Quand l’amoureux perpétuel de Marie-Gabrielle revint gratter à sa porte « pour prendre des nouvelles » comme les fois précédentes, elle soupira d’agacement. Par lassitude, recoucherait-elle avec son ex., Maxime 2 ? Bien décidée à en finir, elle opta pour la ruse. Ce fut alors qu’une idée de mensonge délicat s’imposa à elle. Si elle jouait bien, elle pourrait peut-être même l’écarter définitivement de son chemin, subtilement.
Alors au lieu de se barricader comme elle l’aurait fait habituellement, Marie-Gabrielle n’opposa cette fois aucune résistance à la venue de Maxime. Tout autrement, elle l’accueillit d’un grand sourire amical pour lui offrir un thé. Loin d’être amicales, les roses qu’il tenait à la main derrière sa veste dévoilaient d’autres intentions. Le jeune homme se sentait pousser des ailes en voyant sourire Marie-Gabrielle et se montra particulièrement en verve. Elle lui était revenue. Pendant qu’elle refroidissait son mélange agrume-vanille-fruits rouges qui embaumait sa cuisine, Marie-Gabrielle inspira son courage dans l’odeur réconfortante de son thé préféré. C’est alors que l’éternel transi lui posa la question qu’elle redoutait tant.
— Marie-Gabrielle, as-tu quelqu’un dans ta vie en ce moment ? — demanda-t-il, les yeux pétillants d'une curiosité à peine dissimulée.
Il voulait remettre ça. Évidemment. Comme les dernières fois, Marie-Gabrielle hésita un instant, tout en fixant la vapeur qui s'élevait de sa tasse comme pour trouver l’inspiration pour le mensonge du siècle. Il s’agissait de trouver une issue différente à cet éternel retour de Maxime 2. La porcelaine chaude réchauffait ses mains gelées et lui donnait du courage pour improviser. Elle se fendit d’une réponse honnête.
— Non, mais ça ne me manque pas.
Ce faisant, elle soulagea sa conscience, car tout ce qu’elle disait était vrai. Elle était bienheureuse d’être seule. Toujours en contemplant les nuées de vapeur qui s’élevaient de sa tasse fumante, elle ajouta d’un ton mystérieux de Pythie :
— Tu sais, depuis notre rupture, je prie beaucoup.
La ruse s’amorçait. Une parodie commençait alors que dans sa cuisine entrait un joli cheval de Troie.
Maxime écarquilla les yeux comme prévu lorsqu’il entendit le mot « prier ». Alors, Marie-Gabrielle comprit que son plan fonctionnait à merveille. Elle ajouta une phrase bien sentie, un aphorisme à la Oscar Wilde qu’elle prenait pour clore toute discussion.
— Tu sais Maxime, la passion amoureuse brûle, mais je cherche un amour qui réchauffe.
Le cheval grec entra dans Troie. À l’écoute de cette sentence, Maxime se figea un moment, afficha un air surpris, puis hocha lentement la tête. Il s’abîma dans une réflexion profonde. À coup sûr, il ne s’attendait pas à trouver une sainte en venant la voir en grand costume de soupirant. Son embarras était perceptible car il faillit renverser la tasse qui lui brûlait les doigts.
— Ah.
— Touché ! — pensa Marie-Gabrielle en observant à la dérobée l’air décontenancé de son ex. À présent, il suffisait de laisser reposer l’idée d’un changement de vie dans la tête de ce garçon. Marie-Gabrielle laissa quelques instants de silence s’installer plaisamment entre eux. Maxime semblait dans la lune et perdu dans ses pensées car il ne regardait plus Marie-Gabrielle. Il semblait sonné et déçu. De toute évidence, son retour chez Circé ne se déroulait pas comme prévu. Il ne coucherait pas avec elle ce soir et repartirait vers Ithaque de son côté. Chez lui.
Marie-Gabrielle décora son cheval de Troie d’une belle allusion.
— Évidemment, j’ai beaucoup développé ma vie spirituelle…
Maxime leva un sourcil, les yeux remplis de pourquoi. Il devait l’imaginer en plein trip yoga, mais elle allait le détromper par une confession bouleversante façon Mange-Prie-Aime.
— Peut-être seras-tu surpris Maxime, mais notre rupture a été salutaire, je vais à la messe deux fois par semaine depuis quelques mois. L’amour passion aliène alors que l’amour de Dieu réchauffe. Je me suis fait de nouveaux amis qui prient beaucoup aussi. J'ai bien fait de rompre avec toi.
Maxime haussa un sourcil, un brin moqueur :
— Le genre catho., bref.
Marie-Gabrielle sentait la raillerie mais refusa de se laisser décontenancer. Elle passerait à autre chose. Exit Maxime 2. Dehors dès ce soir. Aussi, elle répondit avec calme et conviction :
— Non, le genre impliqué existentiellement. Le genre pèlerinage, chants, retraite spirituelle.
À présent, Maxime soupirait d’agacement devant une tasse de thé brûlante alors que son désir refroidissait à vue d’œil. Bernadette Chirac nue sous la neige aurait été plus excitante. En plus, il n’aimait pas le thé mais il en prenait car Marie-Gabrielle aimait cela. Marie-Gabrielle observa l’expression déconfite de Maxime avec satisfaction. Rien ne tournait comme prévu pour lui mais comme c’était drôle !
Maxime croyait que Marie-Gabrielle était devenue rasante, mais peut-être cela lui passerait-il après une soirée au lit, pensait-t-il. Erreur.
Il s’agissait de le détromper car ce n’était pas une toquade qu’une conversion religieuse. Il fallait que le désir de Maxime pour Marie-Gabrielle s’éteigne définitivement. Aussi Marie-Gabrielle commença à grossir le trait de sa nouvelle vie spirituelle. Elle prit un ton d’exhortation digne de Sister Act.
— Tu sais Maxime, certains se posent la question de leur destination : ils ne pensent pas être faits pour le mariage mais plutôt pour la vie consacrée. Ce sont des questions qui se posent dans la vie, je trouve… et toi quelle vie choisiras-tu ?
La question était sincère. Très sincère. L'ex-amoureux regarda Marie-Gabrielle avec incrédulité. Il semblait mordre à l’hameçon. Alors même que l'expression de Maxime accréditait la renaissance spirituelle de Marie-Gabrielle, sa répartie exprima un dernier doute au regard du passé de son ex petite amie qui demeurait une joueuse de première catégorie :
— Attends, tu n’es pas sérieuse ? Ne me dis pas que tu veux devenir religieuse, Marie-Gabrielle ? — s’offusqua-t-il tout en riant nerveusement.
En guise de réponse, Marie-Gabrielle sourit béatement. Le message était clair. Elle était morte pour les hommes et pour Maxime 2 en particulier. Elle lui réserva un sourire lénifiant en le regardant dans le fond des yeux. Il songea à une madone. Cette madone le toisait avec sa bonté angélique :
— Non, je ne dis pas cela Maxime, c’est beaucoup trop tôt pour parler de vie consacrée, de devenir religieuse, mais je chemine spirituellement, tu vois…
Marie-Gabrielle cheminait donc vers la sainteté en riant intérieurement. Une Sainte. L’horreur, devait penser Maxime qui possédait d’autres plans pour la soirée. L’amoureux ouvrit des yeux effrayés comme un animal pris dans les phares d’une voiture. Un éclairage de l’Esprit Saint certainement. On pourrait le remercier. À l’expression « je chemine spirituellement », Maxime se leva brusquement, détourna le regard de Marie-Gabrielle en fixant la sortie comme on chercherait une issue de secours. Marie-Gabrielle demeura sur sa chaise pour l’entendre bredouiller.
— Merci pour le thé, mais je dois y aller Marie-Gabrielle.
La porte d’entrée grinça. Enfin, depuis la cuisine, Marie-Gabrielle entendit la porte de l’appartement claquer. Elle soupira de soulagement. Par la fenêtre, Marie-Gabrielle observa Maxime remonter sur sa moto avec la certitude de ne le revoir jamais. Un instant de silence. À ses oreilles, la moto vrombissait encore au loin alors que sa bouilloire sifflait gaiement. Marie-Gabrielle avait joué comme une reine.
— Gagné !
Il restait à savourer paresseusement sa victoire. La chaleur du thé offrit un réconfort bienvenu à Marie-Gabrielle. Maxime avait laissé les roses qu’elle arrangea dans un vase. Un ensemble charmant. Une fois débarrassée de cet ex petit ami boomerang, Marie-Gabrielle se servit sa deuxième tasse de thé tout en se demandant ce qu’il convenait de faire avec Maxime 1. En effet, elle n’avait réglé qu’une partie du problème avec Maxime 2.
En sortant son vernis à ongles, elle songea que bien sûr, sa vie deviendrait compliquée si elle jouait de malchance en rencontrant à chaque fois des hommes qui portaient le même prénom.
AE. Myriam 2024
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