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Petit traité de versification française - Louis Marie Quicherat - 1882
Chapitre 7 : De la succession des Rimes.

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Règle générale. Une rime masculine ne doit pas être suivie immédiatement d’une rime masculine différente, ni une rime féminine d’une rime féminine différente.

On peut commencer une pièce de vers par une rime masculine ou par une rime féminine. La première rime une fois établie, voici les diverses combinaisons qui sont admises :

  • 1° Les rimes plates ou suivies sont celles qui se succèdent par couples de deux, alternativement masculines et féminines :

Du zèle de ma loi que sert de vous parer ?
Par de stériles vœux pensez-vous m’honorer ?
Quel fruit me revient-il de tous vos sacrifices ?
Ai-je besoin du sang des boucs et des génisses ?
Le sang de vos rois crie et n’est point écouté.
Rompez, rompez tout pacte avec l’impiété ;
Du milieu de mon peuple exterminez les crimes :
Et vous viendrez alors m’immoler vos victimes. Rac.

  • 2° Les rimes croisées présentent alternativement un vers masculin et un vers féminin. On donne encore ce nom à deux rimes masculines séparées par deux rimes féminines suivies, ou réciproquement : 

Tel, fin un secret vallon,

Sur tes bords d’une onde pure,

Croît, à l’abri de l’aquilon,

Un jeune lis, l’amour de la nature. RAc.

Ainsi l’on vit l’aimable Samuel

Croitre à l’ombre du tabernacle

Il devint des Hébreux t’espérance et l’oracle.

Puisses-tu, comme lui, consoler Israël lo.

Rions, chantons, dit cette troupe impie ;

De fleurs en fleurs, de plaisirs en plaisirs

Promenons nos désirs :

Sur l’avenir insensé qui se fie. ID.

  • 3° Les rimes mêlées sont celles dont la succession

n’est soumise qu’à la règle générale donnée ci-dessus. 

Les chœurs d’Esther et d’Athalie sont en rimes mêlées.

Quel astre à nos yeux vient de luire ?

Quel sera, quelque jour, cet enfant merveilleux ?

Il brave le faste orgueilleux,

Et ne se laisse pas séduire

A tous ses attraits périlleux. RAC.

On voit par cet exemple, composé de cinq vers, que, dans ce système, les rimes masculines et féminines peuvent ne pas être en nombre égal. 

  • 4° Les rimes redoublées offrent le retour ou la continuation de la même rime :

Que leur restera-t-il ? Ce qui reste d’un songe

Dont on a reconnu l’erreur.

A leur réveil (ô réveil plein d’horreur !),

Pendant que le pauvre à ta table

Goûtera de ta paix l’ineffable douceur,

Ils boiront dans la coupe affreuse, inépuisable,

Que tu présenteras au jour de ta fureur,

A toute la race coupable. RAC.

On trouve des pièces peu étendues dans lesquelles le poète n’a employé que deux rimes :

Un sot par une puce eut l’épaule mordue.

Dans les plis de ses draps elle alla se loger.

< Hercule, ce dit-il, tu devrais bien purger

La terre de cette hydre au printemps revenue !

Que fais-tu, Jupiter, que du haut de la nue

Tu n’en perdes la race, afin de me venger ? »

Pour tuer une puce, il voulait obliger

Les dieux à lui prêter leur foudre et leur massue. LA FONT.

’D’autres fois, c’est une difficulté que le poète s’impose à dessein, pour remplir un cadre obligé. Il arrive assez souvent que l’une des deux rimes seulement est redoublée. On lit dans la Fontaine une dédicace de vingt-deux vers, dont toutes les rimes masculines sont en is. En voici deux stances ou couplets

Pour plaire au jeune prince[1] à qui la Renommée

Destine un temple en mes écrits,

Comment composerai-je une fable nommée

Le Chat et la Souris ?

Dois-je représenter dans ces vers une belle

Qui, bonne en apparence, et toutefois cruelle,

Va se jouant des cœurs que ses charmes ont pris,

Comme le chat de la souris ?

  • 5° On trouve même des pièces monorimes, c’est-à-dire dans lesquelles il n’a été fait usage que d’une seule rime. Cette manière d’accumuler ainsi la même consonnance finale remonte à une époque très-reculée. Le Franc de Pompignan a inséré dans sou Voyage de Languedoc et de Provence une pièce sur le château d’If, dont tous les vers sont terminés en if. Elle commence ainsi :

Nous fûmes donc au château d’If.

C’est un lieu peu récréatif,

Défendu par le fer oisif

De plus d’un soldat maladif,

Qui, de guerrier jadis actif,

Est devenu garde passif.

Voici une petite pièce de Collin d’Harleville, qu’on trouvera pleine de facilité, de correction et de grâce 

LA BONNE JOURNÉE.

Un pauvre clerc du parlement,

Arraché du lit brusquement

Comme il dormait profondément,

Gagne l’étude tristement ;

Y griffonne un appointement,

Qu’il ose interrompre un moment,

Pour déjeuner sommairement ;

En revanche, écrit longuement,

Dîne à trois heures sobrement,

Sort au dessert discrètement,

Reprend la plume promptement

Jusqu’à dix heures seulement

Lors va souper légèrement,

Grimpe, et se couche froidement

Dans un lit fait négligemment,
Dort, et n’est heureux qu’en dormant.
Ah ! pauvre clerc du paiement !

  • 1re Remarque. On trouve quelquefois trois rimes pareilles placées de suite. Le genre lyrique et le genre léger autorisent également cet emploi.

Cieux, écoutez ma voix ; terre, prête l’oreille :
Ne dis plus, ô Jacob, que ton Seigneur sommeille ;
Pécheurs, disparaissez : le Seigneur se réveille. Racine.
    Et le mâtin était de taille
    A se défendre hardiment.
    Le loup donc l’aborde humblement
  Entre en propos, lui fait son compliment
    Sur son embonpoint qu’il admire. La Font.

  • 2e Remarque. On voit très-rarement plusieurs rimes masculines ou féminines différentes qui se succèdent. Cela se rencontre dans quelques pièces de peu d’étendue, des épigrammes, des impromptus, des chansons :

Qu’on parle mal ou bien du fameux cardinal,
Ma prose ni mes vers n’en diront jamais rien :
Il m’a fait trop de bien pour en dire du mal ;
Il m’a fait trop de mal pour en dire du bien. Corn.

 

[1] Le duc de Bourgogne

 

Publié le 15/09/2024 / 36 lectures
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