Tempus fugit

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Pardon si aujourd'hui je pousse un peu ta pierre

Sans frapper à ton huis : tu n'as plus de paupières.

Je sais qu'en me penchant au dessus de ton coffre,

Entre ces dalles de chant, c'est ton corps que tu m'offres.

 

La rondeur de ton crâne s'esquissant sous mes doigts

Est LE fil d'Ariane, caché, comme il se doit.

Déjà, tes deux beaux yeux qui ne sont plus que terre,

Se fixent, suspicieux, comme sur un mystère.

 

De ta bouche, tes dents, toujours un peu chafouines,

Sont dehors ou dedans, pourvu que l'on y fouine…

Mais à trop les traquer dans l'entrée verticale,

Je sens soudain craquer de fines cervicales.

 

Alors je suis, j'effeuille, ton cou de poupée russe

Jusqu'aux côtes mille-feuilles flanquées des humérus.

Je ressens immanent, sous ta cage câline,

En se dodelinant, tes vertèbres malines…

 

Et ce temps qui s'enfuit,

Ce temps qui a rempli lentement ton cerveau,

T'a doucement enfouit

Et ne tardera pas à le faire à nouveau.

 

Mais en suivant tes bras qui bougent et s'entremêlent,

Comme deux fins cobras, s'ouvrent tes mains jumelles.

Sont-elles sur ton torse, sur ton bassin ouvert ?

Malheur ! Sans ton écorce, elles ont pris les travers.

 

Rassemblant les phalanges en un tas inutile,

Je songe que ce challenge doit te sembler futile...

Mais passons, descendons ! Tes coxaux sont offerts,

Mouvement d'abandon d'un mortel aux Enfers.

 

Et ce temps qui s'enfuit,

Ce temps qui a rempli lentement ton cerveau,

T'a doucement enfouit

Et ne tardera pas à le faire à nouveau.

 

Sur ta jambe allongée se déroulent mes mains...

Mais mon esprit plongé dans ces siècles romains

Se perd en commentaires de vieux gratte-papiers.

Leur scandant de se taire, j'ai pu sauver tes pieds.

 

Un orteil par ci, un orteil par là,

Je mets cet os ici et lui, là ! Et voilà !

Sans doute est-ce à raison que tu me prends de haut :

J'ai rompu l'oraison qui te mis au caveau.

 

C'est là, dans la beauté de ton corps étendu

Que de ta peau ôtée, tu m'avais attendu…

Crois que dans mon regard, j'ai mis tout le respect,

J'ai mis tous les égards pour que tu sois en paix,

Et j'ai tenté d'ouvrir ta dernière demeure

Avec tous les sourires que n'ont pas ceux qui meurent.


Publié le 25/01/2025 / 3 lectures
Commentaires
Publié le 26/01/2025
Je me suis immédiatement rappelé d’anatomie comparée que tu nous avais précédemment offert et j’ai trouvé très originale cette version qui rends le corps témoin du passé jusque dans sa dernière demeure. J’ai aussi pensé aux médecins légistes capables de raconter les histoires et de donner à nouveau vie de par leur connaissances et compétences. Le corps est un outil prodigieux, merci Perthro de ton partage inattendu.
Publié le 26/01/2025
C'est vrai qu'il y a un lien direct qui se fait avec Anatomie comparée, je ne peux pas le cacher... Mais pour être juste, il s'agit ici d'un archéologue qui fouille une sépulture. Sans me dévoiler, c'est une profession que j'ai exercé pendant près de 10 ans et j'ai fouillé bon nombre de ces tombes. J'ai donc écrit ce texte en le faisant... D'où cette inspiration particulière.
Publié le 26/01/2025
Fantastique, j’y ai pensé un trop court instant (la terre rt lr fil caché d’Arian), et je trouve encore plus forte cette configuration car il y a en plus toute l’ampleur du site et de l’Histoire qui entrent en lice. Merci de se partage qui donne un nouvel éclairage au texte… et à ce corps.
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