Mes marins me lièrent pieds et poings,torse et jambes, au mât principal, suivant en cela mes ordres. Mon cou même, était attaché par un double noeud coulant, afin d'empêcher toute gesticulation qui aurait pu rendre mes liens plus lâches et favoriser une possible libération.
Ainsi, la seule manière de me libérer serait que les sirènes elles-mêmes tranchent les cordes, ce qui, s'il fallait en croire Circé, ne se pouvait.
Notre embarcation, toutes voiles rentrées, se dirigeait vers l'extrême pointe de l'île, poussée par un courant dominant. Nous l’aurions bien contournée, si le besoin d'eau douce ne nous contraignait à débarquer. La mer, d'abord bleu sombre, devenait vert pâle, ce qui indiquait que nous avions passé les grands fonds. Mais nous ne courions aucun risque d’échouage sur notre navire à fond plat. Le soleil entamait son dernier quart, à l'ouest. Mais le ciel était toujours clair, pâle, dépourvu de nuages, bordé en quelques endroits de jaune, d'orange.
Alors que notre embarcation longeait la rive, je distinguai un point d'eau douce, sorte de jet jaillissant de terre sans discontinuer. Au sol étaient des récipients, sorte de seaux de bois cerclés de métal qui semblaient avoir été déposés à dessein, plus qu'abandonnés. Je hélai le barreur, sourd et eunuque, seul ètre à bord qui n'était pas ligoté et lui demandai d'orienter le navire vers la source. M'entendit-t-il ? Je ne sais. Mais, le bateau se dirigea vers le point souhaité. C'est alors que je la vis, elle, Circé la merveilleuse, que j'avais pourtant abandonnée bien loinderrière, qui me souriait.
« Ulysse, viens vite ! » J'ordonnai aussitôt à mes hommes de me détacher. Personne ne réagit, sinon l’eunuque qui s'empressa de refermer une paire de fers sur mes chevilles. Je commençais à pester contre cette infirme trop zélé. Mais, au même moment, j'entendis les appels de mes marins aux oreilles bouchées. «Ariana ! » « Helena ! »
« Sophia ! ».
Chacun, regardant Circé, lui criaient un prénom quin'était pas le sien. Alors, je compris. La nymphe, pour attirer les marins prenait pour chacun l'apparence de l’ètre aimé, ou plutôt désiré, car l'eunuque n'avait pas réagi.
Je hurlai alors, à l'adresse de la nymphe :
« Moi, Ulysse, roi d’Ithaque, je te dis : tu n'es pas Circé,
mais fille de Néère ».
Démasquée, elle laissa apparaître son visage plat à la face de tous les marins. L'eunuque qui tenait un harpon le lui planta entre les deux yeux.
Tout danger était écarté. Nous pouvions mettre pied à terre. Je demandais à mes matelots de me détacher. Mais, zélés, ils doublèrent mes liens.
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Marcel nous a quitté le 29 avril 2020 et c’est avec l’accord de son épouse et avec le souvenir de tous ses amis que nous sommes très heureux et émus de continuer à faire connaître ses textes et son talent que vous retrouverez sur ce compte. N’hésitez pas à vous y abonner, à partager ses textes, et à laisser des commentaires pour faire perdurer ses textes et son souvenir.