Les fiancés

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Ce texte participe à l'activité : Extrapolation

 

C’est ici que Thomas, le nouveau pensionnaire, atterrit. 

 

Il n’a pas choisi cet endroit, mais il décide d’y faire une petite place pour lui. 

Il en fait son foyer, un lieu où il continue à vivre, à aimer, à partager. 

 

C’est une aventure, une quête où chaque jour est une nouvelle page à remplir. 

Avec des chapitres encore plus drôles et émouvants que les précédents. 

À mesure que les jours s’allongent.

 

Thomas a quatre-vingts ans, Thomas a aussi le corps marqué par le temps. 

 

Et de grands yeux gris qui pétillent. Et une curiosité insatiable pour la vie. 

Pas si longtemps auparavant, il filait sur son vélo à travers champs. 

 

Ses cheveux, couleur argent poli, il les peigne en arrière. 

Avec une telle application qu’à cette seule pensée, je souris. 

Son front large et ridé est un peu comme une carte pleine de souvenirs. 

 

Avec sa chemise à rayures bleu ciel, il ajoute sa couleur dans un monde trop beige.

 

Thomas a le sens du détail. Il observe chaque pierre et chaque fleur sur son chemin, comme un narrateur de documentaire. Ses mains, noueuses et rugueuses, sont celles d’un homme qui a travaillé dur. Elles deviennent délicates lorsqu’il tient la main de Violette.

 

Ah, Violette !

 

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Sa Violette ! Ensemble, Violette et Thomas  <3

 

Ils découvrent l’amour, la beauté des moments.

Et la joie de se promener main dans la main à travers le village et la campagne.

Ils ne sont pas amers. Ils voient le beau dans les choses toutes simples. 

 

Deux enfants perdus dans un monde de bonbons.

 

Leurs voix, mêlées, douces et posées, ont le pouvoir de me rassurer. 

Anecdotes de jeunesse, récits de voyages et souvenirs de leurs amours passés. 

Gaiement. Et même si c’est Thomas qui  a plus à raconter.

 

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Violette, elle est là depuis trois ans. Elle a beaucoup pleuré.

 

Avec une philosophie de vie qui lui est propre : 

« Il y a plus malheureux que moi, et on finit par s’habituer à tout. 

D’abord, on n’est jamais tout à fait malheureux ». 

 

Et puis l’année dernière, tout a changé avec l’arrivée de Thomas. 

 

Leurs regards se sont croisés, une nouvelle énergie s’est dégagée du clin d'œil de la vie. 

Son fatalisme a fait place à la joie, contagieuse. 

Et elle rit, et elle les fait siennes, les aventures de son Thomas.

 

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Le concierge fume sa cigarette dehors. Il se raconte entre deux gorgées de café. 

Et les amoureux, de retour des champs, l’écoutent, amusés. 

Et l’infirmière que je suis regarde, un peu éloignée, le petit groupe. Et je souris. 

 

Je les appelle affectueusement “les fiancés”, ça suscite parfois les railleries.

Mais pour Thomas et Violette, ces jugements-là importent peu. 

Ils se moquent des murmures, leur amour effaçait les années et les cynismes.

 

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Et puis Violette, elle s’est éteinte. Comme ça. Ils s’étaient retirés dans le petit salon. Assis sur leur banquette. La banquette des fiancés. Leurs yeux soupiraient de plaisir.

 

Le télégramme disait : « Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. »

 

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Le directeur de l’asile a reçu le fils de Violette. Il l’a informé que la mort de sa maman, Madame Meursault, est survenue dans la paix et sans douleur.

 

Après une belle année, pleine de bonheur. Le fils ne l’a pas vue cette année-là.

 

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Les phrases que Thomas a surprises résonnent comme un coup de tonnerre. Violette, qu’il a tant aimée, est partie. Il glisse sur le sol. Froid. Il pleure. 

 

Aujourd’hui, sa fiancée est morte. Ou peut-être hier, il ne sait pas.

 


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Bah, je me plie à l’exercice, mais c’est évident pour tous ;)

 

L’Étranger d’Albert Camus, c’est un peu l’histoire d’un gars qui prend le mot “indifférent” à un tout autre niveau. Meursault, notre héros au cœur peut-être et au sourire en option, commence son histoire avec un enterrement. Pas n’importe quel enterrement, celui de sa mère. Et là, surprise, il n’est pas vraiment ému. Il se dit même que c’était une belle journée pour un pique-nique. Les autres sont choqués, mais lui, il est plutôt en mode “je fais ma vie, et la mort, c’est pour les autres”.


Et voilà, L’Étranger, c’est un mélange de drame, de comédie et de réflexions poétiques sur l’absurde. C’est comme une balade sur la plage, où l’on se fait tirer par les vagues, mais où l’on finit toujours par retrouver son équilibre.

 


Publié le 23/10/2025 / 27 lectures
Commentaires
Publié le 23/10/2025
Oui, mais... Il faut penser à ceux qui n'ont pas lu "L'étranger" et dont je suis. Ceci dit, on fait des recherches, on imagine, on s'enrichit, c'est amusant. Je te reconnais bien là, Allégoria, quand tu prénommes la maman. Pourquoi pas ? L'idée ne m'aurait pas traversé l'esprit. Alors bravo parce que si c'est singulier en plus d'amener quelque chose, c'est estimable. J'aime bien ton écriture. En lisant, j'ai pensé à un truc. Il me semble que les gens, sur les routes notamment, font de moins en moins attention aux autres. Ton écriture m'a un peu fait penser à un conducteur qui n'en a rien à foutre d'être suivi et qui tourne sans avoir pris la peine d'enclencher son clignotant. Mais, en écriture, on a le droit, d'ailleurs on a tous les droits. Sur la route, le mystère n'est pas conseillé, dans les textes, pourquoi pas ? Il peut ajouter à la profondeur de l'écriture. J'ai retrouvé aussi ta singularité à ne pas t'astreindre à un exercice que tu n'aurais pas aimé. Tu n'as pas eu envie d'imaginer une histoire, tu a préféré montrer des traits de caractère et des moments de vie, paisibles, aimants. Je suis bien content de t'avoir retrouvée ici. ;-) N.B. C'est frappant de voir à quel point les trois textes n'ont rien à voir les uns avec les autres. Comment les personnalités des auteures transparaissent dans leurs mots.
Publié le 24/10/2025
Merci pour ce commentaire réfléchi et plein d’enthousiasme ! Je comprends tout à fait ton point de vue sur “L’étranger” et l’importance de rendre les références accessibles. Et j’adore ton analogie avec la conduite ! C’est vrai que dans l’écriture, on a la liberté d’explorer sans clignotant, et ça peut enrichir le texte d’une manière unique. J’ai pris le temps de parcourir tes annotations et j’ai voulu y répondre, car j’apprécie l’effort que tu as consacré à les écrire. À lire plus haut ;) De manière plus générale, je sais que tu aimes partager ta vision de l’écriture, comme en témoigne tes commentaires aux copines-participantes. Mais n’oublie pas que la lecture, c’est tout un art aussi ! Ce n’est pas simplement un exercice où l’on se dit : “Ah, je l’aurais écrit comme ça !” C’est l’occasion de te poser des questions qui vont au-delà de toi-même, d’explorer le choix des mots et le rythme des phrases d'autres univers. En fin de compte, c’est une expérience qui t’enrichit vraiment ! Voilà, merci pour cet atelier ! Je ne pensais pas pouvoir y participer, mais je me suis laissée emporter. Un vrai bonheur ! :))
Publié le 23/10/2025
Probablement l’incipit le plus célèbre au monde : "Aujourd'hui, maman est morte »… j’aime beaucoup ton extrapolation toute en sensibilité avec un coup de coeur sur cette phrase ""Ils se moquent des murmures, leur amour effaçait les années et les cynismes. ». La vie comme une succession de représentations… merci Allegoria de nous revenir avec cette très belle participation.
Publié le 24/10/2025
Merci beaucoup pour ton commentaire Léo ! Heureuse que mon texte ait pu te toucher un peu. C’est toujours un plaisir de passer par ici, et de partager avec vous. Désolée de ne pas avoir répondu à tes commentaires sur ma participation à l’atelier de cet été ! Mes textes, surtout les derniers chapitres, étaient carrément indigestes. Je me suis écœurée toute seule, haha ! Je les retravaillerai quand j’aurai un peu de recul. En attendant, tu es un peu notre Elysia : un grand merci à toi pour faire vivre cet espace d’échange ! :-)
Publié le 25/10/2025
J’aime beaucoup votre extrapolation qui rend l’amour possible dans un asile, ce qui est une réalité à rebours des croyances limitantes basées autour de la folie. Que cela fait du bien de voir autre chose, d’ouvrir son esprit à différents horizons ! L’histoire est touchante, et c’est une bonne idée que de reprendre ce célèbre incipit de Camus qui en surprend plus d’un. Les points de vue des personnages sont intéressants, on les perçoit bien dans l’écriture. Enfin, les phrases commençant par "Avec une telle application..." et "Avec des chapitres..." montrent le côté oral des pensées qui casse les règles de l’écrit (ou on ne commence pas une phrase avec "avec"). Je reconnais là aussi la maîtrise du travail de l’auteur (de manière générale) qui se permet de jouer avec ce qu’il connaît par coeur. J’apprécie.
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