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En poésie, l’e muet est la seule voyelle terminant un mot qui puisse être suivie d’une autre voyelle ou d’une h non aspirée. Hors ce cas, la rencontre de deux voyelles forme un hiatus, ou bâillement, qui est sévèrement défendu. Ainsi l’on ne peut dire dans un vers : tu es, tu auras, si elle vient, elle y est.
Boileau a consigné cette règle dans son Art poétique, et l’a rendue sensible par deux exemples qui imitent l’hiatus, sans toutefois être fautifs :
Gardez qu’une voyelle, à courir trop hâtée,
Ne soit d’une voyelle en son chemin heurtée.
La conjonction et, suivie d’une voyelle, fait également hiatus. La raison en est que le t ne se prononce pas il semble que ce mot soit écrit par la seule lettre é fermé. Ainsi l’on ne peut dire en vers et il vient, sage et heureux.
Si l’h est aspirée, on peut la. faire précéder de toutes tes voyelles et de la conjonction et. Exemple la haine, et hors de lui.
Il n’a pas voulu vivre et mériter sa haine. CoRN.
Jeune et vaillant héros, dont la haute sagesse. BOIL.
L’innocente équité honteusement bannie. tD.
Où courez-vous ainsi tout pâle e< hors d’hateine ? RAC.
Ce seul dessein l’occupe ; et hâtant son voyage. ID.
Puisque si hors du temps son voyage l’arrête. MOL.
Remarques. La poésie admet l’hiatus
Deux fois de mon hymen le nœud mal assorti
A chassé tous les dieux du plus juste parti. CORN.
Ni serment, ni devoir ne l’avait engagé
A.courir dans l’abîme où Porus s’est plongé. RAc.
Apollon en connaît qui te peuvent louer. BOIL.
Et transposant cent fois et le nom et le verbe.
La faim aux animaux ne faisait point la guerre. BOIL.
Le dessein en est pris, je le veux achever. RAC.
Mais Rome veut un maître, et non une maîtresse. iD.
Rome entière noyée au sang de ses enfants. CORN.
La plaintive Élégie, en longs habits de deuil. BOIL.
Hector tomba sous lui, Troie expira sous vous. RAc.
Il s’en fit, je l’avoue, une douce habitude. ID.
Dans les deux cas précédents, quand les consonnances finales et initiales sont les mêmes, elles nous frappent plus désagréablement, et une oreille délicate craindra de les admettre :
Consultez-en encore[2] Achillas et Septime. CORN.
Immolant trente mets à leur faim indomptable.
Bon. Pourquoi d’un an entier l’avons-nous délibérée ?RAC. Cependant à Pompée élevez des autels. CORN.
Roulât sur la pensée et non pas sur les mots. Bon..
Ou quelque longue pluie inondant les vallons iD.
Ma place est occupée, et je ne suis plus rien. RAC.
Trame une perfidie inouïe à la cour. In.
5" Les mots terminés en r peuvent être suivis d’une voyelle, même quand cette r ne se prononce pas :
Et fait le monde entier écrasé sous sa chute. CORN.
Je reprends sur-le-champ le papier et la plume. BOIL.
Le quartier alarmé n’a plus d’yeux qui sommeillent. Id
Rendre docile au frein un coursier indompté. RAC.
L’étranger est en fuite, et le Juif est soumis. ID.
Nous conseillerons cependant d’user très-sobrement de cette liberté. La rencontre de pareils mots met dans l’alternative ou d’altérer la prononciation[3], ou de faire un hiatus réel et choquant.
La même remarque s’applique à toutes les consonnes muettes qui ne dissimuleraient que pour l’œil la présence de l’hiatus :
Le manteau sur le nez, ou la main dans la poche. RAc.
Enfermée à la clé ou menée avec lui. MOL.
Le coup encore frais de ma chute passée. MALH. J
’ai fait parler le loup et répondre l’agneau. LA FONT.
L’an suivant, elle mit son nid en lieu plus haut. ID.
Oui, oui, cette vertu sera récompensée. RAC.
Oui, oui, vous nous contez une plaisante histoire. MOL.
Mon père ! — Eh bien ? eh bien ? quoi ? qu’est-ce ? Ah ! ah ? quel homme Racine.
J’irais trouver mon juge. — Oh ! oui, monsieur, j’irai. Id.
Ah ! il faut modérer un peu ses passions. Mol.
Tant pis. — Eh oui, tant pis : c’est là ce qui m’afflige. Id.
Nous reviendrons sur l’hiatus quand nous parlerons de l’élision, et, plus tard, de l’harmonie.
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[11] A la fin des mots, l’h n’est aspirée que dans les trois interjections ah ! eh ! oh ! suivant la grammaire de M. l’abbé Régnier.(D’Olivet.)
Du reste, elles sont souvent confondues avec ha, hé, ho, qui ont l’h aspirée :
Ho, ho, monsieur. — Tais-toi, sur les yeux de ta tête. Rac.
Ho, ho, le grand talent que votre esprit possède ! Mol.
Ho ! ho ! dit-il, voilà bonne cuisine. La Font.
[1] Ces nasales sont douces quand la prononciation les unes à la voyelle qui commence le mot suivant : un homme, commun accord, on aime, en Allemagne ; elles deviennent dures quand cette fusion des deux mots n'a pas lieu J’en avait un encore, prenez-vous à vous, veut-t-on aussi ? Une consonne muette qui détermine le mot n'empêche pas le heurtement de la voyelle nasale.
C'est ainsi qu'on juge Voltaire.
[2] Voltaire fait sur ce vers la remarque suivante : « eu encore, on doit éviter ce bâillement, cet hiatus de syllabes, désagréable à l'oreille. » Il voyait donc ici un véritable hiatus
[3] Il faut faire ici la même observation que sur les nasales : quelquefois les deux mots s'unissent par la prononciation : le premier homme, un entière abandon un léger effroi, mais cette fusion n'a pas lieu dans ses phrases : le premier il a vu vendre en entier un domaine, ni dans les exemples cités