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Petit traité de versification française - Louis Marie Quicherat - 1882
Chapitre 5 : De l’Élision, de la Synérèse.

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  • 1° Nous avons dit que l’e muet, terminant un mot et suivi d’une voyelle, ne compte pour rien dans la mesure du vers : il y a élision :

Ismène est auprès d’elle, Ismène, toute en pleurs,
La rappelle à la vie, ou plutôt aux douleurs. Rac.

On scande comme s’il y avait :

Ismèn’ est auprès d’ell’, Ismène tout’ en pleurs, etc.

La poésie ne fait en cela que se conformer à la prononciation de la prose. 

L’élision de l’e muet final a lieu quand le mot suivant commence par une h non aspirée :

Laisse-moi prendre haleine, afin de te louer. Corn.
L’argent en honnête homme érige un scélérat. Boil.
Plus méchant qu’Athalie, à toute heure l’assiége. Rac.

Mais elle n’a point lieu quand l’h qui suit est aspirée :

Me montrer à la cour, je hasardais ma tête. Corn.
Et le teint plus jauni que de vingt ans de hâle. Boil.
Malheureux, j’ai servi de héraut à ta gloire. Rac.
Je jure hautement de ne la voir jamais. Mol.

  • 2° L’élision de l’e muet est exigée dans le corps du vers, quand cet e est précédé d’une voyelle accentuée, comme vie, joie, risée, vue, etc.

Rome entière noyée au sang de ses enfants. Corn.
Hector tomba sous lui, Troie expira sous vous. Rac.

Par conséquent, les joies, les destinées, ils voient, ils prient, renfermant un emuet que les consonnes finales ne permettent pas d’élider, ne peuvent être placés qu’à la fin du vers.

  • 3° L’e muet qui caractérise les rimes féminines ne compte pas dans la mesure, quoique le vers suivant commence par une consonne, et qu’il y ait continuité dans le sens :

Ciel ! à qui voulez-vous désormais que je fie
Les secrets de mon âme et le soin de ma vie ? Corn.
Que dans le Capitole elle voit attachées
Les dépouilles des Juifs par vos mains arrachées. Rac.

Le féminin grande peut perdre, par apocope, son e final devant quelques noms consacrés : grand’mère, grand’salle, la grand’chambre, à grand’peine, etc. 

Dans un genre de poésie où l’on veut reproduire le langage populaire, on retranche l’e muet non-seulement devant une consonne, mais encore dans le corps des mots : Nous n’sommes pas, d’la tête, p’tit.

  • 4° L’e muet acquiert quelquefois plus de valeur dans la prononciation, et devient la syllabe d’appui. Ainsi, dans voyez-le, l’accent tonique porte sur la dernière. Dans ce cas, l’e muet se soumettra difficilement à l’élision. Si vous scandez : voyez-le en passant en cinq syllabes, voyez-l’en passant, vous altérez la véritable prononciation, en déplaçant l’accent. On doit prononcer voyez-le à peu près comme voyez leu, et vous prononcez voyez-l’ à peu près comme voyelle[1]

Cette élision était admise dans nos vieux poëtes, et elle se retrouve encore du temps de Louis XIV, mais seulement dans le genre familier :

Ou bien faites-le entrer. — Qu’est-ce donc qu’il vous plaît ? Molière.
Condamnez-le à l’amende, ou, s’il le casse, au fouet[2] Rac.
Du titre de clément rendez-le ambitieux. La Font.

Dans le genre soutenu, l’on évite entièrement la rencontre de cet e muet avec une voyelle ; car, si l’élision est choquante, d’un autre côté, le conflit d’une voyelle, accentuée avec une autre voyelle produirait un hiatus.

La Harpe a souligné la mauvaise élision de le, qu’il trouvait dans le poème des Mois, par Roucher [14] :

Voyez-le en des traîneaux emportés par deux rennes.

  • 5° Certains mots contiennent un e muet qui ne se prononce pas, et qui ne fait qu’allonger la syllabe précédente : Vous avouerez, il louera, je prierais, etc. L’e muet intérieur ne compte pas dans la mesure : on réunit les deux voyelles en une, par la figure qu’on nomme synérèse :

Je ne t’envierai pas ce beau titre d’honneur. Corn.
C’est là, tout haut du moins, ce qu’il n’avouera pas. Boil.
Notre style languit dans un remerciement. Id.
Avant la fin du jour vous me justifierez. Rac.
J’essaierai tour à tour la force et la douceur. Id.
Je ne remuerai point. — Votre partie est forte. Mol.
L’un effraiera les gens, nous servant de trompette. La Fontaine

L’orthographe moderne remplace ces e muets par un accent circonflexe : j’avoûrai, je prîrais.

Dans la règle précédente rentrent les mots paieront, paierait, paiement, qui ne sont que de deux syllabes :

Un prix bien inégal nous en paiera la peine. Th. Corn.
Que tout autre que lui ne paierait de sa vie. Rac.
Tiens, voilà ton paiement. — Un soufflet ! écrivons. Id.

  • 6° Nous avons déjà dit que l’e muet des terminaisons en aient ne compte pour rien dans la mesure. 

Il en est de même de la troisième personne aient du verbe avoir :

Il était sur son char ; ses gardes affligés
Imitaient son silence, autour de lui rangés. Rac.
Sans que mille accidents ni votre indifférence
Aient pu me détacher de ma persévérance. Mol.

La même finale est également muette dans le subjonctif soient :

Les présents du tyran soient le prix de sa mort. Corn.
Tous les piliers ne soient enveloppés d’affiches. Boil.
Je consens que mes yeux soient toujours abusés. Rac.
Que de doutes fréquents ses vœux soient traversés. Mol.

 

 

[1] D’ailleurs, l'orthographe même nous montre que l'élision n'était point ici praticable ; car elle ne permet pas d'écrire : voyez l’en passant comme elle ordonne d'écrire : l'homme

[2] Dans les Plaideurs

Publié le 15/09/2024 / 36 lectures
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