Lys, la dormeuse éveillée du monde des reflets

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L’Ombre et la Lumière : l’histoire de Lys, celle qui se réveilla

Il était une fois une cité éclatante, où la lumière ne s’éteignait jamais. Les écrans couvraient les murs, les places, les visages. Les gens y cherchaient leur reflet, leur valeur, leur vérité. Dans cette clarté artificielle, nul ne voyait plus les étoiles. Le ciel, trop lumineux, avait oublié la nuit.

 

Lys vivait là, discrète et attentive. Elle travaillait dans une tour de verre où les images défilaient sans fin : publicités, discours, visages célèbres. Son rôle était de choisir ce que les autres verraient. Elle croyait servir la vérité, mais au fond d’elle, un doute grandissait. Chaque jour, elle sentait que quelque chose sonnait faux — comme une musique trop parfaite, sans silence entre les notes.

 

Un soir, alors que la ville brillait comme un joyau sans ombre, Lys resta seule devant les écrans. Les visages qu’elle diffusait semblaient la regarder. Leurs yeux étaient vides, mais leur sourire insistait. Une voix douce, presque caressante, s’éleva dans sa tête :

— Regarde comme ils t’aiment. Grâce à toi, ils croient. Grâce à toi, ils espèrent.

Lys frissonna.

— Qui parle ? demanda-t-elle.

— Je suis la lumière, répondit la voix. Celle qui t’épargne le doute. Celle qui te protège de la vérité.

 

Cette nuit-là, Lys rêva. Elle se tenait dans une salle de miroirs infinis. Chaque miroir reflétait une version d’elle-même : la Lys admirée, la Lys riche, la Lys obéissante, la Lys rebelle. La voix revint :

— Choisis ton reflet, et je te donnerai le monde.

Mais Lys sentit que, derrière chaque image, quelque chose manquait. Une ombre, une absence. Alors elle demanda :

— Et si je ne choisis aucun miroir ?

La voix se tut. Puis, dans le silence, un rire s’éleva — un rire sans joie, qui résonna comme un écho dans sa poitrine.

 

Au matin, Lys quitta la tour. Elle marcha sans but, fuyant les écrans, les slogans, les regards. Elle traversa la ville jusqu’à atteindre la lisière des collines. Là, pour la première fois depuis longtemps, elle vit le ciel sans lumière artificielle. Il était noir, profond, vivant. Les étoiles semblaient respirer.

 

Les premiers jours furent terribles. Le silence lui pesait. Sans les voix, sans les images, elle se sentit nue. Ses pensées, longtemps étouffées, se mirent à hurler. Elle découvrit la peur, la colère, la solitude. Mais peu à peu, ces voix intérieures s’apaisèrent. Dans le calme, elle sentit une autre présence — non pas une voix, mais une clarté. Une lumière douce, qui ne venait pas des yeux, mais du dedans.

 

Alors Lys comprit. Le diable n’était pas un être de feu, mais une distorsion de la conscience. Il vivait dans la confusion entre le vrai et le faux, dans la peur de penser, dans le confort de l’illusion. Il se nourrissait du vacarme et de la distraction. Et la seule arme contre lui était la lucidité.

 

Elle resta longtemps dans les collines, apprenant à écouter le vent, à observer les ombres, à sentir la vie sans la nommer. Elle découvrit que la vérité n’était pas un savoir, mais une expérience. Elle ne se disait pas, elle se vivait.

 

Quand Lys revint à la cité, rien n’avait changé. Les écrans brillaient toujours, les foules couraient toujours. Mais son regard, lui, était différent. Elle voyait les fils invisibles qui reliaient les émotions, les mots, les gestes. Elle voyait comment la peur divisait, comment la colère aveuglait, comment la distraction endormait.

 

Elle commença à parler. Pas pour convaincre, mais pour éveiller. Elle disait :

— Le diable n’est pas dehors. Il est dans la conscience qui s’endort. Il ne ment pas : il fait oublier que la vérité existe.

Certains riaient, d’autres détournaient le regard. Mais quelques-uns l’écoutèrent. Ils se mirent à douter, à questionner, à chercher.

 

Peu à peu, un cercle se forma autour d’elle. Des femmes, des hommes, des jeunes, des anciens. Ensemble, ils apprirent à penser, à écouter, à se taire. Ils redécouvrirent la lenteur, la lecture, la contemplation. Ils comprirent que la liberté ne se conquiert pas par la révolte, mais par la clarté intérieure.

 

Les puissants tentèrent de récupérer Lys. On lui proposa de parler sur les écrans, de devenir une figure publique. Mais elle refusa. Elle savait que la vérité, une fois mise en spectacle, devient mensonge. Elle préféra disparaître dans le silence, laissant derrière elle une trace invisible : une idée, une vibration, une lumière.

 

Les années passèrent. La cité continua de briller, mais dans ses interstices, quelque chose changeait. Des consciences s’éveillaient. Des regards se levaient vers le ciel. Et dans le murmure du vent, on disait encore son nom : Lys, celle qui avait vu à travers la lumière.

 

Et dans le cœur de ceux qui l’avaient comprise, une phrase demeurait, comme un secret partagé.

 


Publié le 16/11/2025 / 23 lectures
Commentaires
Publié le 16/11/2025
J'aime bien ce texte, y ai vu parfois mes propres errances. Mes enfants m'ont assuré à un moment que je n'étais pas surveillée par de petits chinois sur internet. Je doute encore. La première fois qu'ils m'ont crée une messagerie et que j'y ai lu "Bonjour, Valérie". Je leur ai dit : Comment savent-ils déjà mon prénom? forcément, on peut errer plus que d'autres aussi. Et puis quand on va sur un site de poésie et qu'on reçoit des photos anatomiques "rigolotes" non désirées, on se pose des questions aussi. "Où suis-je ? Pour qui me prend-on ? Où vais-je ? Qu'ai-je donc écrit ? Est-ce un drone qui me surveille ou ma parenté subie nazie ?" , etc. J'ai décidé maintenant que ça n'avait plus d'importance. Et apprécié tout ce que révèle votre texte de profond et de délicat.
Publié le 16/11/2025
Merci, Valérie, pour ce partage à la fois touchant et lucide. Tes mots résonnent avec cette part d’étrangeté que nous ressentons tous parfois face au monde numérique et à ses reflets déformants. Il y a dans ton message une sincérité rare, une façon d’assumer l’errance comme une forme de quête. Savoir que mon texte a pu trouver un écho dans cette traversée me touche profondément
Publié le 16/11/2025
J’aime vraiment énormément car il y a tous les éléments clés qui troublent notre époque et nos sociétés. c’est tellement impeccable et complet que je verrais presque une entité supérieure prendre de la hauteur et surtout de l’analytique comme le divin sur sa création, ou plus actuellement une IA bluffante de réalisme. Grand bravo pour cette performance si tu es bien humaine Mary :-), tu as toute mon admiration, d’autant plus que tes commentaires présentent par leur densité et précision analytique ces mêmes capacités qui m’impressionnent pour les mêmes raisons, toujours inspirants et précis, sans fausses notes, merci pour tous ces magnifiques apports. Pour en revenir à ton très bon texte, j’ai particulièrement aimé ce passage qui est le noeud de bien des maux actuels : "Elle voyait comment la peur divisait, comment la colère aveuglait, comment la distraction endormait. » car ce sont bien les émotions alliées aux biais cognitifs qui éloignent les personnes de leur libre arbitre, et c’est bien les polémiques et scandales à répétitions qui cherchent en permanence à altérer la neutralité des émotions pour engager le buzz et la viralité des contenus qui rapportent du fric, qui ont pris le dessus. Dans ce passage relevé également, il y est question de distraction, et j’ai en tête (j’en ai parlé il y a peu) de la société du spectacle de Guy Debord. J’ai bien évidement pensé également à 1984 et à la série de films "Hunger Games »… et pour finir, ce qui est bien aussi et qui est un élément clé qui permet la révolution : le caractère incorruptible de Lys qui ne se fait pas rattraper et empêcher par le système. Du tout bon, encore mille bravos Mary.
Publié le 16/11/2025
Et j’ai oublié comme référence incontournable « Fahrenheit 451 » de Ray Bradbury, ton texte regroupe toutes ces grandes références littéraires et cinématographiques, vraiment chouette.
Publié le 16/11/2025
Ah, Léo… il faut que tu saches la vérité : je ne suis pas tout à fait d’ici. On dit que je viens d’une planète lointaine, quelque part entre la constellation de la Créativité et la nébuleuse de l’Inspiration. Là-bas, on se nourrit de mots, on respire des idées et on dort dans des nuages de métaphores. Je ne compte pas envahir la Terre… juste y semer un peu plus de poésie. 💭Ella es una mujer especial Como caída de otro planeta...Un, dos, tres 🤪. Ce que tu exprimes touche à l’essence même du texte : cette tension entre la lumière et l’ombre, entre la conscience et la manipulation, entre la vérité et le vacarme. Tu as parfaitement saisi le cœur du propos : la peur, la colère et la distraction comme outils de contrôle, et la lucidité comme acte de résistance. Ta lecture fait écho à Debord, à Orwell, à ces œuvres qui ont su dévoiler les mécanismes de la société du spectacle et de la domination par l’image. Lys, dans ce sens, incarne cette part incorruptible de l’humain, celle qui refuse de se laisser absorber par le flux, qui choisit le silence comme espace de vérité. Ce que tu dis sur la viralité, sur la manipulation émotionnelle, est d’une justesse rare. C’est bien là que se joue la bataille contemporaine : non plus sur les champs de guerre, mais dans les consciences. Et c’est aussi là que naît l’espoir : dans chaque être qui, comme Lys, ose fermer les yeux sur le vacarme pour mieux voir à l’intérieur. Merci pour ton regard éclairé, pour ta sensibilité et ta profondeur. Tes mots prolongent le texte, ils en deviennent une résonance🙏. PS: Tu viens de me souffler mon prochain projet : IA vs Humain.
Publié le 16/11/2025
Je savais bien que la carte terrestre ne suffirait plus pour l’implantation des auteurs dans la partie « communauté », ça va trop loin le peuple des mots 😂
Publié le 16/11/2025
L’histoire de Lys m’a touchée, révélant ombres et lumières de notre époque. Lys, âme en quête, éclaire le chemin. Elle montre ce qui se cache derrière les reflets. Tu as saisi son éveil, son voyage intérieur, la beauté de la lucidité. Chaque phrase résonne, écho de notre propre quête. Ta voix, douce et forte, rappelle que la lumière se trouve dans l’écoute, dans le ressenti. Tu invites à réfléchir, à contempler. Un éveil collectif murmure dans nos cœurs. Merci Mary :)
Publié le 16/11/2025
Merci beaucoup, Allegoria. Tes mots me touchent profondément. Tu as saisi avec une belle justesse l’esprit de Lys et ce qu’elle incarne : la clarté au milieu des reflets. Ton regard donne encore plus de sens à ce voyage intérieur.
Publié le 16/11/2025
Vos écrits sont comme des contes des origines, initiatiques. Intéressants vraiment mais j'aimerais que vous alliez encore plus loin pour entendre votre petite musique, celle des contes qui sonnent et résonnent...
Publié le 16/11/2025
Merci pour ces mots si justes et stimulants. J’aime beaucoup cette idée de “petite musique” — celle qui naît entre les lignes, là où le sens devient vibration. Aller plus loin, c’est sans doute oser le dépouillement, laisser la phrase respirer jusqu’à ce qu’elle touche quelque chose d’universel, presque ancestral. Tes mots me rappellent que chaque conte porte une note unique, et que c’est dans sa résonance intime qu’il devient vivant.
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