Tôt, ce vendredi matin, un de mes jeunes frères vivant à l’étranger, mais dont le cœur habite à la ruelle Chavannes, m’envoie un bref message: «Presses Nationales, rue du Centre, saccagé». Il sait parfaitement que nous avons deux générations d’histoires avec l’Institution.
Je m’habille immédiatement, à la recherche de Mr. Ronald Saint Jean.
Je découvre sur une cour de Pétion-Ville un citoyen qui semble revenir de l’Himalaya asiatique à pieds nus. Visiblement, en quelques heures, après avoir vu s’envoler une partie de sa vie, de ses sueurs, de ses rêves, il a gagné au moins une décennie d’âge. Le serviteur est en larmes, effondré; il a été violemment privé de sa liberté, kidnappé pendant 15 lourdes minutes, immédiatement après avoir douloureusement constaté l’immensité des dégâts, car le cœur qui bat (la machinerie lourde) aux Presses Nationales se trouvait jusque tout récemment au 231-233 de la rue du Centre.
Des quartiers historiques, des écoles respectées et tant d'institutions respectables subissent quotidiennement un Hiroshima/Nagasaki complexes. En une occasion j'affirmais, «quelques heures au 231-233 de la rue du Centre équivalent à une année de cours à l'université»! Ironiquement, nous prétendions que les feuilles du manguier sur la cour disposeraient de capacités prémonitoires en conjonctures politiques agitées… Nos feuilles n’ont pas vu venir la disparition d’une partie de nos archives uniques.
J'ai franchi l'imposante porte transparente de la réception au début de la décennie 70. L'édifice était sécurisé 24/24 par un détachement de la Garde Présidentielle. L'alors photo 24.36 du Dr. François Duvalier, avec ses épaisses lunettes, donnait l'impression que Son Excellence veillait sur toute la rue du Centre...
Certains observateurs avancèrent que la décision du Président Duvalier de militariser le bâtiment dès septembre 1961 reflétait le caractère de son régime. Rappelons qu'en 1864, l'institution se trouvait dans le même édifice que le Ministère de la Guerre.
Aux cabinets respectifs de Me. Constantin Mayard Paul (rue Pavée) et de Me. Jean Vandal (rue des Miracles), mes pères spirituels, on pouvait apprécier les différentes générations de reliure des artisans de l'Imprimerie Nationale (1845), de l'Imprimerie de l'État (1933) et des Presses Nationales d'Haïti (1965), organismes qui succèdent à l'Imprimerie du Gouvernement du début du 19ème siècle. Nous ne savons pas avec exactitude pourquoi la rue (rue Roux)qui porta le nom du premier imprimeur de l'État haïtien, Pierre Roux, devint aussi siège des grandes librairies de l'ancien Port-au-Prince et des bouquinistes. La rue Roux sera par la suite rue Bonne Foi, actuellement rue Dr. Martelly Séïde. Rappelons qu'en certaines occasions le bureau principal du journal officiel se trouvait en la résidence de son Directeur, imprimeur du Gouvernement.
Si cette institution, vieille de 220 ans, n'a pas eu ses photographes, il suffit toutefois d'un regard patient pour constater l'envergure. Ses collections de publications et de journaux numérisés sont accessibles dans plusieurs grandes bibliothèques (BnF, UFDC, etc). Souvent, on est bien obligé de s'interroger pourquoi l'État minimise les missions de conservateur de bibliothèque et de gardien du patrimoine directement associées à l'imprimeur officiel.
Enfin ! Lorsque Bolívar revint en Haïti en 1816, il y resta six mois. Il obtint de nouvelles ressources de Pétion, parmi lesquelles il y avait plus de 6000 fusils avec leurs baïonnettes, munitions, plomb, nourriture, une presse à imprimer complète [ de l’Imprimerie du Gouvernement, ancêtre institutionnel des Presses Nationales d’Haïti], le fret de quelques goélettes et de l’argent, plus une poignée de volontaires». Source: Pedro Arciniegas Rueda, ¿Qué habría hecho Bolívar sin Haití? 27 enero 2010
(Extraits de: L’histoire d’Haïti d’un contribuable inquiet...)
Gilbert Mervilus