Rapport du capitaine Ramirez tunnel n°2

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Ce texte participe à l'activité : Le temps des machines

5 décembre 2065 

Rapport de l'unité d'observation affectée à la surveillance des tunnels n°2,3,4 et 5 au ministre des armées/Situation d'urgence/ Demande immédiate de code rouge.

Monsieur,

Vous trouverez ci-joint le compte rendu d'audition du capitaine Ramirez concernant les évènements inexpliqués survenus le long de la faille 1. Vous noterez que les dires du capitaine Ramirez rapportent exactement les mêmes phénomènes que ceux observés le long des failles 2, 3, 4 et 5 le même jour. 

Observateur: Capitaine Ramirez, vous êtes l'officier responsable de la sécurité sur la zone du tunnel n°2. Pouvez-vous nous faire part de ce dont vous avez été témoins vous et votre unité le dimanche 5 décembre?

Ramirez: Eh bien, il était 16 heures 15 lorsque des évènements que je qualifierais d'inimaginables ont eu lieu sur la faille n°1. Depuis que la faille s'est agrandie, j'ai donné l'ordre à mon unité d'intensifier les tours de garde le long de la face ouest du tunnel, le bureau scientifique craignant des déformations structurelles dues aux pressions engendrées par la poussée de la faille à l'ouest. La journée s'est déroulée sans que rien de notable ne soit constaté. Mais à 16 heures 15, le caporal Santi qui venait de prendre son quart en issue 24, a quitté précipitamment son poste et m'a rejoint en salle de contrôle.

Observateur: Et le caporal Santi vous a-t-il donné la raison de son abandon de poste?

Ramirez: Pour cela, il aurait fallu que le caporal soit en état de parler. Il tenait à peine debout lorsqu'il s'est présenté devant moi. De sa bouche ne sortaient que des phrases totalement incohérentes: " De la faille, ils sortent de la faille". Il répétait cela en boucle:" De la faille, de la faille". Il semblait très choqué, alors je l'ai fait assoir. Puis j'ai appelé les sergents Mézot et Banassier pour qu'ils m'accompagnent en issue 24. 

Observateur: Et qu'avez-vous constaté depuis l'issue 24?

Ramirez: Ce que j'ai constaté, mon Dieu, je ne sais pas vraiment comment le décrire. Tout cela n'a pas de sens. Tout cela n'a aucun sens. Si je vous dis ce que j'ai vu sortir de cette faille, vous allez me prendre pour un fou, oui pour un fou.

Observateur: Dites-nous ce que vous avez vu capitaine! Personne ici ne vous prendra pour un fou!

Ramirez: Des êtres de métal! Voilà ce que j'ai vu sortir de cette maudite faille! Des robots par dizaines qui s'éjectaient du canyon aussi facilement que s'ils avaient rebondi sur un trampoline.

Observateur: Des robots vous dites? 

Ramirez: Oui Monsieur, parfaitement, des robots. Des robots comme on en a vu cent fois dans des films de science-fiction, deux bras, deux jambes, deux pieds, un buste, une tête. Tout cela articulé dans un vacarme métallique assourdissant. Je sais que tout cela a l'air d'une mauvaise farce! Croyez bien que je regrette chaque mot que je dis tant je n'y crois toujours pas moi-même! Mais pourtant c'est la vérité!... Une fois sortis de la faille, les robots sont restés au bord. Ils s'étalaient sur des kilomètres comme ça, immobiles, avec leurs yeux rouges-rubis scrutant devant eux. Et alors que je criais l'ordre au sergent Banassier d'aller donner l'alerte à toute l'unité, les robots se sont tous pris par la main comme un seul homme. Pour être franc, le sergent Mézot et moi-même ne savions quoi faire. Des situations difficiles en vingt ans d'armée, j'en ai vu, et j'ai toujours su réagir. Mais là, je l'avoue, j'étais totalement désarmé... C'est alors que les robots ont commencé à fondre. Il se sont liquéfiés sur pieds comme de vulgaires bougies. En moins de cinq minutes, d'eux, il n'est plus resté qu'un immense flot anthracite qui s'est mis à rouler vers nous. On a couru rejoindre l'unité avec le sergent Mézot. Dehors, le flot commençait déjà à ronger l'épaisse structure du tunnel. Depuis l'intérieur, on entendait l'acier se tordre et céder sous cette abominable machoire. Rapidement, cette mer grise et luisante a envahi notre partie du tunnel engloutissant tout sur son passage. Alors, sur mon ordre, nous avons pris les véhicules et fui notre base. En prenant la route qui contourne le tunnel par le nord, j'ai constaté qu'une grande partie avait carrément été dissoute. Cet immense tube de métal n'avait pas mieux résisté qu'un morceau de sucre dans une tasse à café. J'ai aussi pu voir avec effroi que la petite montagne à l'ouest du tunnel avait elle aussi était rasée par le flot. Des millions de mètres cubes culminant à 600 mètres d'altitude ramenés à la surface de la mer en moins de vingt minutes. Dites-moi Monsieur, quelle genre de force peut bien engendrer un tel cataclysme?

Obervateur: Il est encore trop tôt pour vous répondre capitaine. Mais, au vu des dernières données recueillies sur les autres sites, je dirais une force capable de tous nous rayer de la surface de la terre.

 

 

 

 

 

 


Publié le 06/12/2021 /
Commentaires
Publié le 07/12/2021
Merci Fabien pour votre texte. J'ai particulièrement aimé la transformation des robots en une lave qui anéantit tout sur son passage. L'image est angoissante, sorte de tsunami, et ne laisse guère d'espoir quant à la survie de notre espèce. Et on se prend à réfléchir sur ce que pourrait bien être, effectivement, l'extinction de toute vie sur terre.
Publié le 07/12/2021
Le premier à vous lancer, et tâche délicate si l'on considère la problématique de l'exercice ! L'angle du compte-rendu est très bien vu : il évite toutes les redites possibles sur le sujet robots et anticipation. Cette alternance Observateur/Ramirez fonctionne vraiment, elle fait attendre avec hâte les révélations de l'officier. Les questions courtes de l'observateur permettent de les différencier dès le départ. Et comme Hélène, j'aime beaucoup l'image de cet "immense flot anthracite" qui roule ! Merci beaucoup Fabien, c'est très sympa de vous lire sous la casquette du participant à atelier :)
Publié le 07/12/2021
Ah voici un défi pas simple à relever! :). L'idée du flot qui engloutit ma paraissait sympa à utiliser. Bon on est loin d' Asimov :). Une fin du monde? Je ne sais pas, mais cela peut ouvrir des perspectives de réflexion. Merci beaucoup Hélène
Publié le 07/12/2021
Merci beaucoup Allegoria. Oui j'ai voulu amener une crédibilité au phénomène, de la sidération. Faire intervenir des militaires me semblait un bon choix. Et le compte rendu d'audition permettait aussi de décaler l'attention du lecteur sur le phénomène lui-même plutôt que sur une action supposée des robots que j'avoue je n'aurais pas su bien traiter avec crédibilité.
Publié le 08/12/2021
Bravo Fabien, l’angle du compte-rendu est très habile. Ces robots se tenant par la main semblaient vouloir adresser un message de paix et l’on se fait surprendre par une suite très efficace car inattendue. La lave ou encore le tsunami sont les symboles de la destruction face à laquelle quiconque serait bien impuissant. Faut-il que l’Homme soit à ce point malmené pour qu’il prenne conscience de la fragilité de toute vie, à commencer par la sienne. C’est très réussi, un excellent moment de lecture. Merci Fabien.
Publié le 08/12/2021
Merci Léo. En effet, j'ai la faiblesse de croire que l'humain dans sa globalité n'est capable de prise de conscience qu'une fois mis au pied du mur. Je trouvais l'idée d'un flot inéluctable qui avance tel un "Attila" assez sympa dans sa symbolique.
Publié le 08/12/2021
Merci d'avoir ouvert le bal avec cette nouvelle. Le sujet me semble super difficile et honnêtement il me semblait même tout à fait infaisable avant que je lise votre contribution. L'atmosphère menaçante m'accroche à la lecture du texte car rien ne me semble stable dans cet univers: c'est très perturbant, ça fait peur car tout y défie les lois de la physique. L'image du métal qui fond comme le sucre dans une tasse de café me fait particulièrement peur peut-être parce que c'est une image quotidienne que nous connaissons tous mais qui montre l'aspect effrayant justifiant le code rouge, l'abandon de poste du militaire et sa peur qu'on le prenne pour un fou. Ce qui apparaît identifiable au départ (le robot) ne l'est plus à la fin (mer grise). C'est très angoissant car on ne sait plus quoi craindre au juste. Les robots apparaissent d'abord avec des yeux rouge rubis (ça évoque une présence extrêmement inquiétante) avant de (fondre comme des bougies). Les éléments de notre vie quotidienne, les expériences ordinaires (bougie, mer grise, café) deviennent menaçantes comme dans les cauchemars.
Publié le 08/12/2021
Font peur... Bravo ... quelle histoire de fin du monde Brrrr
Publié le 08/12/2021
Merci beaucoup cela me touche. En réalité j'ai essayé de faire ce que je sais faire, mener une intrigue à la manière d'un thriller. Ramener de l'angoisse, de la tension. Et je vous tire d'autant plus mon chapeau sur l'énorme travail que vous avez fait sur votre texte.. L'univers, les personnages, le point de vue, tout cela est très abouti. Je n'aurais pas été capable d'une telle qualité en empruntant votre angle d'écriture. Et je persiste.. Un roman peut tout à fait aboutir de ce texte.
Publié le 11/02/2022
J'ai découvert le site très récemment. Je lis par ci, par là. Je fouine. Je découvre. Je me perds. Comme dans une fête pleine de visages inconnus, j'essaie de me frayer une place. Et là, je viens de tomber sur ce texte issu d'une contrainte, d'après les commentaires que je lis. En fait, dès les premiers mots, j'ai été tiré vers les suivants jusqu'à la fin sans m'en rendre compte. J'ai vraiment été happé alors que les histoires de robots, les scénarios fantastiques, c'est pas du tout mon truc. Bravo donc pour la performance d'avoir su me faire lire un texte dont le sujet ne m'intéressait pas.
Publié le 11/02/2022
C'est un plaisir de vous compter parmi nous Patrice. Et c'est bien comme cela qu'il faut appréhender cet espace proposé par Les éditions IPagination, avec curiosité, en fouinant, en sortant aussi de sa zone de confort :)
Publié le 07/03/2022
Forcément, Futur ET Robots ET récit uniquement en dialogues, ne peuvent faire penser qu'à cet auteur. Par contre, ces robots, vu la lave, ne semblent pas ne menacer que l'humain, mais bien tout le Vivant. Des milliers d'anmaux ont déjà dû y passer...
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