Soirée festive dans un club de vacances « Vacances paradisiaques ». A l’occasion de leur mariage, Anaïs et Maxime ont réuni quelques amis et résidents autour d’un vin d’honneur. On y retrouve tous les personnages des épisodes précédents.
— Chers amis, merci d’avoir répondu à l’invitation d’Anaïs et de Maxime en bravant la canicule qui sévit depuis huit jours sur la région. Votre présence témoigne à quel point le dénouement heureux de leur rencontre vous tient à cœur et nos jeunes mariés ont tenu à vous remercier en régalant vos papilles et vos oreilles. Attendez-vous à être surpris par la qualité gustative de la farandole de desserts qui vous sera proposée, elle est l’œuvre de Gianni et Camille, un couple de pâtissiers itinérants de la maison « Jeanne Honoré » qui sillonnent la France tout l’été. Nous avons également la chance d’accueillir sur scène le groupe de rap « Rapperon Rouge » du nom éponyme de son autrice compositrice charismatique. Elle et Lou, son guitariste, font le buzz dans les charts français avec leur deux derniers sons « L’envie » et « « Pas peur du loup ». Réservez-leur votre meilleur accueil s’il vous plaît, ils ont fait beaucoup de route pour être présents aujourd’hui.
L’animatrice qui a pris la parole au milieu du brouhaha est une personne qu’on pourrait qualifier de solaire. Dès qu’elle a ouvert la bouche, les conversations se sont tues, Tous les regards ont convergé vers cette femme blonde d’âge mur, qui avec sa voix appaisante et son doux regard a déjà fait craquer un homme sur deux. Elle porte une robe longue couleur azur sans manches dont l’extrême fluidité produit une ondulation gracieuse à chacun de ces pas. On dirait qu’elle se meut sur un coussin d’air, performance extraordinaire puisqu’il n’y a pas le moindre souffle. Sur son bras droit, une inscription tatouée en écriture cursive s’étale verticalement entre l'arrondi de son épaule et son coude. Les lettres détachées les unes des autres permettent une lecture facile : « Bienveillance »
Une autre femme, plus grande, plus brune, plus jeune, la rejoint avec la même souplesse de déplacement. Aussitôt, la première s’écarte avec un sourire généreux, laissant la parole à sa partenaire. Leur duo semble bien huilé et la deuxième moitié des hommes présents craque à son tour. A l’instar de celle de son binôme, sa robe arc-en-ciel suscite l’admiration des convives et sur son bras figure la même calligraphie intitulée cette fois-ci « Tolérance ».
Celle-ci prend la parole à son tour :
— L’heure est venue de féliciter les nouveaux mariés comme il se doit, c’est-à-dire avec un tonnerre d’applaudissements, s’il vous plait ! Donnez-leur le meilleur de vous-même. Mesdames et Messieurs… Anaïs et Maxime !
Tous les regards convergent vers le rideau qui dissimule la scène et derrière duquel les jeunes mariés sont sensés sortir. Pendant trente secondes, rien ne se passe et on entend quelques chuchotements interrogatifs et quelques ricanements côté convives. Derrière la tenture, ce ne sont pas des murmures mais des petits cris ravis qui fusent en écho à un grognement satisfait. Le groupe de rap fait sa balance ? C’est alors qu’entre les deux pans de tissu rouge carmin, apparaît une main féminine ornée d’une alliance en diamant, suivi du bras tout entier et d’une mariée une nouvelle fois échevelée. Derrière elle, le marié est en train de reboutonner son pantalon, l’air hagard.
Eve se tourne vers Adam :
– Quelle conduite inadmissible un jour de mariage ! Ils ont vraiment le feu aux fesses ces deux-là ! J’ai entendu dire qu’il l’avait rencontrée à 14h et qu’à 14h15 elle avait déjà les pattes en l’air sur son bureau. De toute façon, pas besoin d'observer longtemps cette fille pour s’apercevoir que c’est une traînée et que notre ami Maxime s’est fait avoir en beauté.
Adam baille lentement en sirotant la coupe de champagne sans alcool que sa femme lui a apporté en prévision d’un probable retard des mariés.
— C’est toujours comme ça les mariages…
Si Ève le dit… Personnellement, il se rappelle plutôt de l’organisation quasi militaire du sien et il se dit qu’il aurait bien aimé paresser un peu plus, lui aussi, dans les bras de l’Ève-d’avant plutôt que de suivre à la lettre le timing imposé par l’organisation sans faille de son épouse.
Un léger souffle dans son dos lui fait prendre conscience de la présence de Bienveillance et Tolérance, les joliment nommées.
— L’amour n’est-il pas un magnifique sentiment ? susurre doucement Bienveillance à Ève.
— Euh… oui bien sûr, répond celle-ci avec une gêne manifeste.
— N’y a-t-il rien de plus charitable que l’acceptation des différences entre les êtres ? renchérit Tolérance.
— Euh… non bien sûr, soupire Ève, baissant les yeux en rougissant.
Sur ces entrefaites, les verres sont ré-emplis et Bienveillance porte en toast au nouveau bonheur des mariés. Des « Vive les mariés » fusent de droite et de gauche et Tolérance annonce d’une voix mélodieuse que le buffet de gourmandises est ouvert.
— Aujourd’hui tout est permis ! Régalez-vous ! Ne craignez ni les calories en trop, ni l’effet euphorique des bulles, riez et soyez heureux les uns avec les autres, généreux les uns envers les autres. Profitez de la vie et de l’instant présent !
— Elle a raison Ève, peux-tu aller me chercher un verre de vrai champagne, chérie ?
— Après tout, pourquoi pas mon amour ? Mais cette fois-ci, finie la paresse estivale, c’est toi qui vas me l’apporter, rétorque-t-elle en riant devant un Adam médusé.
Lorsque le rideau se rouvre, en grand cette fois-ci, et que les premiers accords de l’intro du tube de l’été « Pas peur du loup » résonnent dans la chaleur estivale, les corps se lèvent immédiatement et entament une agitation semblable à une danse de Saint-Guy, sur la piste de danse herborisée du club de « vacances paradisiaques ».
Plus question de danser en couple, chacun secoue sa carcasse sur les rythmes saccadés du succès aux deux millions de vues sur Tik Tok et Instagram, accompagné des sonorités gutturales de la môme des quartiers « Rapperon rouge » et des riffs électriques de son guitariste Lou. Ceux qui les suivent sur les réseaux sociaux savent que leur cohabitation a commencé sur des bases hasardeuses mais le producteur de Rapperon rouge l’a mise en relation avec Bienveillance et Tolérance, influenceuses talentueuses à la mode. Celles-ci n’ont eu aucun mal à lui faire comprendre que l’union fait la force et que les querelles sont faites pour être pardonnées à défaut d’être oubliées. Depuis Lou et Rapperon sont les meilleurs amis du monde et militent à travers leur musique pour une meilleure façon de vivre ensemble ses différences.
Trois personnes ne prennent pas part aux festivités. Un homme, attablé, seul sur le côté gauche de la scène, regarde les gens danser sur cette musique horrible et il a peine à croire qu’on puisse appeler cela une chanson. Lui, il a fait de la musique, de la vraie, pas comme ces sauvages décadents. Il était le meilleur dans les soirées Karaoké. Il faut dire qu’il chantait vraiment bien et qu’il éclipsait par son talent tous ces chanteurs du dimanche qui ne valaient rien. Ça se terminait souvent en sucette car les autres voulaient lui voler la vedette et parfois même la victoire.
François Courneuve sait qu’il est pensionnaire de « club paradisiaque » pour tout l’été, en tant que condamné à des travaux d’intérêt général doublés d’un travail personnel sur son mental. Il bénéficie d’un soutien psychologique dont le but est une réintégration sociale. Il est venu avec son fils Yannis, lequel est affalé sous un arbre, plongé dans une lecture qui accapare toute son attention.
— Bonsoir François, pourquoi n’êtes-vous pas installé avec Ève et Adam comme prévu ? demande la voix calme de Tolérance.
Il la regarde avec suffisance.
— Vous les avez bien regardés ? Ève est une maman qui s’occupe de son mari comme de son petit garçon. Lui est un minable vautré toute la journée dans son transat, un verre de jus de fruit à la main. Hier, il m’a regardé avec un sourire et j’ai tout de suite compris qu’il se croyait supérieur à moi malgré son air abruti. J’ai bien failli le gifler. Mais j’ai résisté. Vous voyez, je suis sur la bonne voie
— il va falloir avancer beaucoup plus loin sur ce chemin, François, le coupe Tolérance. Je vous rappelle qu’il suffit d’un mot de ma part pour vous renvoyer devant le tribunal. Apprenez à considérer les autres comme vos égaux et tout ira bien, je vous assure. Je vous propose d’aller trinquer avec Ève et Adam et d’engager une conversation cordiale.
François Courneuve, la mine contrariée mais néanmoins soumise, se lève lentement. La seconde « contrôleuse » se trouve à mi-chemin entre sa table et celle des deux abrutis. Ces deux femmes ne le lâchent pas d’une seconde ! Bienveillance s’adresse à lui avec la mine aimable qui ne la quitte jamais.
— Ne vous inquiétez pas, François. Tolérance est tellement impliquée par son envie de convaincre qu’elle peut vous paraitre un peu vive. Croyez-moi, moi qui la connaît bien, je peux vous dire que si vous nous écoutez, elle et moi, vous aurez fait un grand pas vers la guérison. En fin de séjour, nous vous présenterons Humilité, notre collègue, elle complètera notre travail. Ayez confiance, et n’oubliez pas : lui, il a besoin de vous, ajoute-t-elle en montrant l’enfant, le nez plongé dans son Picsou géant.
Yannis a l’air certes absorbé par son magazine préféré, mais il suit néanmoins l’échange entre son père et ses deux anges gardiennes, enfin ce n’est pas tout à fait cela, mais un peu quand même, car il sait que si son papa n’avait pas bénéficié d’une super avocate et de la promesse d’assistance de ces deux bénévoles de l’association « Vertus envers et contre Vices », il aurait pu aller en prison. Il se sent soulagé depuis qu’il est dans ce club. Papa n’est pas encore guéri, il le sais, mais il va y arriver. Pendant ce temps, lui Yannis passe de chouettes vacances entre la piscine et la bibliothèque où il a fait la connaissance d’un personnage incroyable en la personne de Balthazar Picsou. C’est vrai que ce drôle de canard est tellement avare qu’il se prélasse dans une piscine emplie d’or et veille sur chaque pièce comme si elle était unique et surtout indispensable à son bien-être, mais il est aussi très attachant.
Yannis a dévoré presque tous les magazines présents dans les rayonnages et ainsi, il a découvert une histoire où Picsou ne paraît pas si acariâtre que cela et dans cet épisode, il fait même preuve de générosité en déboursant de l’argent pour sauver ses neveux. « Comme quoi, on n’est jamais vraiment mauvais », pense Yannis. On peut avoir des défauts très importants et en même temps avoir des qualités. Un peu comme son papa. Papa, il est comme exactement comme Picsou. « C’est un personnage complexe » lui a expliqué Bienveillance, en le prenant par les épaules. Grâce à elle, il a compris ce que veut dire « être complexe » mais aussi que cela a beau être une difficulté, cela apporte la richesse d’être différent. Ça, c’est Tolérance qui le lui a appris et ça lui a fait beaucoup de bien de le savoir.
Un peu plus loin dans l’ombre, il y a l’homme qui a toujours l’air en colère. Pourtant aujourd’hui, on fête le mariage d’Anaïs et de Maxime. Il les a rencontrés ici la semaine dernière. Ils sont très gentils mais c’est rigolo car ils disparaissent sans arrêt et quand ils reviennent ils rient, ils ont un air bizarre et ils sont tout débraillés comme dirait Eve, la copine de Maxime. Au club, il y a Gianni et Camille les pâtissiers, eux aussi sont cools, ils font des gâteaux toute la journée et on voit bien qu’ils en mangent aussi !
Et puis hier il a passé la journée avec les musiciens et depuis il sait que lorsqu’il sera grand, il sera chanteur de rap comme Rapperon rouge. Elle lui a raconté sa vie d’avant qui n’avait pas l’air très agréable. Elle a rencontré Lou dans la cité où ils habitaient tous les deux. Donc, si elle n’avait pas une vie marrante comme moi, c’est bien la preuve que sa chance on peut la faire changer, non ? « Ta vie, elle t’appartient et si tu a du courage et de la volonté, tu peux en faire ce que tu veux, enfin presque » lui a dit Rapperon.
Il a ôté le « enfin presque » et il a décidé que son papa et lui, ils auraient ce courage ! Papa deviendra gentil et lui chanteur de rap !
L’homme n’a pas bougé. Décidément, ici, il y a beaucoup de gens bizarres…Yannis se lève, son livre à la main et se dirige vers lui.
— Dis, Monsieur, pourquoi tu as toujours l’air en colère ? Quelqu’un t’a fait du mal ?
Un grognement lui répond.
— Je ne suis pas en colère.
— Alors je me demande quelle tête tu aurais si tu étais vraiment en colère. Si tu en avais, tu froncerais les sourcils ? C’est la première fois que je vois quelqu’un sans sourcils et sans cheveux en même temps. Tu viens d’une autre planète comme Picsou ? Regarde ! lui il a l’air heureux quand il plonge dans sa fortune, mais sinon il est grincheux comme toi parce qu’il a toujours peur qu’on la lui vole.
— Moi ma fortune on me l’a déjà volée, mon garçon.
— Tu veux bien me raconter ?
— Ce n’est pas une histoire pour les enfants tu sais. Je peux juste te dire que ma fortune, c’était ma santé. Tu vois, ton Picsou, il prend très soin de sa fortune et pourtant je suis sûr que parfois quelqu’un lui prend une pièce ou deux sans qu’il s’en aperçoive ; Moi c’est un peu ça, j’avais l’impression de faire attention et on m’a quand même volé.
— Tu es malade ? C’est grave ? Tu vas mourir ?
— Les docteurs répondent oui à tes trois questions mais je ne suis pas d’accord avec eux. C’est pour cela que je suis en colère, contre eux qui ne trouvent pas de remède et contre la vie qui m’a joué un sale tour.
— Tu devrais aller voir Rapperon rouge tout-à-l ’heure. Elle m’a dit que notre vie nous appartenait et qu’on pouvait en faire ce qu’on voulait.
— Ce n’est pas si simple, gamin. Mais je ne demande qu’à croire ta copine.
— Tu sais, en lisant mon Picsou Géant, j’ai compris qu’on pouvait être avare de ses sous, mais aussi de son cœur. Picsou n’est avare que de ses sous et toi tu n’es avare de rien du tout, alors je suis certain que ça va s’arranger pour toi. Viens avec moi ! je vais te présenter les gens qui sont ici. Je crois qu’ils sont là pour soigner leurs gros défauts. Tu vas voir, c’est assez marrant. Il y a des gourmands :Gianni et Camille ; un paresseux Adam : c’est pas un vrai c’est sa femme Ève qui le rend comme ça ; un orgueilleux : c’est mon père ; un envieux : Lou, mais finalement, ça lui a porté chance, il joue maintenant de la guitare dans le groupe de la fille de sa cité qu’il avait voulu arnaquer ; il y a les mariés, ceux-là ils ne pensent qu’à s’embrasser et sûrement pire d’après les gros yeux d’Ève quand ils sont sortis de derrière le rideau. ; et puis il y a mon Picsou : et même si c’est une fiction, je suis sûr qu’il y’en a plein des gens avares comme lui, assis sur leurs poches, qu’on dit… c’est trop drôle.
— Mais ce sont de graves péchés que tu me décris là, fiston.
— Oui, ils appellent ça des péchés capitaux, c’est pour ça qu’ils sont venus se faire soigner par Bienveillance et Tolérance. Toi c’est pas pareil, Monsieur, c’est ta maladie qui a l’air capitale, c’est pour cela qu’il ne faut pas te soigner de ta colère. Ton péché capital, il sert à te soigner de ta maladie capitale.
— Et ça marche pour eux tu crois ?
— Ben regarde-les ….
Devant la scène, la fête bat son plein. Gianni et Camille viennent d’apporter un énorme Saint-Honoré, surplombé de deux petits mariés en nougatine. Rapperon rouge entonne une marche nuptiale électrisée par la guitare de Lou. Les mariés ont encore une fois disparu et Ève, François et Adam viennent d’entamer une chenille malgré les grimaces d'Adam qui se tient les côtes. Tout cela sous le regard attendri de Bienveillance et celui attentif de Tolérance qui en profite pour envoyer un bref rapport à son employeur, l’avocate Rebecca Stein :
« Situation sous contrôle, Maître et en passe de rentrer dans l’ordre ».
L’homme en colère et Yannis se tiennent par la main. L’enfant tend son magazine à son nouvel ami :
— Je te le donne, mais ne ris pas trop quand même, il faut que tu restes en colère…