- Bonjour, lança-t-elle.
- Bonjour, répondirent-ils en chœur.
Ils souriaient. Elle sentit une vraie bienveillance, mais aussi des yeux qui voyaient au-delà de l’étoffe.
- Je vous observais et je crois que vous êtes frère et sœur et puis, j’ai senti de la vraie connivence entre vous et comme quelque chose de foncièrement bon à l’égard de la nature, des arbres plus spécifiquement.
- Merci, répondit le jeune homme, dans un petit sourire.
- Ne vous étonnez pas de mon intrusion. Il existe encore par ici des personnes qui parlent la langue de l’humain. Et puis, j’ai le temps de m’arrêter pour voir les belles choses. M’adresser à vous fait ma journée. Je vis seule, j’observe, j’ai encore assez d’énergie pour faire partie de ce monde, mais les instances supérieures ont décidé qu’il fallait me mettre en marge, dit-elle en souriant.
Le jeune homme la regarda et la demoiselle, elle, souriait. Elle murmura quelque chose à son frère.
- Voulez-vous qu’on vous offre un café. C’est juste là, proposa la jeune fille.
- Je ne dirai pas non, répondit la septuagénaire.
Et ils s’attablèrent et ils partagèrent des viennoiseries, du café. Le jeune homme était souriant, mais réservé. La jeune fille, elle, timide de base, était souriante, rougissante, pleine d’énergie altruiste et prête à en découdre avec tout. Son visage d’une beauté latine s’ouvrait de générosité à chaque phrase.
- Vous me trouvez bizarre ? demanda la dame.
- Non, du tout. Nous avons été élevés par une dame qui parle comme un livre. Donc, vous ne nous étonnez pas, dit la jeune fille dans un sourire donneur de vie.
- Merci. Je ne me sens pas vieille et je ne suis pas du tout désaxée. Je vois l’humain, le profondément humain et il m’attire. Et j’ai une belle chance aujourd’hui. Me voilà, là, avec vous, à dire les choses. C’est une rencontre humaine, merci. J’ai été philosophe pendant trente-cinq ans. Enfin professeur de philosophie dans l’université près de la placette où je vous ai vus. J’ai enseigné la philosophie, mais je crois que j’ai aussi développé pas mal de concepts et de pensée philosophiques. Peut-être est-ce cela qui m’a poussée vers vous ? Nous vivons dans un monde souvent brutal, un monde aliénant plus que jamais aujourd’hui avec les smartphones et les réseaux sociaux. Un monde de tuerie aussi, parce que les hommes oublient qu’ils sont égaux. Je voudrais vous dire un tas de choses avant que le café ne finisse. Pour moi, à mon heure existentielle d'aujourd’hui, une rencontre avec deux jeunes comme vous est une opportunité heureuse. Ne vous étonnez pas et surtout n’ayez aucune méfiance ( Elle regarda le jeune homme ). C’est vraiment la philosophie qui m’a poussée, l’humanisme aussi, la solitude sûrement, mais surtout le désir de dire.
- Êtes-vous spécialiste d’un philosophe précis ? demanda le jeune homme, plus par politesse que par curiosité.
- Je suis une passionnée de philosophie, adepte des humanistes du XVIème, mais aussi de l’humanisme dans son acception plus générale. Adepte pure des rationalistes et des stoïciens. Des existentialistes aussi. Spinoza, Schopenhauer, Socrate, Diogène, Épictète, Aurèle, Sartre … Je vous ai vus tout à l’heure, j’ai senti quelque chose d’humain et je n’ai pas voulu passer à côté de cela. Vous avez eu la gentillesse de me proposer ce partage de chaud et de mots et je vous en remercie. C’est un moment humain, très peu anodin, fort même, du moins pour moi.
- Vous avez quelque chose de nos parents, dit la jeune fille.
Ce fut une petite heure de communication, de propension à écouter l’autre et à le saisir. Dans un café à l'ancienne, dans un patelin belge, par une journée de froid et de feuilles mortes. Un moment marquant pour tous, d’une certaine manière. Ils se rappelèrent leurs parents, leur dimension spirituelle s’exerça, ils échangèrent et elle en fut fort heureuse. Echange de coordonnées. Sait-on jamais !