Par les petites rues, 2

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Quand on est à la rue à 52 ans, que le paysage nous a adoptés, que l’assistance sociale se déculpabilise en mettant du « Monsieur » et du « Madame »  en-voici en voilà, que l’on devient quasi invisible en tant qu’être humain sensible, il y a ou cécité ou définition abusive du mot liberté. Il était largué. 

 

Par lui-même d’abord et essentiellement, par les autres, tous les autres et par les structures concernées. Surtout par lui-même.

 

Je fis mine de ne pas le saluer et il me sourit. Je choisis de lui offrir des pommes et des bananes, convaincue que les fruits ont une douceur silencieuse que la plupart des hommes n’ont pas. Et je le lui dis en sortant. Il rit.

 

Or, un homme qui rit n’est pas mort ni de l’intérieur ni physiquement. 

 

Évidemment. 

 

Nous avions le même âge, la cinquantaine. Sa propreté physique m’avait saisie la première fois, cette fois-là aussi. Sans être soigné, il était frais. Pour avoir passé un an de ma vie à travailler sur la psychologie des sdf, j’avais vu dès la première fois qu’un léger coup de pouce, qu’une sollicitude répétée aurait stoppé net sa descente aux enfers. Par les structures sociales, par l’humain, par le discours et le verbe, pour un retour progressif et laborieux vers soi. 

 

Je lui proposai un café et il acquiesça. Je m’assis sur le rebord de la vitrine, choisit la bienveillance silencieuse et me plongeai mentalement dans mon planning de travail.

 

 

-             Vous-même êtes légèrement déconnectée, me dit-il.

 

-             Évidemment, répondis-je. Nous le sommes tous à un moment ou à un autre. 

 

 

Il prit son téléphone et s’y plongea. Je finis mon café, restai là un bon quart d’heure à travailler mentalement et pris congé. Nous résistions tous les deux à l’appât du mot, chacun à sa manière surjouée, dans un objectif sien.

 

 

Il n’y a aucune liberté à dormir par terre, dans le froid, l’abandon de soi et la mort du verbe. Il y a impuissance, bras cassés et sournoise pathologie, fort glissante. 

 

Seulement, l’homme est pressé.

 

 

 


Publié le 27/01/2025 / 6 lectures
Commentaires
Publié le 27/01/2025
C’est parfois avec les silences que les êtres se livrent et se reconnaissent le plus. J’aime aussi cette idée que le rire puisse défier tous les drames et plus envore la mort. A suivre, j’espère:
Publié le 28/01/2025
Merci Léo. Le rire allonge nos vies, dans la légèreté. Bien à vous. Sam
Publié le 02/02/2025
"Il prit son téléphone et s’y plongea. Je finis mon café, restai là un bon quart d’heure à travailler mentalement et pris congé. Nous résistions tous les deux à l’appât du mot, chacun à sa manière surjouée, dans un objectif sien." C'est aussi l'une de mes obsessions, pourquoi parler ? Qu'est-ce qui se cache derrière les mots ? J'ai beaucoup aimé ce texte parce qu'il est rempli d'humilité, de maturité et aussi et surtout parce que nous sommes dans la même équipe, vous et moi, celles de ceux qui éprouvent de l'empathie envers ceux en particulier qui ont à peu près tout perdu.
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