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Petit traité de versification française - Louis Marie Quicherat - 1882
Chapitre 10 : Des Licences de Grammaire.

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1° L’adverbe  s’emploie souvent pour à qui, auquel, à laquelle, vers lequel, etc. Cette substitution donne au style de la concision et de la fermeté.
 

Saisissez-vous d’un trône  le ciel vous dispose. Corn.
C’est là l’unique étude  je veux m’attacher. Boil.

 

Et l’unique faveur, mon frère, où je prétends. RAc. Je renonce à l’empire où j’étais destiné.

Et cet aveu honteux où vous m’avez forcée. !D. 2* On peut employer les prépositions en, dans, au lieu de à, devant un nom de ville qui commence par une voyelle, afin d’éviter l’hiatus

Je serai marié, si l’on veut, en Alger. CORN.

Cassandre dans Argos a suivi votre père. RAC. Allez en Albion que votre renommée

Y parle en ma défense, et m’y donne une armée. VOLT. 3° La poésie admet un verbe au singulier avec plusieurs sujets du singulier

L’obstacle qu’ils y font peut. vous montrer sans peine Quelle est pour vous etmoi leurenvie et,leur haine. CORN. Une église, un prélat m’engage en sa querelle. BoiL. Que ma foi, mon amour, mon honneur y consente. RAC. D’où te bannit ton sexe et ton impiété. la.

Ane, cheval et mule aux forêts habitait. LA FONT. ELLIPSE. On appelle ellipse le retranchement d’un ou de plusieurs mots qui seraient nécessaires pour la régularité de la construction. Il y a des ellipses en prose nous ne nous occuperons que de celles de la poésie.

4° Les poëtes peuvent se dispenser de mettre un pronom en tête d’un second membre de phrase, quand bien même le sujet est déjà assez éloigné Mais je sais peu louer, et ma muse tremblante Fuit d’un si grand fardeau la charge trop pesante ; 

Et, dans ce haut éclat où tu te viens offrir,

Touchant à tes lauriers, craindrait de les flétrir. BOIL. Je condamnai les dieux, et sans plus rien ouïr, Fis vœu sur les autels de leur désobéir. RAc. Je frémissais, Doris, et d’un vainqueur sauvage Craignais de rencontrer l’effroyable visage. la. 5° Ils offrent des ellipses encore plus hardies Ma cour fut ta prison, mes faveurs tes liens. CORN. Il fut votre tuteur et vous son assassin.

H passe pour tyran, quiconque s’y fait maître Qui le sert, pour esclave, et qui l’aime pour traître. la. Il y a dans Racine un exemple célèbre d’eHipse Je t’aimais inconstant, qu’aurais-je fait fidèle ? Au lieu de si tu avais été fidèle.

En voici encore un autre du même poète Amis,’partageons-nous. Qu’Ismaël en sa garde Prenne tout le côté que l’orient regarde ;

Vous, le côté de l’ourse et vous, de l’occident ; Vous, le midi. r

Voltaire a dit Peuple roi que je sers,

Commanàez à César, César à l’univers.

MOTS POÉTIQUES.

Notre langue a très-peu de mots particuliers à la poésie et qui ne puissent se rencontrer dans la prose 5 oratoire. Mais il en est un grand nombre dont les poëtes font un bien plus fréquent usage.

Voici quelques-uns des mots qui sont plus particulièrement.affectés à la poésie.

Au lieu de

Ville,

Cheval,

Ciel,

Colère,

Crime,

Hommes,

Mariage,

Épée,

Eau,

Vaisseau,

Bateau,

Matelot,

Enfers,

Soufûe (des vents),

Travail,

Côte,

Ventre,

Vent frais,

Vent violent,

Espace de cinq ans,

Terre ensemencée,

Ancien,

Aussitôt,

Hn’y a pas longtemps,

Elle dit

Cité..

Coursier.

L’Olympe.

Courroux.

Forfait.

Mortels, humains.

Hymen, hyménée.

Glaive, fer.

Onde.

Nef.

Esquif.

Nautonier.

Le Tartare, le Ténare, le Coeyte,l’Achéron,leStyx. Haleine.

Labeur.

Flanc.

Flanc, entrailles, sein. Zéphyr, zéphyre.

Aquilon,Borée,lesAutans. Lustre.

Guérets.

Antique.

Soudain.

Naguère. 

Ajoutons quelques autres mots, que nous confirmerons par des exemples.

1° Alors que, cependant que, s’emploient pour dorsque, pendant que, surtout dans le style élevé Le ciel nous en absout alors qu’il nous te donne. Corn. Faut-il que l’on s’indigne alors qu’on vous admire ? Volt. Cependant que de l’autre il croit être le père. CoRN. Cependant que mon front, au Caucase pareil, Brave l’effort de la tempête. LA FONT.

2° Penser, au lieu de pensée

Aux fragiles pensers ayant ouv-t la porte. MALH. Mon cœur ne forme point dé pensers assez fermes. CORN. Vainement offusqué de ces pensers épais. BOIL. Votre âme, à ce penser, de colère murmure. la. Que j’ai toujours haï les pensers du vulgaire LA FONT. 3° DMcor~, discords,.pour différend, discussion, querelle

Puisque chacun, dit-il, s’échauffe en ce discord. CORN. De vos discords passés perdez le souvenir. RoTROu. Et que le ciel vous mtt, pour finir vos discords, L’un parmi les vivants, l’autre parmi les morts. RAC. 4’Zor~pour ~or~M[pourMiM,ne s’emploieraient aujourd’hui que dans te genre familier. DES LICENCES DU STYLE MAROTIQUE.

~Marot réunit toutes les’licences dont nous ! avons parlé jusqu’ici, ïl en présente d’autres encore, que ce n’est pas le lieu d’énumérer.

La Fontaine est peut-être l’auteur qui a le plus contribué à ressusciter la langue de Marot. JeanBaptiste Rousseau et Voltaire ont suivi ses traces. Voici quelques constructions empruntées à la langue du seizième siècle.

Inversion du sujet

A peine fut cette scène achevée. LA FONT Or est le cas allé d’autre façon. la. Vous à qui donnèrent les dieux

Tant de lumières naturelles. VOLT. Inversion de l’attribut

A sa Judith Boyer par aventure

Était assis près d’un riche caissier

Bien aise était. RAC.

Miennes je peux les dire ; et mon réseau En serait plein, sans ce maudit oiseau. LA FONT. Honni seras, ainsi que je prévoi. Rouss. Sacrés ils sont, car personne n’y touche. VOLT.

Inversion du régime

Puis en autant de parts le cerf il dépeça. LA FONT. Et ne pouvant son faible vous cacher,

Le t)dtre au moins it tâche d’éplucher. Rouss. D’un air galant leur figure étalaient. VOLT.

Pour se rapprocher de leur modèle, les imitateurs de Marot lui empruntent encore l’enjambement et des expressions surannées.

Nous terminerons par un exemple, qui montrera réunies les diverses licences du style marotique : Deux avocats, qui ne s’accordaient point,

Rendaient perplexe un juge de province. 

Si ne put onc[21] découvrir le vrai point,
Tant lui semblait que fût obscur et mince.
Deux pailles prend[22] d’inégale grandeur ;
Des doigts les serre : il avait bonne pince.
La longue échut sans faute au défendeur ;
Dont[23] renvoyé s’en va gai comme un prince.
La cour s’en plaint, et le juge repart :
« Ne me blâmez, messieurs, pour cet égard[24] :
De nouveauté dans mon fait il n’est maille[25] ;
Maint d’entre vous souvent juge au hasard,
Sans que pour ce tire à la courte paille. » La Font.

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[20] L’inversion, dont nous venons de parler, est bien déjà une licence relative à la grammaire ; mais son importance exigeait un chapitre à part.

[21] Aussi ne put-il jamais.

[22] Il prend deux pailles.

[23] D’où, en conséquence.

[24] A l’égard de cela, pour cela.

[25] Il n’y a pas du tout de nouveauté, il n’y a rien de nouveau.

Publié le 15/09/2024 / 36 lectures
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