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« La licence poétique, dit Marmontel, est une incorrection, une irrégularité permise en faveur du nombre, de l’harmonie, de la rime ou de l’élégance des vers. »
Nous allons passer en revue les licences poétiques. Nous en distinguerons de trois espèces : celles qui ont rapport 1° à l’orthographe, 2° à l’arrangement des mots, 3° à la grammaire.
Des Licences d’Orthographe.
Les poètes ont la liberté de supprimer l’s finale dans un certain nombre de mots.
Elvire, où sommes-nous ? et qu’est-ce que je voi ?
Rodrigue en ma maison ? Rodrigue devant moi ? Corn.
En le blâmant enfin j’ai dit ce que j’en croi,
Et tel qui me reprend en pense comme moi. Boil.
Je vous donne un conseil qu’à peine je reçoi ;
Du coup qui vous attend vous mourrez moins que moi. Racine.
Vizir, songez à vous, je vous en averti ;
Et, sans compter sur moi, prenez votre parti. Id.
Remarque. Mais il n’est pas permis de retrancher l’s à la seconde personne de l’impératif, ainsi qu’on le faisait encore dans le dix-septième siècle [17] :
Fais donner le signal, cours, ordonne, et revien
Me délivrer bientôt d’un fâcheux entretien. Rac.
Quitte ces bois, et redevien
Au lieu de loup, homme de bien. La Font.
Mais moi, grâce au destin, qui n’ai ni feu ni lieu. BOIL.
Grâce aux dieux, mon malheur passe mon espérance.
RAC Je le veux, je le dois, grâce à vos injustices. VoLT.
Grâces à nos malheurs, le crime est inutile. CORN.
Grâces aux dieux, mes mains ne sont pas criminelles. Rac.
Ah ! l’effort n’est pas grand, grdces à vos caprices. VOLT.
Pensez-vous avoir lu jusqu’au fond de mon âme ? CoRN.
Tout jusqu’à sa servante est prêt à déserter. BOIL.
Mena victorieux jusqu’au bout de la terre. RAC.
Dois-je me ravaler jusques à cet époux ? CopN.
Que plus d’un grand m’aima jusques à la tendresse. BoiL.
Veut me sacrifier jusques à son amour. RAC.
Ulysse en fit autant. On ne s’attendait guère
De voir Ulysse en cette affaire. LA FONT.
Seigneur, tant de grandeurs ne nous touchent plus guère :
Je les lui promettais tant qu’a vécu son père. RAC.
Et l’on ne pouvait guère en un pareil effroi, etc. VOLT.
Mais les monstres, hélas ! Ne t’épouvantent guère :
La race des LaÎùs les a rendus vulgaires. RAC.
Allons donc nous masquer avec quelques bons frères
Pour prévenir nos gens, il ne faut tarder itères. MOL.
L’orthographe certe est maintenant la plus ordinaire. Mais, en poésie, ce mot peut prendre une s.
Certes ou je me trompe, ou déjà la victoire, etc. MALH.
Alors, certes, alors je me connais poète. BOIL.
Quand ce mot est joint à un pluriel, les poètes ont la faculté de le prendre comme adjectif et de le faire accorder, ou comme adverbe et de le laisser invariable
Dompter des nations, gagner des diadèmes,
Sans qu’aucun les connût, sans les connaître eux-mêmes [CORNEILLE.
Jusqu’ici la fortune et la victoire mêmes
Cachaient mes cheveux blancs sous trente diadèmes. RAC.
Nous parlons de nous-même avec toute franchise. CORN.
Je crois que votre front prête à mon diadème
Un éclat qui le rend respectable aux dieux même. RAC.
L’ingrate à vos yeux même étale sa valeur. tD.
Sera par vos soins même exposée à vos coups. VOLT.
Ces deux sièges fameux de Thèbes et de Troie. CORN.
Athènes en gémit ; Trézène en est instruite. RAC.
Il suivait tout pensif le chemin de Mycènes ;
Sa main sur les chevaux laissait flotter les rênes. Jn.
Et dans Valencienne est entré comme un foudre. BOIL.
Au tumulte pompeux d’Athène et de la cour. RAC.
Prends cette lettre, cours au-devant de la reine,
Et suis sans t’arrêter le chemin de Mycène. ld.
Dans un petit nombre de mots, la poésie peut à volonté conserver on supprimer l’e muet final.
Que vous m’ayez séduit, et que je souffre encore
D’être déshonoré par celle que j’adore. CORN.
Étudions enfin, il en est temps encore ;
Et, pour ce grand projet, tantôt, dès que l’aurore, etc. BOILEAU.
Et moi, ce souvenir me fait frémir encore,
On voulait m’arracher de tout ce que j’adore. RAc.
Ce qu’il a fait pour elle, il peut encor le faire
Peut la garantir encor d’un sort contraire. CORN.
Tandis que, libre encor, malgré les destinées. BOIL.
Non, vous n’espérez plus de nous revoir encor,
Sacrés murs, que n’a pu conserver mon. Hector RAC.
Les plus aimables fleurs et le plus doux zéphyr
Parfument t’air qu’on y respire. QUINAULT.
Les rayons d’un beau jour naissent de ton sourire ;
De ton souffle léger s’exhale le zéphyre. DÈLiLLE.
Et la troupe de Flore et celle des zéphyrs
De nos humbles pasteurs partagent les plaisirs. Rouss.
Dont Flore et les zéphyrs embellissent les bords. VOLT.
l" Remarque. Jusqu’au milieu du dix-septième siècle, les poètes avaient la liberté d’écrire avecque pour avec. Cette licence se trouve encore une fois dans une satire de Boileau, et une fois dans la seconde tragédie de Racine ; mais, avant la fin de ce siècle même, elle tomba entièrement en désuétude.
2e Remarque. Au chapitre de l’élision, nous avons parlé de la synérèse, par laquelle la poésie supprime l’e muet intérieur : essaiera (essaîra), avouera, justifiera, enjouement. Mais cette suppression est obligée : ce n’est plus une des ressources du versificateur.
3e Remarque. Pour la désinence des noms propres traduits du latin, il faut, en général, suivre l’usage. Cependant les poètes ont quelquefois à leur disposition une double inflexions ; par exemple : Claude et Claudius, Mécène et Mécénas, Lélius et Lélie, Porsenne et Porsenna, etc.
Il faut éviter les mots qui aujourd’hui prêteraient au ridicule, comme Brute, Crasse, pour Brutus, Crassus, bien que Corneille s’en soit servi.
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[16] Cependant on ne trouve pas je sui, je fui.