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On appelle rime l’uniformité de son dans la terminaison de deux mots : belle, rebelle ; loisir, plaisir. En poésie, c’est le retour de la même consonnance à la fin de deux ou de plusieurs vers.
On distingue deux sortes de rimes, la rime masculine et la rime féminine.
De là sont nés ces bruits reçus dans l’univers,
Qu’aux accent dont Orphée emplit les monts de Thrace,
Les tigres amollis dépouillaient leur audace ;
Qu’aux accords d’Amphion les pierres se mouvaient,
Et sur les murs thébains en ordre s’élevaient. BOIL.
Il n’en est pas de même des présents voient, croient, déploient, essaient, paient, dans lesquels l’e compte pour une syllabe. Les pluriels allient, oublient, fuient, appuient, etc., forment pareillement une rime féminine :
Ce choix me désespère, et tous le désavouent ;
Rome semble vaincue, et, seul des trois Albains,
Curiace en mon sang n’a pas trempé ses mains. CORN.
La rime est riche ou suffisante. Elle est riche quand elle présente non-seulement une consonnance, mais encore toute une articulation pareille : père, propre ; vers, divers ; paisible, risible ; enfant, triomphant, etc. La rime suffisante offre une ressemblance de son, mais non d’articulation soupir, désir ; recevoir, espoir usage, partage ; sensible, visible doux, nous, vous, etc.
Quelquefois la rime a lieu non-seulement entre la dernière syllabe, mais entre les deux syllabes finales, comme vaillant, assaillant ; insensée, pensée ; auteur, hauteur ; volontés, surmontés, etc. ’Ce serait un défaut de rechercher avec affectation cette double rime.
RÈGLES DE LA RIME.
Cependant il ne serait pas exact de dire que toute rime qui satisfait l’oreille est permise. Nous verrons ’plus loin quelles restrictions il faut mettre à ce principe.
D’un autre côté, des rimes présentant les mêmes lettres seront fausses, si la prononciation diffère. Ainsi briller ne rimera pas avec distiller, ni oser avec renverser, ni tranquille avec quille. Par-là sont proscrites beaucoup de rimes pour l’œil), qui étaient encore tolérées dans siècle de Louis XIV, mais qui alors com mençaient à céder à une sage réforme, comme foyers et altiers avec fiers, enferavec triompher, cloître avec paroître (paraître), francois (français) avec lois, etc.
Témoins trois procureurs, dont icelui Citron
A déchiré la robe. On en verra les pièces.
Pour nous justifier voulez-vous d’autres pièces[2] ?
. Notre malheur est grand ; il est au plus haut point ;
Je l’envisage entier, mais je n’en frémis point. CORN.
A mes justes désirs ne vous rendez-vous pas ?
Ne peut-elle à l’autel marcher que sur vos pas ? RAC.
Tel que vous me voyez, monsieur, ici présent,
M’a d’un fort grand soufflet fait un petit présent.
Ah ! la voici, seigneur prenez votre parti.
Oh ciel ! –Eh quoi, seigneur ! vous n’êtes point parti ? RAC.
Combien pour quelques mois ont vu fleurir leur livre,
Dont les vers en paquets. se vendent à la livre 1 BOIL.
L’un n’est point trop fardé, mais sa muse est trop nue ;
L’autre a peur de ramper, il se perd dans la nue. In.
On dit à cet égard que la rime des homonymes est reçue.
Par eux tout se ranime et par eux tout s’enflamme
L’oiseau de de Jupiter, aux prunelles de flamme, elc.
Que des prêtres menteurs, encor plus inhumains,
Se vantaient d’épuiser par le sang des humains. VOLT.
Détournez d’elle, ô Dieu, cette mort qui me suit.
Non, peuple, ce n’est point un dieu, qui le suit lD.
Conformément à cette règle, on évitera de faire rimer ami avec ennemi, bien qu’on en trouve quelques exemples dans de bons poëtes :
Ah ! Que dit-on de vous, Seigneur ? nos ennemis
Vous comptent hautement au rang de leurs amis. RAC.
Il. y a quelque négligence dans les rimes jours et toujours, dieu et adieu.
Mais il me faut te perdre, après l’avoir perdu ;
Et pour mieux tourmenter mon esprit éperdu, etc. CORN.
Ne crains pas toutefois que j’éclate en injures ;
Mais n’espère non plus m’éblouir de parjures. ID.
La satire ne sert qu’à rendre un fat illustre ;
C’est une ombre au tableau, qui lui donne du lustre. BOIL.
Sur ses genoux tremblants il tombe à cet aspect,
Et donne à la frayeur ce qu’il doit au respect. ID.
Je vous abuserais si j’osais vous promettre
Qu’entre vos mains, seigneur, il voulût la remettre. RAC.
Sa colère, après tout, n’a rien qui me surprenne ;
C’est à vous, c’est à moi qu’il faut que je m’en prenne. ÎD.
Les finales en ié, ier, iée, demandent une rime en ié ou yé, ier.ou yer, etc.
La finale en ller (avec mouillées) doit rimer avec elle-même. La rime contempler, briller, est insuffisante, quoiqu’on la trouve dans Iphigénie.
1" Remarque. Quand la finale en é, er ou ée, est précédée de deux consonnes dont la seconde est une liquide, ou r, comme blé, bré, plé, pré, on permet de ne faire entrer dans la rime que la seconde des deux consonnes. La même faculté est accordée pour la finale gner, qu’on peut faire rimer avec ner.
Ma perte m’a surprise et ne m’a point troublée ;
Mon noble désespoir ne m’a point aveuglée[4] CORN.
Le sang à ces objets facile à s’ébranler,
Achille menaçant, tout prêt à t’accabler. RAC.
Ce n’est plus un vain peuple en désordre assemblé ;
C’est d’un zèle fatal tout Ie camp aveuglé
Au bout de l’univers va, cours te confiner
Et fais place à des cœurs plus dignes de régner.
2° Remarque. L’é lui-même, quand il est détaché et forme à lui seul un son peu rimer avec é isolé de la même manière. La rime alors n’est que d’une lettre[5]
Que si, sous Adam même, et loin avant Noé,
Le vice audacieux, des hommes avoué,
A la triste innocence en tous lieux fit la guerre. Boil.
Depuis que sur ces bords les dieux ont envoyé
La fille de Minos et de Pasiphaé[6] RAC.
Dès que je prends la plume, Apollon éperdu
Semble me dire Arrête, insensé, que fais-tu ? BOIL.
Cher enfant, que le ciel m’avait en vain rendu,
Hélas pour vous servir j’ai fait ce que j’ai pu. RAC.
Mais cet enfant fatal, Abner, vous l’avez vu
Quel est-il ? de quel sang ? et de quelle tribu ? Id.
La finale ment veut pour rime une finale semblable clément, longuement, charmant. Comme les mots terminés par ant ou ent sont très nombreux dans notre langue, il est beaucoup mieux qu’ils riment de l’articulation : brûlant étincelant ; confident imprudent ; mourant, parent ; éclatant instant., La Harpe blâme les rimes vent et brûlant, étincelants et vents, grands et temps dans le style soutenu
En général, les rimes doivent être d’autant plus soignées que les syllabes qui y figurent sont plus abondantes. Le même la Harpe relève la rime orageux et heureux.
Tout ce que l’autre avait par inclination. CORN.
On chassa ces docteurs prêchant sans mission ;
On vit renaître Hector, Andromaque, Ilion. BOIL.
Ceux même dont ma gloire aigrit l’ambition
Réveilleront leur brigue et leur prétention. RAC.
Du reste, les rimes en ion ont une certaine lenteur qui en rend l’usage assez rare chez les bons poètes.
Le Tasse, dira-t-on l’a fait avec succès.
Je ne veux point ici lui faire son procès. BOIL.
D’un courage naissant sont-ce là tes essais ?[8]
De même que succès ne rime pas avec tracés, parce que le premier e est ouvert et le second fermé, de même tu sais ne doit pas rimer avec essais, parce qu’il y a la même différence entre la prononciation de ces deux mots.
Ce n’est pas sur ce coup que je fais mes essais. CORN. i.a remarque de Voltaire mérite d’être transcrite « Tu sais ne rime pas avec essais ; c’est ce qu’on appelle des rimes provinciales. On prononce tu. sais comme s’il y avait tu sés, et essais est long et ouvert. Si l’on voulait ne rimer qu’aux yeux,
Mais, pour en juger mieux, voyez-les de plus près. BOIL.
Quels triomphes suivront de si nobles succès ?
Tous deux dans votre frère envisagez vos traits. RAC.
Les finales en ir[9], eux, eur riment plus généralement de toute l’articulation repentir, sortir ; heureux affreux ;payeur, douleur.
Lorsqu’une certaine désinence est peu abondante dans notre langue : égal, fatal ; crédit, proscrit ; discours, toujours ; attentats, ingrats ; remords, trésors ; tributs, vertus.
Lorsque l’un des deux mots est un nom propre : Zénon, raison ; Martian, tyran ; Héraclius, confus ; Burrhus, vertus.
Quand l’un des deux mots est monosyllabe[10] (appel de note 2). Finis rimerait avec ennemis ; mais fils rime avec l’un et l’autre
Mes tiens sont trop forts pour être ainsi rompus ;
Ma foi m’engage encor, si je n’espère plus. CORN.
Et, sans lasser le ciel par des vœux impuissants,
Mettons-nous à l’abri des injures du temps. BOIL.
Qui tous deux pleins de joie, en jetant un grand cri,
Avec un rouge-bord acceptant le défi. ID.
Vous ne répondez point. Mon fils, mon propre fils,
Est-il d’intelligence avec nos ennemis ? RAc.
Quelle importune main, en formant tous ces nœuds,
A pris soin sur mon front d’assembler mes cheveux ? id.
Il faut bien se garder d’étendre à une rime formée de deux mots polysyllabes la licence particulière au cas précédent.
Mais il faudra respecter les règles données précédemment. Comme on l’a vu, frappée ne peut absolument pas rimer avec tombée. Les grands poètes ne se contentent pas d’une rime suffisante pour les finales en ie et en ue, du moins dans le style soutenu.
Le singulier ne rime pas avec le pluriel dans les noms, dans les adjectifs ou dans les verbes, ni la seconde personne des verbes avec un autre mot qui ne prend pas d’s à la fin.
RIMES VICIEUSES. ~Armes, larmes ; dard, étendards.
Tu charmes, alarme.
Ils charment, il arme ; ils charment, alarme ou alarmes ; pardon, cédons.
En général, un mot sans s finale ne rime pas avec un mot terminé par une s, un z ou une x.
RIMES VICIEUSES : Témoin, moins ; accord, corps, lieux mieux vers, découvert.
Mais l’on fera bien rimer doux ; avec nous, ordonnés avec entraînez.
Le t, le d, le c, ou autres lettres finales, empêchent la rime avec un mot qui n’aurait pas une de ces lettres, bien qu’elles ne se prononcent absolument point.
RIMES VICIEUSES. Or, sort ; toi, toit ; fer, souffert ; loin, point ; vœux, veut ; autant étang ou étend an, enfant ; Apollon, long ; son, sont, etc.
Il est également défendu de faire rimer e avec er.’ changé avec berger.
Les mots rang, sang, riment bien ensemble ils riment encore avec flanc, franc, banc ; mais parent ne rime pas avec rang, ni reconnaissant avec sang.
Je t’ai préféré même à ceux dont les parents
Ont jadis dans mon camp tenu les premiers rangs. CORN.
Bientôt l’amour, fertile en tendres sentiments,
S’empara du théâtre ainsi que des romans. BoiL.
Mais jusque dans la nuit de mes sacrés déserts,
Le bruit de mes malheurs fait retentir les airs. BOIL.
Viens voir tous ses attraits, Phœnix, humiliés.
Allons. Allez, seigneur, vous jeter à ses pied[11]s. RAC.
Mais nous, qui d’un autre œil jugeons des conquérants
Nous savons que tes dieux ne sont pas des tyrans.
Mais je veux à mon tour mérite ! les tributs
Que je me vois forcé de rendre à ses vertus ÏD.
Mais cette liberté ne doit pas aller jusqu’à faire rimer un mot terminé en mentsavec un mot qui n’aurait pas d’m à sa finale. Ainsi Voltaire fait preuve d’une grande négligence quand il écrit :
Maîtres du monde entier, de Rome heureux enfants,
Conservez à jamais ces nobles sentiments.
Il a beaucoup trop de semblables rimes. La rime vengés et bergers serait tout à fait incorrecte.
Remarque. Les défauts signalés dans les deux paragraphes précédents sont quelquefois réunis par exemple quand Racine fait rimer haine avec mienne, Mycène avec sienne ; et Molière, vienne avec peine.
On admet aussi les rimes fils et remis, tous et vous qui ne satisfont pas davantage l’oreille :
Trop d’un Héraclius en mes mains est remis ;
Je tiens mon ennemi, mais je n’ai plus de fils. CORN.
Ce champ si glorieux, où vous aspirez tous,
Si mon sang ne l’arrose, est stérile pour vous. RAC.
Le mot monsieur, qui se prononce autrement qu’il ne s’écrit, ne peut être mis en rime avec un mot en eur que dans le style familier. Ainsi Racine a écrit, mais dans les Plaideurs :
En deux heures au plus. On n’entre point, Monsieur.
C’est bien fait de fermer la porte à ce crieur.
OBSERVATIONS GÉNÉRALES.
La Harpe relève dans la Motte les rimes suivantes, qu’il accuse avec raison d’être bizarres évoque, époque Io, Clio ; strophe, apostrophe, enthousiasme, pléonasme ; dans le Mierre, flèche et brèche ; dans Piron, boursoufle, souffle, maroufle.
On doit exclure aussi de la fin des vers les participes présents.
S’il ose encor l’aimer, j’ai promis son trépas
Je tiendrai ma parole, et tu n’en doutes pas.
Mêleriez-vous du sang aux pleurs qu’on va répandre,
Aux flammes du bûcher, à cette auguste cendre ?
Frappés d’un saint respect, sachez que vos soldats
Reculeront d’horreur et ne vous suivront pas.
Où me cacher ? Fuyons dans la nuit infernale.
Mais que dis-je ? mon père y tient l’urne fatale
Le sort, dit-on, l’a mise en ses sévères mains ;
Minos juge aux enfers tous les pâles humains.
« Mettez à la place
Où me cacher ? Fuyons dans la nuit infernale.
Mais que dis-je ? mon père y tient l’urne funeste
Le sort, dit-on, l’a mise en ses sévères mains ;
Minos juge aux enfers tous les pâles mortels.
Quelque poétique que soit ce morceau, fera-t-A le même plaisir, dépouillé de l’agrément de la rime ? Ceux qui ont attaqué notre rime prouvaient qu’ils n’avaient aucun sentiment de l’harmonie. En effet, quelle cadence sera sensible dans la poésie française, si l’on retranche la rime ? Il est bien certain que ce retour obligé de consonnances pareilles rend notre versification très-difficile, si le poète tient à ce que la pensée ne souffre point de ces entraves ; mais il est faux que le plaisir produit par de beaux vers soit celui de la difficulté vaincue ; car beaucoup d’ouvrages de l’esprit qui ont coûté un bien long travail ne produisent aucun plaisir, et l’on ne fait souvent que déplorer le temps employé à un exercice futile[12].
La facilité à trouver la rime s’acquiert par l’habitude
Lorsqu’à la bien chercher d’abord on s’évertue,
L’esprit à la trouver aisément s’habitue ;
Au joug de la raison sans peine elle fléchit,
Et, loin de la gêner, la sert et l’enrichit.
Mais, lorsqu’on la néglige, elle devient rebelle,
Et, pour la rattraper, le sens court après elle. Boil.
Nous compléterons ce que nous avons à dire sur le sujet qui nous a occupé dans ce chapitre, quand nous parlerons de la succession des rimes et de l’harmonie poétique.
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[6] Il faut remarquer que ces exemples roulent sur des noms propres, pour lesquels ainsi que nous le verrons encore plus loin, les poètes ont plus de latitude
[7] La rime bruit, s'évanouit (de Rousseau) est une rime faible, quoiqu'elle offre à l'œil trois lettres semblable.
[8] de même que succès ne riment pas avec tracés, parce que le première E est ouvert et le second fermé, de même tu sais ne doit pas rimer avec essai parce qu'il y a la même différence entre la prononciation de ces deux mots :
Allons. Si tu le vois agis comme tu sais.
Ce n'est pas sur ce coup que je fais mes essais. CORN
La remarque de Voltaire mérite d'être transcrite tu sais ne rimes pas avec essai : « c'est ce qu'on appelle des rimes provinciales. On prononce tu c'est comme s'il y avait tu sés, et essai été est long et ouvert. Si l'on voulait ne rimer qu'aux yeux cuiller résumerait avec mouiller. Tous les mots qui se prononcent à peu près de la même façon doive rimer ensemble : il me paraît que c'est la règle générale concernant la rime. » La rime de sais avec essais est d'un usage fort ancien : on la trouve fréquemment dans Marot et dans les poètes antérieurs. C'est ce qui lui a donné une sorte d'autorité.
[9] La Harpe blâme dans Voltaire la rime de repentir avec souffrir. On trouve cependant plusieurs fois dans Corneille soupir rimant avec désir.
[10] Toutefois il y a une grande rigueur pour l'emploi des mots sang, rang, flanc
[11] Dans le genre simple on admet la rime de pied pu pié avec un mot finissant en ié:
Sachez que pour céans Jean Rabat de moitié,
Et qu'il fera beau temps quand j'y mettrai le pied MOL
Pareillement dans la mine Voltaire fait rimer amitié avec pied qu'il écrit pié.
[12] Racine donne une réponse aussi péremptoire que simple à cet agrément de la difficulté vaincue. Il rappelle que tous nos vieux genres de poésie, qui aux entraves de la rime, en ajoutait bien d'autres, et qui étaient de véritable tour de force, ont été abandonnés. On aurait pourtant dû y voir, suivant le système qu'il combat, le comble de la perfection. Tels sont le sonnet, le rondeau, la balade, l'acrostiche. Etc.