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De la quantité syllabique ; manière de scander les vers ; vers de différentes mesures.
On appelle prose un discours qui n’est point assujetti à une certaine mesure, à un certain nombre de pieds ou de syllabes. La prose est la manière ordinaire de s’exprimer : le langage de la conversation et celui de l’éloquence sont également de la prose.
Un vers est un assemblage de mots arrangés suivant certaines règles fixes et déterminées.
Une composition écrite en vers appartient à la poésie, est un ouvrage de poésie, une œuvre poétique.
La versification enseigne les procédés particuliers à chaque langue pour construire les vers.
Les vers français diffèrent de la prose en trois points :
1o Ils ont un nombre limité et régulier de syllabes ;
2o Ils se terminent par la rime, c’est-à-dire par une consonnance pareille qui se trouve à la fin de deux vers au moins ;
3o Ils n’admettent pas le hiatus, c’est-à-dire la rencontre de deux voyelles dont l’une finit un mot et l’autre commence le suivant, comme tu es, j’ai en. L’e muet est seul excepté.
Une syllabe est proprement la réunion d’une ou de plusieurs consonnes avec une ou plusieurs voyelles, comme la, il, les, nous, jeu, prix, etc. ; mais, par extension, le mot syllabe est pris pour synonyme de voyelle : ainsi l’on dit que le mot haï a deux syllabes.
Puisque les vers français ont un nombre fixe de syllabes, il faut apprendre, avant tout, à compter les syllabes des mots qui y figurent ou qu’on veut y faire entrer. Scander un vers, c’est le subdiviser successivement en toutes les syllabes dont il se compose.
Toute syllabe compte dans le vers, même l’e muet final, à moins qu’il ne soit suivi immédiatement d’une voyelle ou d’une h non aspirée. Exemples : L’homme-vient ; les hom-me-heu-reux. Mais l’on scandera : L’homme-a-droit ; l’homme-heu-reux. Dans ce cas l’e muet final se perd, ou, suivant l’expression propre, il s’élide. On dit encore qu’il y a élision de l’e muet.
Il faut avoir bien soin de rétablir, en scandant, les syllabes muettes que la rapidité de la prononciation ne fait pas ressortir dans le langage familier : feu-ille-ter, u-ne pe-ti-te ru-se. Il faut aussi diviser deux voyelles qui se suivent, quand elles ne forment pas une diphthongue Vous avou-ez, un di-amant.
Dans les imparfaits et les conditionnels, les trois dernières lettres ent ne comptent pas dans la mesure : voulaient, voudraient. Il en est de même au pluriel du subjonctif dans les auxiliaires, qu’ils aient, qu’ils soient, lesquels sont monosyllabes [1].
Les mêmes lettres font une syllabe au présent de l’indicatif et du subjonctif dans les verbes suivants : pai-ent, voi-ent, emploi-ent, avou-ent, pri-ent, etc.
L’e muet compte également à la fin des mots : joi-e, impi-e, jou-e, etc. ; et lorsqu’il est suivi d’une s : joi-es, impi-es, tu jou-es, etc.
Quand deux voyelles se trouveront placées de suite, on sera souvent embarrassé sur la mesure qu’on doit leur attribuer. Tantôt il y aura diphthongue ou synérèse, c’est-à-dire réunion de deux voyelles en une seule syllabe ; tantôt il y aura diérèse, c’est-à-dire division des voyelles en deux syllabes. Nous allons passer en revue les principaux accouplements de voyelles dans notre langue, et nous en indiquerons la quantité syllabique.
1° Monosyllabe. Dans fiacre, diacre, liard, diable.
2° Plus souvent disyllabe. Dans les temps des verbes en ier, comme pri-a, sacrifi-a, et dans mari-age, tiare, di-amant, di-adème, di-alogue, fili-al, nupti-al.
1° Monosyllabe. Dans bré-viaire.
2° Ordinairement disyllabe. J’étudi-ais et j’étudi-ai, je confi-ais, ni-ais(adjectif), auxili-aire, plagi-aire.
3° Il est commun [2], mais plus souvent disyllabe, dans biais.
1° Monosyllabe, dans viande.
2° Ordinairement disyllabe. Fi-ancée, confi-ant, souri-ant, cli-ent, pati-ent, audi-ence, expéri-ence, fri-and.
Disyllabe. Mi-auler, besti-aux.
1° Monosyllabe. Dans les noms et les adjectifs, quand la désinence n’est pas précédée de deux consonnes dont la seconde soit une liquide, l ou r. Ex. : Pal-mier, fu-mier, por-tier, priso-nnier ; pre-mier, der-nier, al-tier, pi-tié, ami-tié, pied, fier (adjectif), lu-mière, pou-ssière, lierre, ciel, cierge,tiers, tiède, miette, assiette, acquiers, siége.
Ajoutez la désinence iez dans les verbes, quand elle n’est pas précédée de deux consonnes dont la seconde soit une liquide : Vous ai-miez, vous croi-riez.
2° Disyllabe. Dans les noms et les adjectifs qui ont la désinence précédée de deux consonnes dont la seconde est une liquide : baudri-er, étri-er, ouvri-er,meurtri-er, sangli-er, peupli-er, pri-ère, quatri-ème.
A l’infinitif et à d’autres temps des verbes de la première conjugaison en ier, comme pri-er, mendi-er, défi-er, remédi-er, étudi-ez, pri-ez, all-i-é, initi-é.
Ajoutez la désinence iez dans les verbes, quand elle est précédée de deux consonnes dont laseconde est l ou r : Vous voudri-ez, vous entri-ez, vous mettri-ez, vous sembli-ez.
Enfin, l’adverbe hi-er, et les mots pi-été, impi-été, inqui-et et ses dérivés, hardi-esse, matéri-el, essenti-el, artifici-el.
1° Monosyllabe. Dans les mots mien, tien, sien, rien, chien, viens, je tiens, chré-tien, main-tien, abs-tienne, appar-tienne.
2° Disyllabe. Dans le mot li-en (dérivé du verbe li-er), et dans les adjectifs d’état, de profession ou de pays, comme magici-en, histori-en, chirurgi-en, Phrygi-en, Indi-en, Assyri-en. Ajoutez aéri-en.
3° Commun dans le mot gardien [3].
Voyez Iant.
1° Monosyllabe. Dans les mots lieu, mi-lieu, dieu, adieu, pieu, es-sieu, cieux, vieux, mieux, mon-sieur.
2° Disyllabe dans les adjectifs : Pi-eux, odi-eux, oubli-eux, envi-eux, injuri-eux, intéri-eur, extéri-eur.
1° Monosyllabe. Dans les deux mots fiole et pioche.
2° Ordinairement disyllabe. Vi-olence, vi-olet, vi-olon, péri-ode, médi-ocre, idi-ot, curi-osité, di-ocèse, mari-onnette.
1° Monosyllabe. La désinence ions dans les verbes, quand elle n’est pas précédée de deux consonnes dont la seconde soit une liquide ; comme : Nous ai-mions, nous sor-tions, nous aime-rions.
2° Disyllabe. La désinence ions dans les verbes, quand elle est précédée de deux consonnes dont la seconde est une liquide : Nous entri-ons, nous voudri-ons, nous mettri-ons, nous sembli-ons.
A la première personne du pluriel des verbes en ier : Nous déli-ons, nous pri-ons, nous pari-ons. Ajoutez : Nous ri-ons.
Dans les substantifs : Acti-on, attenti-on, nati-on, missi-on, passi-on, religi-on, li-on, champi-on, espi-on, milli-on.
1° Monosyllabe. Dans poêle, moelle, moelleux.
2° Disyllabe. Dans po-ésie, po-ëme, po-ëte, po-étique.
Monosyllabe. Comme dans loin, soin, besoin, moins, point.
Oua, oué, ouer, ouette. — 1° Monosyllabe. Dans fouet, fouetter [4].
2° Ordinairement disyllabe. Il avou-a, il lou-ait, ou-ailles, secou-ant, lou-er, dou-é, nou-eux, jou-et, alou-ette, pirou-ette, chou-ette, Rou-en [5].
1° Monosyllabe dans l’adverbe affirmatif oui.
2° Ordinairement, disyllabe. Ou-ïr, ou-ï, s’évanou-ir, jou-ir, éblou-ir, et le substantif Lou-is.
Monosyllabe : Ba-bouin, bara-gouin.
1° Monosyllabe dans é-cuelle.
2° Ordinairement disyllabe. Il tu-a, persu-ader, immu-able, chat-hu-ant, tu-er, remu-er, attribu-er, hu-é, nu-ée, su-eur, lu-eur, cru-el, du-el, ru-elle, mu-et.
1° Monosyllabe. Dans aujour-d’hui, lui, ce-lui, ap-pui, fruit, sui-vre, bruit, ré-duire, fuir, puits.
2° Disyllabe. Dans flu-ide, ru-ine, ru-iner, bruine, su-icide.
1° Y et ï ne comptent pas pour une syllabe dans payable, effrayant, payé, foyer, frayeur, moyen, citoyen, royaume, païen, aïeux ; ni les deux lettres y et i réunies au subjonctif, comme voyions, voyiez.
2° Y et ï font une syllabe distincte dans paysan (pai-isan), abbaye, ha-ï, sto-ïque.
L’e muet, placé dans le corps de certains mots après une voyelle, allonge cette voyelle, mais ne compte pas lui-même pour une syllabe : Je paie-rai, je loue-rai, nous avoue-rons, je me fie-rai, je remuerai, dénue-ment. Aujourd’hui cet e se remplace souvent par un accent circonflexe.
Dans les mots Saône, août, Aaron, les deux premières voyelles se contractent en une seule.
La quantité syllabique de quelques-unes des voyelles que nous avons passées en revue a varié ; mais elle est aujourd’hui fixée invariablement.
La connaissance exacte de la quantité syllabique des mots est nécessaire non-seulement pour construire un vers, mais encore pour bien lire une pièce de poésie et en faire sentir exactement la mesure.
Les vers français ne peuvent avoir plus de douze syllabes. Il y a aussi des vers de dix, de huit, de sept syllabes. Les vers qui ont moins de sept syllabes sont plus rares : nous les négligeons pour le moment.
L’e muet ou la syllabe muette placés à la fin d’un vers ne comptent pas dans la mesure.
VERS DE 12 SYLLABES.
Oui, je viens dans son temple adorer l’Éternel. Racine.
VERS DE 10 SYLLABES.
Rions, chantons, dit cette foule impie. Rac.
VERS DE 8 SYLLABES.
Quel astre à nos yeux vient de luire ? Rac.
VERS DE 7 SYLLABES.
Les pécheurs couvrent la terre. Rac.
On nomme pied la réunion de deux syllabes : ainsi le vers de douze syllabes a six pieds, celui de dix syllabes a cinq pieds [6].
Le vers de douze syllabes est le plus noble et celui qui nous fournira le plus souvent nos exemples. Il se nomme alexandrin [7], ou bien encore héroïque, ou simplement grand vers.
Quelques critiques, eu égard au nombre de pieds ou mètres [8], appellent hexamètre (de six pieds) le vers de douze syllabes, pentamètre (de cinq pieds) celui de dix syllabes, tétramètre (de quatre pieds) celui de huit syllabes.
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[1] Monosyllabe, d’une seule syllabe ; disyllabe, de deux syllabes ; trisyllabe, de trois syllabes ; polysyllabe, de plusieurs syllabes. En écrivant disyllabe, trisyllabe, et non dissyllabe, trissyllabe, comme on le fait ordinairement, nous avons égard à l’étymologie.
[2] C’est-à-dire monosyllabe ou disyllabe.
[3] Le mot ancien n’a pas la mesure bien fixée, et les grands poètes ont évité d’en faire usage. Primitivement ce mot était trisyllabe : le siècle de Louis XIV n’osa ni suivre cet exemple, ni le réformer.
Voltaire fait une remarque judicieuse sur ce vers de Corneille :
J’ai su tout le détail d’un anci-en valet.
« Ancien de trois syllabes rend le vers languissant ; ancien de deux syllabes devient dur. On est réduit à éviter ce mot, quand on veut faire des vers où rien ne rebute l’oreille. Néanmoins l’on fait généralement aujourd’hui ce mot de deux syllabes.
[4] L’interjection ouais est aussi monosyllabe :
Ouais ! quel est donc ce trouble où je le vois paraître ? Mol.
[5] Ajoutez le mot souhait et ses composés.
[6] On dit qu’un vers n’est pas sur ses pieds quand il n’a pas le nombre exigé de syllabes.
[7] Ce vers a pris son nom d’un ancien poème dont Alexandre est le héros.
[8] On nomme aussi mètre la mesure totale d’un vers. On dit : écrire dans tel mètre, c’est-à-dire adopter telle mesure de vers.