité.
Publié le 27/03/2022
Merci pour ton commentaire. Pour ce défi, j'ai pris le temps de me documenter avant d'écrire car j'avoue que la sécheresse en Afrique est un thème que je ne maîtrise pas du tout. Il est donc en effet possible que j'ai omis d'aborder certaines problématiques. Merci en tout cas
Publié le 27/03/2022
Mais en tout cas merci pour ton commentaire
Publié le 27/03/2022
Un bel hommage très bien documenté, et qui donne une bonne image de l'homme pour une foi. Il est vrai d'autre part que l'occident a pillé l'Afrique. Mais souvent les plus grands ennemis de l'Afrique furent et sont toujours les chefs d'état et gouvernements africains qui vident les caisses des états à des fins personnelles
Publié le 27/03/2022
"Mais souvent les plus grands ennemis de l'Afrique furent et sont toujours les chefs d'état et gouvernements africains qui vident les caisses des états à des fins personnelles": C'est bien triste car je sais malgré tout que ces peuples ont de grands besoins d'argent, d'eau, et d'aide... Merci pour de m'avoir lue et de ce gentil commentaire
Publié le 29/03/2022
Ta Naouma est pleine de sagesse. Il en ressort un effet de douceur et d’équilibre sur l’ensemble. De ton côté, on sent le travail sérieux et documenté. Et la référence de Balavoine m’a renvoyée loin en arrière ; comme ça fait du bien de se souvenir de ces personnes au cœur large :)
Publié le 29/03/2022
Merci Allegoria. En effet, j'ai dû beaucoup me documenter pour participer à ce défi ne maîtrisant pas le sujet. Je me suis d'abord souvenue de cette généreuse association créée par ce chanteur engagé, j'ai cherché d'autres infos, et le texte s'est écrit tout seul ensuite. Merci pour ce gentil commentaire
Publié le 29/03/2022
Un bon texte dans lequel on adhère facilement du fait qu'il soit documenté, ce qui apporte la dose de crédibilité qu'il fallait pour valoriser les connaissances de cette femme de science qui connais aussi les leviers du développement durable. Le fait que ce soit au Mali dont nous suivons depuis quelques années les difficultés s'accumuler, contribue aussi à une attention particulière. J'ai également trouvé la chute très réussi... j'aime ces murmures qui lézardent les cuirasses de l'ignorance... merci Vickie.
Publié le 30/03/2022
Merci Léo pour ce gentil commentaire. Concernant la chute: j'ai aimé l'idée que son père lui fasse confiance au point de l'écouter en portant sa voix auprès de ceux qui ne veulent pas l'entendre :) Merci encore
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