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Titre provisoire Resuscitare
Chapitre 4 : Yazid & Antonia

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C’est à partir de la Royal Mail Holdings public limited company que l’histoire de Yazid, agent des postes, rejoignit celle d’Antonia et par ricochet la mienne. Un beau matin, en arrivant sur sa place de facteur, une lettre assez spéciale, tout à fait inhabituelle, l’y attendait. Elle attira son attention tout d’abord, parce que l’enveloppe avait été confectionnée à partir de la page d’un magazine soigneusement découpée et pliée. Ensuite, c’est son affranchissement qui heurta Yazid. C’était un faux, un faux fantaisiste pour lequel l’auteur avait imité le graphisme classique d’un timbre, mais d’un timbre qui n’existait que dans son imagination. En effet, en plus de la mention «Postage revenue» et de la valeur, le visage de l’homme barbu figuré sur le timbre n’avait jamais existé. Il n’était que pure invention du contrefacteur qui avait même façonné toutes les dents de bordure. Comptez-en soixante-six pour le format standard! Il faut vraiment n’avoir rien d’autre à foutre ou être complètement fauché pour découper très régulièrement soixante-six demis ronds dans un bout de papier de cinq centimètres carrés! La découverte de ce travail aussi précis que dérisoire toucha Yazid. «Dépêchez-vous, facteur. C’est une lettre d’amour!» indiqué à gauche de l’affranchissement acheva de l’émouvoir. Peut-être n’avait-il rien d’autre à foutre ou était-il complètement fauché, mais ce dont Yazid était sûr, c’est que le faussaire était amoureux fou. Les nom et adresse du destinataire apprirent aussi à Yazid que l’expéditeur était sûrement une expéditrice car la lettre était destinée à un monsieur qu’il ne connaissait pas mais qui habitait au premier étage d’une librairie qu’il connaissait bien.

C’était amusant et tellement plus glamour que les lettres de rappel du gaz ou les invitations à se présenter à la Town House que, non sans s’être permis d’écrire en tout petit «J’suis au taquet», Yazid emmena la petite œuvre d’art aussi sec pour la déposer dans la boîte aux lettres de l’aimé. Quelques jours plus tard, une lettre sœur arriva, mais la même fantaisie ouvragée pour l’enveloppe et la contrefaçon adorable pour le timbre étaient cette fois augmentées d’un petit mot à l’attention de Yazid «Merci facteur!» signé «la petite souris grise». Se sentant plus proche de la mystérieuse expéditrice, intégré dans son cercle, un cercle dans lequel, en principe, un facteur n’entre pas, Yazid se sentit proche d’elle et de lui, autorisé à un peu exister au sein de leur idylle. Il eût une idée, Il ajouta «Jouons! Je vais essayer de vous deviner. Qu’en dites-vous?» Ce n’était peut-être pas le printemps, mais dans son esprit, ça l’était, c’était gai, c’était doux. À partir de là, les échanges plus ou moins hebdomadaires se succédèrent. La petite souris grise était jeune, mais moins qu’il l’avait imaginé. Ses cheveux étaient roux et elle s’habillait plutôt sexy, en cuir notamment. Elle n’avait suivi aucune formation artistique, mais elle était modèle et gagnait sa vie en posant. Sa peau était «pâle, peut-être même un peu trop.» Elle habitait dans le centre où elle s’était acheté un petit appartement. Elle ne possédait pas de voiture. Oui, elle fumait et n’avait jamais imaginé arrêté. Elle n’avait pas d’enfant. Elle mesurait environ un mètre septante-cinq. Elle s’intéressait à…

De nuit, assis durant huit heures sur des tabourets pivotants, souvent avec une cigarette au bec dont les cendres tombaient avec la lenteur des flocons de neige sur leur tablier d’un gris bleu aussi fatigué que leurs yeux, les trieurs, connaissant par cœur toutes les rues de la ville, jetaient les lettres à la fréquence d’une et demi par seconde sur des étagères métalliques compartimentées. Mais de lettres de la petite souris grise, il n’y en eût jamais plu qui passèrent entre leurs mains.

Chaque jour un facteur doit distribuer environ soixante kilos de papier. La charge étant bien trop importante, la Poste, dans son infinie sagesse acquise à l’époque lointaine où elle était un service public, avait créé les surcharges, des portions de courrier déposées par les chauffeurs en différents points le long de l’itinéraire du postier. La première, Yazid la récupérait dans un Tea Room du quartier de The Lanes. Après des débuts réservés et discrets, très progressivement, Jenny, la serveuse du matin et lui s’apprivoisèrent. Yazid avait besoin qu’on ne brusque pas les choses, Jenny aussi. Après les quelques mois nécessaires à ce qu’il se sente vraiment chez lui au That Little Tea Shop in the Lanes, chaque jour, deux minutes avant qu’il pousse la coquette porte d’entrée en bois blanc, Jenny le voyait passer sur le trottoir d’en face si bien que son expresso l’attendait sur le comptoir quand il s’installait face à elle. Pendant qu’il le buvait et qu’elle terminait la découpe des citrons, ils bavardaient.

Un matin, alors que Yazid, de sa voix un peu forte, finissait de raconter à Jenny l’histoire de la petite souris grise, une cliente quitta, pour les rejoindre, la table où elle était installée. Jeune, petite habillée d’un pull-over ligné rouge et orange surmontant un jean à pattes d’éléphant et des converses, elle leur dit sur le ton de la confession «Excusez-moi, je ne voulais pas être indiscrète, mais j’ai entendu votre conversation. La petite souris grise, je la connais. L’histoire que vous venez de raconter, je la connaissais. La petite souris grise est une très bonne amie à moi et cette histoire, elle me l’a racontée. Je suis sûre qu’elle ne m’en voudra pas de vous révéler son prénom, Antonia.»

La fille au pull-over ligné rouge et orange, Yazid l’avait rencontrée plus tôt, à l’occasion de la livraison des paquets qu’elle commandait régulièrement sur des sites de seconde main. Elle habitait à proximité du Tea room, au 26. Sa boîte était la deuxième en partant du haut, celle avec le Dymo «Linda Johnston». L’après-midi même, Yazid sonna chez elle afin, il l’espérait, qu’elle lui organise un rendez-vous avec Antonia. «C’est incroyable! Je viens de l’avoir au téléphone. Je l’avais appelée pour lui raconter l’histoire de ce matin. Elle aussi aimerait vous rencontrer.»

Parfois, pas souvent, c’est même très rare, lors d’une rencontre, une inexplicable certitude illumine tout. Aucune inhibition, aucun frein, ni aucune convenance formelle n’existe plus. Un partage évident émerge instantanément de nulle part. Aucun malentendu n’est à craindre aussi longtemps que dure le miracle, parfois une soirée, parfois une vie. C’est exactement ce qui se produisit entre Antonia et Yazid lorsque, le soir même, il se rencontrèrent chez Linda.

Quand il arriva dans l’appartement mansardé, Antonia s’y trouvait déjà. À son entrée, elle posa sa tasse de thé sur la petite table en rotin devant elle avant de se tourner vers lui et de lui offrir un vrai beau sourire.

  • «Je suis si heureuse de voir le visage qui se cachait derrière notre petite histoire. Il aurait un prénom?»
  • Yazid. Je m’appelle Yazid, Antonia.»

Pendant qu’avec un accent russe très prononcé, elle parlait de son amour pour la danse, de son père accordéoniste et de sa mère chanteuse, le téléphone de Yazid sonna.

  • Attends! Ne réponds pas tout de suite, laisse un peu sonner, s’il te plaît! C’est si beau, cette sonnerie! C’est quoi?
  • C’est ma grande soeur Haya, elle chantait tout le temps… Écoute… Ce son, c’est elle juste avant la récolte, au pied du grand olivier olivier de notre verger, debout sur un escabeau au milieu des autres cueilleuses et des enfants… Tu entends, sa voix? Toute la chaleur de sa voix? Comment elle espère, demande, implore? Ça ne se répète jamais, ça varie tout le temps… Ensuite, écoute! Tu entends? J’adore! À l’unisson, les voix des autres femmes se joignent à la sienne. Il n’y a rien de plus joyeux que des voix de femmes à l’unisson… Ah oui, maintenant, tout le groupe commence à frapper dans les mains. Tu sens comme ça t’emporteavec la derbouka du cousin… Tu as vu comment on est passé sans s’en rendre de l’espérance initiale à l’allégresse finale ?
  • C’est magnifique! C’est lyrique! C’est musical! C’est plus que beau! C’est comme un morceau d’humanité! C’est comme si la musique vivait!
  • Si tu veux, je peux te l’installer sur ton téléphone.
  • C’est vrai? Tu pourrais? J’adorerais!
  • Ce n’est pas si compliqué. Je le fais tout de suite. Ça aurait fait plaisir à Haya, j’en suis sûr. Il n’y aura que nous deux dans l’univers à avoir cette sonnerie!
  • Tu m’as l’air drôlement débrouillard pour ces trucs!
  • Tu n’as même pas idée!» Je lui ai dit en riant.
Publié le 20/02/2025 / 24 lectures
Commentaires
Publié le 08/04/2025
Bonsoir Patrice, ce quatrième chapitre n’a rien à voir avec les précédents et il mériterait d’être un nouveau premier chapitre d’un nouveau roman. On sent que tu tâtonnes dans la mise en place, et je le comprends, c’est très dur de poser les premières lignes d’une nouvelle histoire, et l’on a du mal à gérer les informations importantes qui nous semblent importantes de mettre pour attiser la curiosité du lecteur. Il faut laisser reposer et enchaîner sur la suite, tu reviendras immanquablement en arrière (et heureusement d’ailleurs). Les personnages semblent attachants et c’est déjà un très bon point, à suivre.
Publié le 08/04/2025
Merci Léo ! Je trouvais qu'il était temps de sortir un peu des ténèbres. Après ce vieux type complètement désespéré, l'arrivée de Yazid, personnage, jeunes, optimiste, qui jouera un rôle clef, m'a semblé offrir une pause au lecteur pour ne pas tomber dans une tragédie française d'après guerre où l'on broie du noir du début à la fin. La récupération de "La petite souris grise" va dans le même sens. Un roman noir doit-il n'avoir aucune fenêtre ? Mais je comprends ton point de vue. Et je te remercie de l'avoir exprimé. Je vais voir sur la longueur. Le chapitre suivant également est plus lumineux. Sinon pour ta remarque, je comprends qu'il puisse y avoir un manque de clarté. Je vais y revenir. Toutefois, j'ai insisté sur le là-bas où la situation était différente. Là-bas, nous étions mes trois sœurs, ma mère et moi, contrairement où ici, il n'y a plus que ma sœur, mon père et moi. Là-bas, nous avions un magasin de machines agricoles, en plus de ma cousine qui, là-bas, récoltait des olives. Je pense qu'on voit assez bien quel pays est figuré par le là-bas, la Palestine. Pour le pays, où se trouvait Yazid ensuite, il s'agit assez clairement de l'Angleterre puisqu'on parle de Tea room, de timbre anglais, de Linda Johnston, et de la Royal mail company. Il me semblait donc assez clair qu'il s'agissait d'une famille palestinienne réfugiée en Grande-Bretagne. Il aurait eu vraiment beaucoup de chance, le père, de retrouver un travail dans sa spécialité et à son rang. Donc, qu'il ait du se contenter d'un boulot dans le bâtiment me semble quand même pas trop compliqué à imaginer. Mais ce doit ne pas être suffisamment clair. Je vais voir ce que je peux faire. Merci encore !
Publié le 09/04/2025
L’Angleterre je l’avais (difficile de ne pas l’avoir effectivement) mais la Palestine pas du tout, aucun indice d’ailleurs ne permet de faire le rapprochement, absolument rien. Ce que l’on a en tête, le lecteur ne le voit et ne le comprend pas, de l’importance en se relisant de tenter de lire avec les yeux du lecteur, en mettant de côté sa logique pour ne s’appuyer que sur ce qui est écrit, car ce qui ne l’est pas appartient à l’imagination du lecteur (pour ma part je pensais qu’ils avaient déménagé de la campagne vers la ville sans avoir quitté l’Angleterre), parfois loin de la trame sur laquelle tu veux l’amener, et c’est ainsi que tu risque de le perdre et de multiplier les incompréhensions.
Publié le 09/04/2025
Oui, j'y ai repensé cette nuit. Je pense que je peux surtout faire l'économie de cette présentation. Elle est utile dans la mesure où elle explique que Yazid sera un super as en robotique mais je peux y revenir plus tard, plus légèrement. Merci ! ;-)
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