Confidences d'un chat au look psychédélique, inspiré du tableau d’Annie-Pierre Collin
J’AIME KELVIN, mon maître, il est cool.
J’étais un chaton noir et blanc, normal, peu à peu, j’ai évolué, mon pelage s’est bigarré et mon esprit un peu barré. J’ai absorbé plus de restes que Kelvin laissait tomber par terre que de croquettes bio. Ce menu à base de miettes de pizzas, drôle de champignons, divers fonds de tasse et poudre blanche… m’ont donné un aspect psychédélique.
Je ne m’en plains pas, je suis maintenant original, unique, remarquable. C’est ce que me disent les chattes du quartier désireuses d’en finir avec les chats trop bien léchés. C’est connu, elles préfèrent les matous du genre O’Malley, du genre mauvais garçon.
J’en profite. J’enchaîne les conquêtes qui veulent s’éclater et miauler avec moi. En ce domaine, je fais fort, beaucoup plus que mon maître qui n’a plus trop la pêche.
Tout jeune, Kelvin aussi était normal, puis tout est parti en sucette à l’adolescence. Quand il m’a recueilli, les voisins derrière son dos, le disaient bizarre, punk, drogué… mais gentil.
Bien sûr qu’à la longue, à force de manger ce qu’il laissait traîner et de respirer le même air que lui, j’ai fini par lui ressembler.
Les femmes du quartier et leurs enfants ne me prenaient plus dans leurs bras. Nos toilettes en trois minutes maxi nous font le poil hirsute, emmêlé et des odeurs enracinées. La différence, c’est que côté cœur (façon de parler), moi, loin de me nuire, ça me réussit.
La belle rousse de la porte d’à côté a, je pense, un peu pitié de moi. J’en joue et obtiens presque chaque jour des croquettes et des mots aimables. Elle est superbement roulée, même Kelvin la regarde avec envie. Mais, elle est à la colle avec un boxeur pro ; lui, avec ses cinquante-quatre kilos mal répartis et des réflexes bien ralentis, il hésite. Pour Kelvin, refaire surface et avoir sa chance, c’est foutu.
D’ailleurs, quand on va chez le véto, l’assistante me donne un coup de brosse avant de me caresser, pour lui, rien, nada. Le véto est inquiet pour notre santé. Je sens bien qu’il hésite à soigner Kelvin, il craint l’ordre des médecins. Moi, je ronronne dans les bras de la blonde et hérisse le poil dès qu’il veut me prendre.
Kelvin ressort enduit de compassion, moi de caresses et respecté. Finalement, une visite chez le vétérinaire, quand on’a rien, c’est sympa.
Ma vie me convient. Mais, ils ont dit que je ne passerais pas les neuf ans. Neuf ans de paradis artificiels, de liberté et d’amours tonitruantes, c’est bien mieux que douze longues années émasculé, obèse et en liberté conditionnelle. Sûr, au cabinet, ils ne devraient pas parler à haute voix devant moi.
C’est pour Kelvin que je m’inquiète, plus tard, qui le surveillera ?
Tenez, aujourd’hui, activité folle : des pommes jetées sur une pâte à tarte et hop, au four. Cet effort l’a laissé sur le flanc, il s’est effondré sur le canapé. Sur sa tablette, il a tenté de suivre une conférence intitulée « Spiritualité quantique ».
Ça n’a pas raté, j’ai senti l’odeur de brûlé et j’ai dû sauter sur sa tablette, miauler.
J’adore la tarte aux pommes.