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Petit traité de versification française - Louis Marie Quicherat - 1882
Chapitre 2 : De la Césure.

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Le mot césure veut dire coupure. La césure d’un vers est l’endroit où il est coupé. Le mot hémistiche, dérivé du grec, signifie demi-vers. Dans l’alexandrin, il y a toujours une césure après la sixième syllabe : le vers se trouve ainsi partagé en deux hémistiches égaux :

Où suis-je ? qu’ai-je fait ? | que dois-je faire encore ?
Quel transport me saisit ? | quel chagrin me dévore ? Rac.

Le mot hémistiche ne peut s’appliquer qu’au vers alexandrin.

Dans le vers de dix syllabes, il y a toujours une césure après la quatrième :

Rions, chantons, | dit cette foule impie. Rac.

Les autres vers n’ont pas de césure exigée.

Les règles que nous allons donner pour la césure [1]du grand vers seront applicables au vers de dix syllabes.

Il n’est pas nécessaire que le repos de la césure soit marqué par un signe de ponctuation. Boileau a donné le précepte et l’exemple dans ces deux vers 

Que toujours dans vos vers le sens, coupant tes mots, 

Suspende l’hémistiche, en marque de repos.

 

D’un autre côté, le cas se présente souvent où la césure serait insuffisante, bien que le troisième pied fût terminé par un mot complet. C’est là un des points tes plus difficiles de la versification française, et nous allons le traiter avec détail.

Pour l’éclaircir, il est nécessaire de parler de l’accent tonique. On appelle accent tonique, ou syllabe d’appui la syllabe d’un mot polysyllabe sur laquelle la voix s’élève. L’accent tonique existe dans toutes les langues en français, il se trouve toujours sur la dernière syllabe quand elle n’est pas muette, et sur l’avant-dernière, ou pénultième, quand la dernière syllabe est muette soldat, drapeau, guerre, armes[2]

Dans toutes tes langues, certains mots, surtout des monosyllabes, en particulier, les pronoms et les prépositions, perdent leur accent dans la suite du discours, parce qu’ils se lient à la prononciation au mot suivant. Ainsi dans nous sommes, il vient, la ville, par toi, les monosyllabes nous, il, la, par, n’ont pas d’accent, et l’on prononce comme si tes deux mots n’en faisaient qu’un.

Mais les mêmes mots pourront prendre un accent si on les transpose : Sommes-nous ? vient-il ? voyez-là[3] Pareillement on dit, en faisant la première muette : Tous les hommes ; et en accentuant cette muette : Nous y serons tous. On dit encore, sans accentuer la préposition :  Après ce jour ; elle est accentuée à la fin de la phrase : Un jour après.

RÈGLE GÉNÉRALE DE LA CÉSURE. 

La césure doit toujours tomber sur une syllabe accentuée. 

  •  L’e muet comptant pour une syllabe ne pourra jamais se trouver à la césure. Ainsi tes vers suivants seraient vicieux :

L’ingrat, il me laisse cet embarras funeste…

Mais bientôt les prêtres nous ont enveloppés.

Ils deviennent réguliers si l’on met, en transposant :

Il me laisse, l’ingrat, cet embarras funeste. RAC.

Mais les prêtres bientôt nous ont enveloppés. Id.

La muette, placée à la césure, doit toujours être élidée, c’est-à-dire se perdre sur une voyelle placée immédiatement après, comme dans ce vers :

Oui, je viens dans son temple adorer l’Éternel. RAC.

Il faut bien prendre garde de supprimer dans la mesure la muette de l’hémistiche, quand elle est suivie d’une consonne. Ainsi le vers suivant est faux :

On peut encor vous rendre ce fils que vous pleurez.

Il a une syllabe de trop. La faute disparaîtra si l’on met

On peut vous rendre encor ce fils que vous pleurez. RAC.

Les terminaisons muettes du pluriel dans les noms et dans les verbes, comme, livres, joies, viennent, emploient, ne seront jamais admises à la césure, par la raison qu’elles ne peuvent s’élider. Il faut excepter les terminaisons en aient,comme venaient, viendraient, dans lesquelles les trois dernières lettres sont supprimées par la prononciation[4], et par conséquent ne sont pas comptées dans la mesure. 

Les prêtres ne pouvaient suffire aux sacrifices. RAC

  •  On ne peut séparer par la césure des mots que la prononciation et la grammaire unissent, comme l’article ou le possessif d’avec le substantif, la préposition d’avec son complément, les auxiliaires d’avec les participes, plusieurs mots formant une expression composée comme rendre raison,porter ombrage etc. Ainsi le vers suivant serait défectueux

Et redire avec tant de plaisir les exploits.

La raison en est que le mot tant n’est pas accentue. Le vers deviendra correct de cette façon

Avec tant de plaisir redire les exploits. RAC.

Pareillement il n’est pas permis de mettre 

Vous pourrez bientôt lui prodiguer vos bontés.

Mais on mettra bien :

Vous lui pourrez bientôt prodiguer vos bontés. RAC.

Pour- faire sentir la règle de l’hémistiche, Voltaire a fait à dessein ce mauvais vers :

Adieu ; je m’en vais à Paris pour mes affaires.

D’après ce qui précède, on trouvera la césure trop faiblement marquée dans les vers suivants 

Ma foi, le plaisir est de finir le sermon. BOIL.

Un tel mot, pour avoir réjoui le lecteur. ID.

Tout a fui ; tous se sont séparés sans retour. RAC.

Eh bien ! mes soins vous ont rendu votre conquête. I

  •  La césure est insuffisante quand une partie du second hémistiche est remplie par un de qui dépend du premier, ou par un adjectif se rapportant au nom qui précède. Elle l’est également quand le second hémistiche contient le substantif dépendant de l’adjectif qui précède

Ainsi que le vaisseau des Grecs tant renommé. REGNIER. Lorsque plus d’un désir de liberté me presse. THEOPH. 

La pitié, qui fera révoquer son supplice,

N’est pas moins la vertu d’un roi que la justice. ROTROU.

Les quatre parts aussi des humains se repentent. LAFONT.

Et je brùle qu’un nœud d’amitié nous unisse. MOL.

Jupiter et le peuple immortel rit aussi. LA FONT.

Ma foi, j’étais un franc portier de comédie. RAcC

 

  •  La césure est bonne quand le sujet (autre qu’un pronom) est séparé du verbe, le verbe de son régime, l’adjectif ou le participe de son complément, pourvu que ce complément finisse le vers 

Je vois que l’injustice en secret vous irrite. RAC.

Avant qu’on eût conclu ce fatal hyménée.

Où me cacher ? fuyons dans la nuit infernale…

Dieux ! que ne suis-je assise à l’ombre des forêts Id

  •  Les auxiliaires peuvent être dans un autre hémistiche que le participe ou l’attribut, pourvu qu’ils ne se trouvent pas précisément à la césure : 

Et le jour a trois fois chassé la nuit obscure. RAC. 

J’ai des savants devins entendu la réponse…

Oui, ce sont, cher ami, des monstres furieux. Id.

Et fut de ses sujets le vainqueur et le père. VOLT.

  •  Si le complément de la préposition de, si un adjectif et son complément, ou si plusieurs adjectifs remplissent le second hémistiche, la césure est légitime

As-tu tranché le cours d’une si belle vie ? RAC.

Commande au plus beau sang de la Grèce et des dieux

Goûte-t-il des plaisirs tranquilles et parfaits ? ID.

S’établit dans un bois écarte, solitaire LA FONT.

 

  •  Nous avons vu combien était choquante la préposition à placée à la césure. Il en est de même des prépositions pour, dans, sur, par, etc. Mais les prépositions après, devant, malgré, et quelques autres également disyllabes, sont tolérées à cette place :

Si toutefois, après ce coup mortel du sort. CORN. 

Je me jette au-devant du coup qui t’assassine. ld.

Le feu sort à travers ses prunelles humides. BOIL.

Souffrirez-vous qu’après l’avoir percé de coups, etc. RAC.

J’y suis encor, malgré tes infidélités. ID.

Il en est de même des adverbes plutôt sitôt ainsi,

loin, etc., séparés de leur complément, et aussi de quelques conjonctions

Ajoutez-y, plutôt que d’en diminuer. CORN.

Aimer la gloire autant que je l’aimai moi-même. RAC.

Embrase tout, sitôt qu’elle commence à luire.

Mourir en reine, ainsi que tu mourras en roi.

Ils s’arrêtent non loin de ces tombeaux antiques. Id. 

 

  •  Des mots ordinairement privés d’accent, comme après, avec, ce, le,deviennent quelquefois accentués c’est lorsqu’ils sont employés sans complément. Ils peuvent alors se placer à la césure

Et n’employons après que nous à notre mort. CORN.

Il avait dans la terre une somme enfouie,

Son cœur avec, n’ayant autre déduit 

Que d’y ruminer jour et nuit. LA FONT.

Maint d’entre vous souvent juge au hasard,

Sans que pour ce tire à la courte paille. Id 

S’écrie Épargnez-le nous n’avons plus que lui. FLOR. 

Règle générale. Dans les genres soutenus, l’on est bien plus exigeant pour la césure que dans les genres simples. La comédie, le conte, l’épître familière, se contentent de césures que l’épopée, la tragédie, l’épître sérieuse, trouveraient insuffisantes.

Voici quelques exemples de césures assez faiblement marquées, mais que fait pardonner la nature des ouvrages où elles se trouvent :

Mais il n’importe : il faut suivre ma destinée. Mol.
Dieu me damne ! voilà son portrait véritable…
Mon frère, vous serez charmé de le connaître. Id.
Crois-tu qu’un juge n’ait qu’à faire bonne chère ? Rac.
Quand ma partie a-t-elle été réprimandée ?
Lorsque je vois, parmi tant d’hommes différents…
Voyez cet autre, avec sa face de carême[5]
  Id.
Elle et moi, n’avons eu garde de l’oublier. La Font.
Je me sens né pour être en butte aux méchants tours…
La clef du coffre-fort et des cœurs, c’est la même. Id.
 


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[5] Tous ces exemples sont pris dans les Plaideurs

 
Publié le 15/09/2024 / 36 lectures
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