Madame la juge, mesdames et messieurs,
Je souhaite à travers cette lettre clamer ma profonde tristesse vis-à-vis de mon sort et vous faire comprendre à quel point j’ai compris la leçon. Je vous en prie, écoutez mon histoire, prenez en compte mon douloureux passé dans votre jugement et acceptez ma demande de liberté conditionnelle.
En ce jour, le 10/11/2021, cela fait 12 ans et 3 jours que je suis en prison, enfermée dans une cellule avec deux autres dames adorables. Et pourtant, elles sont coupables d’actes qualifiés d’épouvantables.
L’une a tué son mari par vengeance car il l’ignorait, rentrait souvent ivre le soir très tard et la trompait à chaque coin de rue. De plus, il lui arrivait souvent de la frapper et de la maltraiter. Pourtant, elle semblait si heureuse avec lui car, lorsqu’ils étaient ensemble, dehors, loin de l’enfer, elle souriait à la vie. Cependant, peut-on supporter cela indéfiniment ? Un soir, alors qu’il la frappa avec animosité jusqu’au sang, ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Pour se protéger, elle le tua. Elle n’avait pas le choix. Retrouvée par la police 3 semaines plus tard, elle fut arrêtée et condamnée à 20 ans de prison. Cela fait 3 ans que les faits se sont produits et elle est traumatisée.
L’autre est atteint d’une psychose hallucinatoire qui lui a valu l’enlèvement de son fils pour maltraitance. Vivant dans un appartement insalubre, seule avec son fils de 6 ans, elle n’avait malheureusement pas assez d’argent pour acheter ses soins médicaux et élever son fils dans un endroit des plus confortables. Alors elle a fait le choix de baisser son traitement et d’élever son fils sans père. Malheureusement, malgré tous ses efforts, cela n’a pas suffi et un jour, lors d’un matin funeste, elle eut une crise des plus violentes dont son fils en fut la cible. Arrivé à l’école, seul et à bout de souffle, il dénonça sa mère à sa directrice et la garde de son enfant fut aussitôt retirée. Il est en ce moment dans une famille d’accord et elle, sa mère, a été condamnée à 3 ans de prison ainsi qu’un an obligatoire de soins hospitalisé.
L’une a pensé se protéger et l’autre n’a rien fait d’autre que d’essayer de vivre sa vie malgré la maladie. Peut-être que vous vous demandez pourquoi je vous raconte tout cela ? C’est parce que je me reconnais à travers ses femmes. Ma vie non plus n’a pas été facile, et pourtant Dieu sait que j’ai tout tenté pour l’améliorer.
Mon enfance fut des plus catastrophiques. Pouvons-nous même appeler cela une enfance ? Mon père me battait, ma mère buvait et mon frère est atteint d’un handicap rare qui s’appelle le syndrome charge. Aujourd’hui, j’ai compris pourquoi mon père était violent envers moi. Il rejetait toute sa culpabilité d’avoir fait un fils handicapé sur mes épaules et ça le rassurait. Quant à ma mère, elle a choisi l’alcool comme moyen d’évasion. Seul mon frère était inconscient de ce qui se passait, voire ignorant. Ainsi, les seuls moments que je vivais en sécurité étaient dans le parc près de mon foyer et l’école. Certes, je n’étais pas bonne élève même si j’essayais de faire de mon mieux mais qui aurait pu se douter la véritable raison de ma médiocrité. Les professeurs ne cessaient de me rabaisser et dès que j’essayais de parler de mes problèmes, personne ne m’écoutait. À force, j’ai arrêté d’essayer et j’ai compris que dans ce monde, on ne pouvait compter que sur soi-même.
J’ai alors fugué de chez moi à l’âge de 15 ans, suite à une nouvelle crise de violence de la part de mon père. Je ne savais pas où aller mais j’avais entendu dire que des hommes habitant près du périph cherchaient des personnes agiles pour faire des petits boulots. Innocente comme j’étais, je ne me suis jamais posé la question si ce qu’ils proposaient comme « boulots » étaient légaux ou pas. Je n’avais qu’une idée en tête par rapport à ce que j’avais vécu : survivre.
Lorsque je les ai enfin trouvés, ils m’ont accueilli comme une vraie princesse. Même s’ils avaient l’air dangereux, ils m’ont offert un toit, m’ont nourri et surtout, ils m’ont soutenu. Je leur ai tout raconté et ils m’ont compris sans difficulté. C’est alors que le chef de leur bande, Diego, m’a pris sous son aile et m’a appris comment survivre dans ce monde de brutes. J’étais si heureuse. Pour la première fois de ma vie, j’existais dans les yeux de quelqu’un d’autre. Pour lui, j’étais capable de tout, dans la limite de la loi. Au début, il me demandait de livrer des colis étranges. Je ne savais pas que c’était de la drogue à l’époque. Alors je les livrais sans émettre aucune peur ni aucun doute.
Puis les mois ont passé, j’ai commencé à me faire connaitre dans le milieu et pour tout vous dire, j’étais enfin heureuse. Un jour, Diego parlait avec ses collègues d’une affaire grandiose. Curieuse, je me suis immiscée dans leur groupe. Diego disait qu’il avait un plan infaillible pour voler une maison et qu’il avait besoin d’une personne assez fine pour passer par une petite fenêtre donnant directement accès au boitier de désactivation de l’alarme. Seulement, aucun de ses hommes ne correspondait à ses critères. Tous sauf moi. J’ai alors levé la main et j’ai dit que je pouvais le faire. Tout le monde me regarda avec stupéfaction. Ils m’ont fait quitter la pièce et après 1 heure d’attente, Diego me donna sa décision. C’était décidé, j’allais l’aider. Je lui devais bien ça, il m’avait sauvé la vie. Il était comme un père pour moi.
La suite, vous la connaissez… Je vous assure de tout mon cœur que je ne voulais pas tuer cet homme. Lorsqu’il est arrivé vers Diego pour l’attaquer, j’ai paniqué et j’ai voulu l’assommer afin qu’il se calme. Seulement, la peur a gagné ma raison et je n’ai pas su contrôler ma force. Je voulais seulement protéger celui que j’aime… Si je pouvais retourner en arrière… Si seulement je pouvais m’empêcher de lever la main et de me proposer… Je ne serais pas là, devant cette feuille pour vous prouver mes sincères excuses. Je sais qu’enlever la vie d’un homme est grave et punissable, seulement je vous assure que je ne voulais pas le tuer. Je voulais seulement défendre la vie de l’homme qui m’a sauvé.
C’est pour cela que je me sens si proche de ses deux femmes. En fin de compte, nous avons juste essayé de faire de notre mieux. Nous n’avions pas tellement le choix.
C’est pour cela que je vous écris cette lettre. Je vous en prie, cela fait 12 ans que je demande ma remise en liberté conditionnelle. J’ai bien compris la leçon et je vous jure sur mon honneur que jamais plus je ne recommencerais. J’ai presque 30 ans maintenant. J’avais à peine 18 ans lorsque j’ai fait cet acte impardonnable. Il me hante et me hantera à jamais et je le mérite.
Cependant, puis-je mériter de vivre mon existence en société ? Puis-je mériter d’être heureuse et libre ? Ma vie n’a été que souffrance et désolation. J’ai fait de mon mieux pour m’en sortir. Toutes mes plus belles années ont été consumés par mes actes plus qu’effroyables. Mais, s’il vous plaît, pardonnez-moi et octroyez-moi ma remise de liberté conditionnelle afin de vous prouver que je suis prête à réintégrer la société. Donnez-moi la chance de vivre une vie normale, heureuse. Donnez-moi la chance de vivre ma vie, celle qui m’a été volé par les autres.
Je vous remercie,
Patricia Kunvil