Ce texte participe à l'activité : Encre et rédemption

 

Vincent j’ai changé l’eau de tes fleurs.  

J’ai une lettre dans la poche. Je l’ai reçue hier, je ne l’ai pas ouverte. Je pensais que près de toi ce serait plus facile. J’ai encore le regard vide. Je reviendrai demain. 

On est demain. Je suis lâche. Et tu ne mérites pas ça. Tu sais je me suis rendue à la prison. Plusieurs fois après toi. J’avais besoin de comprendre. Et que tout ça n’ait pas servi à rien. Je reviendrai demain pour la lettre. 

J’ai mis plus d’une semaine. Cette foutue lettre encore dans la poche.

Aujourd’hui ça fait huit mois que tu es parti. 

 

“Madame Audrey, 

Je suis pas douée avec les mots. Même si j'apprends un peu à la prison. J’ai pas fait d’études. Vincent il s’en fichait. Comme de tout le reste. Je veux vous dire merci d’être venue et je m'excuse d'avoir toutes les fois gardé ma bouche fermée. Votre frère il m’a toujours parlé en bien de vous. Il vous a dit ce que j’avais fait et vous avez dû rien comprendre. Déjà quand il était mon voisin il était gentil. Il aurait pu gueuler le jardin c’était pas un jardin et je vous raconte pas la maison même de dehors. Alors que lui c’était tout propre. Il avait voulu aider. Mais ça mettait hors de lui Louis. Et il s’en prenait à moi et au petit. 

Un soir je suis rentrée des ménages et Louis il avait fait boire Kévin. Kévin il avait 6 ans. Il a vomi vous imaginez bien. Alors il l’a roué de coups. Mon fils il était par terre avec du sang partout. Je l’ai pris et je suis partie très vite. Je voulais l’emmener à l’hôpital. Et pis j'ai vu le virage j'ai pas freiné j'ai foncé dans la balustrade et on est tombé. Y avait de la hauteur et de l’eau en dessous je savais. Je pensais rien juste qu’on se noye que tout s’arrête. Des gosses étaient en bas à faire la fête. Ils nous ont sauvé moi et le petit. 

Et votre frère il est venu toutes les semaines. La prison c’est pas facile mais je l’avais bien méritée. Et j’ai pas pris assez cher je peux avoir une libération conditionnelle. Et Vincent il m’a convaincue que j’étais pas mauvaise que je devais m’accrocher que j’avais le droit de tout recommencer. Je pouvais plus jamais avoir mon fils mais c’est mieux vu ce que j’ai fait. C’est pire que ce que son père lui a fait. Il va avoir ça toute sa vie. Et pis votre frère il est venu une dernière fois il a eu son accident en repartant et j’ai encore fait du mal. À Vincent à vous aussi et à vos parents. Aujourd’hui je voudrais qu’on ait sauvé que mon petit. Ce serait plus facile pour mon Kévin et votre frère il serait encore là. Je m’excuse madame. Je veux vous dire que Vincent c’est la seule chose bien avec mon bébé que j’ai eu. 

Au revoir Madame merci beaucoup d’avoir voulu parler avec moi. Mais je pouvais pas. 

Rose Bourdot” 

 

Quand j’ai reçu cette lettre, j’avais appris la veille que Rose avait mis fin à ses jours. Je suis contente de l’avoir lue auprès de toi. Je suis triste écœurée effondrée par tout ce gâchis.  

Mais je t’aime mon frère. 

 


Publié le 11/11/2021 /
Commentaires
Publié le 11/11/2021
Je n'ai absolument pas respecté les consignes. Je n'aurais pas su le faire. J'ai écrit ce texte après avoir lu cette proposition de défi. Et si j'ai hésité, j'ai pensé qu'il était plutôt juste vis à vis de l'auteur du sujet de l'y intégrer ici. J'ai hâte de lire des productions qui tomberont un peu moins à côté !
Publié le 11/11/2021
Votre participation prend sa source dans l'énoncé du défi et c'est intéressant de lire ce qu'il a provoqué et activé en vous. Cela reste dans la thématique de la rédemption et du pardon. Je trouve interessant la façon dont vous avez introduit votre texte, cette lettre dans la poche, cette mise en scène décalée et indirecte pour susciter l'attention. Et puis cette lettre, aux mots simples et de toute évidence sincères, qui colle à un personnage dont effectivement vous parvenez à faire naître un peu d'empathie. Et tout cela en très peu de temps, bravo. Que de vies gâchées... merci pour ce partage.
Publié le 11/11/2021
C'est certain, la prison punit rarement le coupable seul, et entraîne de nombreuses vies gâchées. Et encore, de l'extérieur il est facile de juger un coupable ; c'est pourtant presque toujours prendre des raccourcis...
Publié le 11/11/2021
Je trouve ce montage épistolaire très beau. La voix pour commenter le désastre est belle et tient bien le rôle du milieu. Cette personne un peu extérieure qui peut relater le drame a la sagesse d'une sorte de Madame de Rosemonde: elle fait l'état des lieux à la fin des Liaisons D. La prison, c'est bien pour écrire sur la dangerosité des liaisons justement.
Publié le 11/11/2021
J'ai été surprise par le parallèle que vous faites avec Les Liaisons dangereuses. Les lectures sont plurielles, c'est ce qui en fait souvent l'intérêt.
Publié le 11/11/2021
Eh bien, chère Allegoria, vous qui pensiez me décevoir. Hors sujet? Comment donc! Le sujet est parfaitement maîtrisé, même si vous avez fait le choix d'une certaine liberté. Vous m'avez emporté, embarqué, déboussolé. Je ne m'attendais pas à ce contrepieds de haut vol. votre prose minutieusement travaillée dans cette simplicité si difficile à rendre sur le papier sans tomber dans le vernaculaire. Cette prose est bouleversante. Elle rend hommage aux gens de peu avec tant de respect, elle est à ce point dans la vérité des personnages, que l'on regrette juste qu'elle n'étaye pas un roman en entier.
Publié le 11/11/2021
Et c'est bien cela l'écriture: oser, créer, jouer d'audace et de liberté. Merci Allegoria. Il y a des moments comme cela où l'on est heureux de se sentir tout petit.
Publié le 12/11/2021
Cette pluie de compliments est sans doute un peu due au fait que vous vous attendiez à être déçu :) quoi qu'il en soit, je prends avec plaisir : les critiques positives ont toujours le pouvoir de booster ! Quant à Rose, j'ai cherché à ne pas la stigmatiser. Je suis touchée que vous ayez pu y être sensible. Merci encore. Au plaisir de vous lire !
Publié le 12/11/2021
Non je ne m'attendais en rien à être déçu. Mais votre prose, précisément, me touche beaucoup. Elle représente mon adn d'auteur. Et il n'est pas simple de travailler et de modeler la simplicité. J'ai observé de plus prés votre écriture, et j'y ai vu le travail accompli, cette frontière si fine entre le langage parler populaire et le travail littéraire. Un grand bravo mérité chère Allegoria.
Publié le 12/11/2021
Merci de vous être arrêté sur ce travail de fond Fabien. Belle soirée :)
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