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Piège en pleine mer (ou presque) TDM eta06

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     Mais on était encore secoués de l'expérience qu'on venait de vivre, seuls, sur le sable, les yeux dans l'eau.

     Une carriole poussée par le grand noir au chapeau buse s'est approchée sous un ciel vermeil. Un second type habillé d'une chemise canadienne, à la mâchoire carrée, était assis sur le rebord, une guitare dans les bras il chantait avec un sourire charmeur ;

     "Pourquoi tu pars, reste ici!
     J'ai tant besoin d'une amie"

     Et la charrette et la musique se sont éloignées, le chaman au doudou est resté. Il nous a regardés, mes voisines et moi, avant d'éclater d'un rire gras puis il a sorti de sa poche le sac violet.

     C'est seulement au contact de l'eau fraîche et caressante que j'ai repris contact avec la réalité. L'homme devant nous nous guidait, hermétique aux doutes. Du coup, nous le suivions, nous aussi, sans nous poser de questions. Il devait y avoir mille ou quinze cents mètres entre la plage et la rive la plus proche de l'îlot aux bénitiers vers laquelle, clairement, nous nagions dans le silence seulement ponctué d'épars sons hydrauliques, ceux de ne nos bras et de nos jambes. A mi route, on a entendu vrombir au loin des Jet-skis, trois, noirs, probablement les frères Suarez et ce maudit Fabien ! Venant de notre droite, il ne faisait aucun doute qu'ils se dirigeaient vers nous, plein pot. Très vite ils sont arrivés à quelques mètres, nous obligeant à plonger. Les yeux protégés par mon masque, j'ai vu Josiane et Barbara progresser, nues, à deux mètres sous la surface de l'eau. Mais notre guide, pourtant terriblement athlétique, avait disparu dans les profondeurs. En bifurquant sur notre gauche, nous nous sommes éloignés le plus possible des hélices qui décrivaient des cercles sur place. Mais après seulement une vingtaine de mètres, à court d'air, nous avons du émerger. Ils nous ont vus et ont foncé droit sur nous, ne nous laissant pas un temps suffisant pour reprendre notre respiration mais il fallait plonger. C'était ça ou être percutés. On a nagé en sens inverse mais sans pouvoir s'éloigner de plus de sept ou huit mètres cette fois. Il fallait remonter prendre de l'air. Ils allaient nous rejoindre encore plus vite et nous laisser encore moins de temps. Nous n'allions pas pouvoir tenir comme ça bien longtemps sauf miracle. Lors de notre troisième plongée, j'ai fait signe aux deux filles de s'éloigner de moi. J'attirerais nos poursuivants loin d'elles pour qu'elles puissent reprendre davantage d'air. Alors que j'allais refaire surface pour faire diversion, j'ai vu passer devant moi, verticalement, comme une torpille venant du fond de l'océan, notre guide disparu quelques minutes plus tôt. Son corps est sorti de l'eau jusqu'à la taille et, avec une puissance et une détente inouïes, je l'ai aperçu, à travers la surface de la mer, envoyer un morceau de rocher de corail vers l'un de nos assaillants qui est tombé à l'eau à quelques mètres de moi. Les deux autres moto-marine ont hésité puis se sont rapprochées du corps inconscient, je pense, celui de Fabien. Ils l'ont repêché, non sans mal, pour l'emmener d'où ils venaient, de l'Est, probablement de la Gaulette, abandonnant le troisième Jet-Ski et un peu de sang dilué dans l'océan.

     Nous avons repris notre progression, essoufflés mais sains. Je me suis rapproché de Josiane, je suis passé sous elle, sous son corps que j'ai frôlé avant de ressortir la tête de l'eau, imitant de mon mieux, après avoir craché mon tuba, le cri du dauphin. Ça n'a fait rire personne. On a continué à nager durant une bonne demi-heure.

     En accostant sur le sable de l'îlot, nous étions trois à être nus mais j'étais le seul à m'en amuser. Un homme âgé vêtu d'une longue robe pourpre semblait nous attendre, assis sur une barque retournée. Il s'est levé et est venu à notre rencontre, une musette dans une main et une glacière dans l'autre. Josiane et Barbara, avec un petit cri, sont venues s'abriter derrière moi. Heureux d'avoir été choisi pour être leur défenseur, leur protecteur aussi valeureux que dévêtu, je me suis redressé pour faire barrage avec quand même une question en tête ; le ridicule augmenté du courage est l'essence d'un charme irrésistible à condition que les proportions soient parfaites, l'étaient-elles ? Notre chaman et l'étranger se sont salué, m'apprenant que le premier s'appelait Jean-Yves et Andrew était le nom de l'homme à la robe qui, avant de disparaître dans les bois à l'arrière de la plage, posait les affaires devant moi avec un sourire que je ne parviens pas encore vraiment à interpréter aujourd'hui.

     Il nous avait laissé de quoi nous habiller et nous restaurer et c'est ce que nous avons fait avant que Jean-Yves, subitement, se relance dans des incantations grandiloquentes sensées faire jouer la magie ancestrale, battant des bras avec grande emphase et frappant l'air de coups de couteaux tragi-comiques. De voir ce grand diable tenter de nous vendre un spectacle aussi grand-guignolesque, Josiane et moi avons éclaté d'un fou rire communicatif qui a immédiatement contaminé Barbara. Le danseur a bien tenté de garder son sérieux et sa morgue un instant mais l'inflexion de son public en plus de son état nerveux et de sa fatigue ne le lui a pas permis. A califourchon, Jean-Yves s'est approché de nous trois, nous a regardés, tour à tour avant de nous confesser : "On se casse la nénette, ici sur cette île, avec la cellule "Maurice décroissance" ! On essaie de décourager les grosses sociétés de s'installer. On fait de notre mieux pour calmer les ardeurs de l'industrie du tourisme. Aujourd'hui, on égorge un coq au bord de la piscine du Labourdonnais waterfront hotel, demain, on part en transe avec les effets pyrotechniques qu'on peut s'offrir pour faire peur à la présidente de la Deutsche Bank Mauritius ltd. Avec vous, on essaye de montrer à Total qu'ils ne peuvent pas tout faire ici. C'est pour ça que je suis à vos côtés. Alors, jouez le jeu ! Faites semblant d'y croire, merde, quoi !"

     Un peu emmerdés, on a promis de ne plus se moquer mais que quand même, sans les produits hallucinogènes, son petit numéro, c'était pas ça. Josiane avait fait une école d'art. Elle pourrait lui donner deux ou trois trucs de mise en scène s'il voulait...

- "De toute façon, maintenant, il faut plonger. Ça a été scénarisé comme ça par le chef de cellule. Alors, on y va parce que j'ai encore deux offrandes et une messe païenne qui m'attendent d'ici à minuit" nous a-t-il coupé.

- "Et les colliers avec les amulettes et tout ça, on les emporte ?" j'ai dit.

- "Non, ça c'était pour le folklore. Puisque ça ne vous parle pas, laissez tomber !" a-t-il répondu un peu maussade.

     Nous avons marché sans parler sur quelques centaines de mètres. Le vent était monté et les vagues avaient grossi. Nous avons atteint une petite péninsule. Après nous être changé dans un sous-bois, nous nous sommes enfoncés tous les quatre dans la mer écumante derrière notre guide plus proche de nous que jamais.

     Après quelques brasses, l'épave d'un petit bateau de pêche en bois gisait à trois ou quatre mètres de fond. Elle était couchée sur son flanc, cassée en deux de part et d'autre d'un rocher qui affleurait presque la surface. Sans savoir ce que nous cherchions, nous avons plongé. Fébriles que nous étions, nous n'avons pas vu Jean-Yves s'éloigner. Nous remontions avec des coquillages ou en criant que nous avions vu une étoile de mer, une murène ou une raie. C'est finalement Barbara qui a trouvé un objet insolite qui pouvait être ce que nous cherchions ; un jeton téléphonique gravé de ces mots : "Sur les sables colorés de Chamarelle, entrez dans la cabine et composez le 666. Le diable vous dira alors quoi faire." J'ai su bien plus tard que c'est Josiane qui avait la première mis la main sur l'indice mais qu'elle l'avait remis à Barbara. Pourquoi ? Les subtilités féminines sons souvent impénétrables pour nous, les hommes. En tous cas pour moi et je m'en réjouis. Ce sont ces mystères, au plus de quelques autres arguments, qui rendent les femmes tellement essentielles à mes yeux.

 

 

 


Publié le 15/08/2022
Commentaires
Publié le 16/08/2022
J'ai ri en lisant qu'Andrew avait laissé de quoi vous habiller, car la loi mauricienne interdit strictement le nudisme, et les rares tentatives sont sévèrement punies. Alors, avec la complicité d'un chaman qui n'a pas réagi, en plus... c'était la prison garantie !
Publié le 16/08/2022
Merci pour la précision ! Comme je le disais plus tôt, je ne suis qu'un amateur chez les globe-trotters et ce que j'écris d'aventurier n'est qu'un ersatz. Pour le gecko, je pouvais facilement redresser la barre sans nuire à ma démarche. ici, le respect de la réalité culturelle enlèverait à l'esprit du récit. Je préfère garder ce que j'estime être essentiel. Mais je vous remercie sincèrement pour la rectification. Me voilà, non pas moins bête, mais plus cultivé. ;-)
Publié le 16/08/2022
que le chaman est une chaman de pacotille et que la plupart des pays interdisent le nudisme, y compris le mien, la Belgique. Il n'empêche que je me rappelle de quelques virées alcoolisées qui se sont finies sans vêtements, sans peines de prison ni procès verbaux. ;-) Ne soyons pas plus catholique que le pape.
Publié le 17/08/2022
...ne pas finir en tôle avant le prochain épisode ! :-)
Publié le 16/08/2022
Ah ça, il fallait y penser, roch voisine à la sauce mauricienne. Mais alors, personne ne veut donc de mon sorcier, chamane? Sourire.. Personne ne croit en l'extraordinaire pouvoir de l'invisible et des esprits? Bon cela fonctionne et Barbara et Josy nues, cela aurait mérité que l'on d'y attarde.. sourire. Bien joué l'ami.
Publié le 17/08/2022
Si, si, moi j'en ai un de vrai de sorcier : Oreste. Ok pour ce qui est de l'invisible, puisque tout ou presque de ce qui compose l'univers est invisible, dans le grand comme dans le petit. Par contre, les esprit... bof, pas franchement :-))
Publié le 17/08/2022
Et aujourd'hui, au boulot, je ne sais pas pourquoi, j'ai pensé à nos échanges, au fait que je puisse te chambrer un peu sans que tu ne t'en formallises. Ça te fait rire quand je te traite de son of a bitch de Fabien. J'en suis très heureux, je ne recherche ici que la légèreté avec quelques accès de lucidité humaniste. Tout ce que je dis sur toi, lecteur, architecte ou auteur ne doit pas cacher ma sympathie à ton égard et ma gratitude pour ton effort afin de nous concocter un défi surprenant, intéressant, enrichissant, rebondissant qui représente du boulot. Pour tout cela un énorme merci. Prends mes clins d’œil à ton égard comme un maigre salaire à ton labeur que je ne sous-estime pas. ;-)
Publié le 19/08/2022
C'est un plaisir de participer à ces ateliers. De trouver la bonne formule. Et ne jamais se prendre au sérieux est la base de tout, que l'on soit auteur publié, auteur en herbe, auteur étendu dans les herbes, non je n'ai pas dit auteur fumant de l'herbe.. sourire. Ou que l'on soit lecteur.. l'´on a décidé de s'unir par l'écriture en ouvrant nos esprits, en acceptant l'autre tel qu'il est.. C'est cela la vraie richesse.. se nourrir de la différence. À bientôt pour la suite Patrice.
Publié le 20/08/2022
Je suis conquis par ton imagination ! Les Suarez en surface pour une traque sous-marine, il fallait l'imaginer et l'écrire sachant qu'il n'y a aucun repaire dans l'eau et pourtant on visualise bien les déplacements et les stratégies opérées. J'ai aussi énormément rit avec le coup de gueule du Chaman au prénom très banal pour un show extrêmement drôle. Je ne vois pas le temps passé avec vos magnifiques aventures, et pourtant on s'avance grandement vers le trésor. MERCI. Toujours très hâte de lire la suite.
Publié le 20/08/2022
Je te réponds de "l'intime festival". Il faudra que je t'y invite. Des lectures de textes faites par de grands comédiens. Hier j'ai fait Madame Bovary par Emmanuelle Devos, aujourd'hui, c'était Edouard Baer. Et j'ai la chance d'entendre les auteurs parler du leur travail. Puisque je fais le son, je n'en perds pas un mot. Pourquoi pas ? C'est à Namur !
Publié le 20/08/2022
Je te réponds de "l'intime festival". Il faudra que je t'y invite. Des lectures de textes faites par de grands comédiens. Hier j'ai fait Madame Bovary par Emmanuelle Devos, aujourd'hui, c'était Edouard Baer. Et j'ai la chance d'entendre les auteurs parler du leur travail. Puisque je fais le son, je n'en perds pas un mot. Pourquoi pas ? C'est à Namur !
Publié le 30/08/2022
Bonsoir Patrice, j'ai eu une coupure d'internet (la fibre une nouvelle fois sectionnée) mais sur mon téléphone il m'avait semblé voir que tu avais posté un texte sur l'intime festival, ai-je eu la berlue ? En tout cas ce concept semble vraiment top de chez top.
Publié le 30/08/2022
Il s'agissait d'un texte pas vraiment littéraire et donc peut-être hors propos. Je le remets ici, juste pour toi. "J'ai eu l'honneur d'accueillir Anne Alvaro pour la dernière lecture de "L'intime Festival" ! Pour l’accueillir, je lui ai dit, une fois les présentations faites "J'ai détesté votre personnage !" A quoi elle m'a répondu "Mais vous savez, j'en ai joué pas mal. De quel personnage parlez-vous ?" Surpris par la question, le temps que je reprenne mes esprits et que je dise "La professeur d'anglais dans "le goût des autres"", elle me répond "Peu importe !" Bon, l'effet escompté n'était pas atteint. Bref, j'équipe Madame Alvaro, avec un DPA et un émetteur et on commence le sound check. Elle me demande des trucs inhabituels que je fais. Les relations se réchauffent et nous nous tutoyons. Finalement, elle est très contente de mon travail et me dit - "C'est parfait, on garde ça." - "OK ! Je store dans la console", je réponds. - "vous stockez ?" - "Non, je store. Vous étiez professeur d'anglais avec Jean-Pierre Bacri, non ?" - "Oui, mais c'était pour du faux. je ne connais rien en anglais. Finalement, à la fin de la soirée, elle est venue me remercier et me complimenter ajoutant qu'on ne tarissait pas d'éloges à mon égard et nous nous sommes embrassé. Une bien jolie rencontre."
Publié le 02/09/2022
Ah merci Patrice de l'avoir remis, c'est une superbe anecdote qui montre bien à quel point se sont les projets réalisés ensemble qui forgent de véritables et sincères relations. Tu peux tout à fait mettre ce genre de textes, tu as plusieurs genres qui s'en rapprochent : témoignage, chronique ou brève... à plus tard Patrice.
Publié le 30/08/2022
Il s'agissait d'un texte pas vraiment littéraire et donc peut-être hors propos. Je le remets ici, juste pour toi. "J'ai eu l'honneur d'accueillir Anne Alvaro pour la dernière lecture de "L'intime Festival" ! Pour l’accueillir, je lui ai dit, une fois les présentations faites "J'ai détesté votre personnage !" A quoi elle m'a répondu "Mais vous savez, j'en ai joué pas mal. De quel personnage parlez-vous ?" Surpris par la question, le temps que je reprenne mes esprits et que je dise "La professeur d'anglais dans "le goût des autres"", elle me répond "Peu importe !" Bon, l'effet escompté n'était pas atteint. Bref, j'équipe Madame Alvaro, avec un DPA et un émetteur et on commence le sound check. Elle me demande des trucs inhabituels que je fais. Les relations se réchauffent et nous nous tutoyons. Finalement, elle est très contente de mon travail et me dit - "C'est parfait, on garde ça." - "OK ! Je store dans la console", je réponds. - "vous stockez ?" - "Non, je store. Vous étiez professeur d'anglais avec Jean-Pierre Bacri, non ?" - "Oui, mais c'était pour du faux. je ne connais rien en anglais. Finalement, à la fin de la soirée, elle est venue me remercier et me complimenter ajoutant qu'on ne tarissait pas d'éloges à mon égard et nous nous sommes embrassé. Une bien jolie rencontre."
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