Le lendemain matin, très tôt, je me suis éveillé près de ma belle Josiane. Elle, pourtant frileuse, s'était largement débarrassée du drap qui ne lui arrivait plus qu'aux cuisses et offrait à ma vue, abandonné jusqu'aux omoplates par une veste de pyjama indigne... ou complice, son dos aux trois quarts dénudé. Le dos des femmes est très largement sous-estimé. Il est, à mon avis, la septième merveille de la féminité. Il est à l'érotisme ce que le vestiaire est au football : on y reprend son souffle, on y envisage de nouvelles stratégies, on y retrouve son calme sans s'éloigner du cœur de l'action, parfaitement en phase avec le match en cours, à l'écoute du moindre indice qui pourrait faire marquer l'équipe.
J'ai posé la paume de ma main, doucement, sur les deux petits creux qu'elle a, sous la base de sa taille. Elle s'est retournée, m'a regardé, les yeux encore éteints, s'est levée et a quitté la partie chambre. Le son d'un petit ruissellement intime m'est parvenu à l'oreille avant qu'elle réapparaisse et me dise en se recouchant "J'ai encore un peu sommeil, mon chéri."
Sans faire de bruit, je me suis préparé et je suis descendu au restaurant poursuivre la rédaction de mon récit devant un expresso. Comme sans doute des millions de fonctionnaires, j'imagine pouvoir devenir un auteur édité, alors j'écris. Je participe notamment à un atelier d'écriture en ligne sur un site très chouette en plus de partager quelques idées avec des amis par mail ou sur Facebook. Certains me disent que c'est très bon, d'autres non. Josiane, résignée, écoute les extraits dont je lui impose ma lecture enthousiaste avec, c'est selon, un visage fermé ou un encouragement du bout des lèvres avant de se replonger dans la lecture de son vrai livre écrit par un vrai auteur qui la fait parfois vraiment rire, ce qui a le don de m'exaspérer au dernier des points.
Vers 9h30, elle m'a rejoint et nous avons commandé le petit déjeuner, salé pour elle, sucré pour moi, avant de discuter de l'organisation de la journée car, j'étais quand même là pour travailler à pondérer la goinfrerie d'une multi-nationale. J'avais d'ailleurs, à ce sujet, rendez-vous à 14 heures avec mon homologue mauricien qui allait me faire un topo sur ce qu'il savait des optimisations les plus limite du groupe Total sur l'île Maurice. C'est Josiane qui irait au marché à Providence. L'inconnu avait du l'apercevoir à mes côtés à l'aéroport, il saurait qu'il pouvait lui faire confiance.
Dans l'attente de nos rendez-vous respectifs, Josiane ayant un peu mal à la tête, nous avons profité de la matinée ensemble pour faire une balade. Bras dessus-bras dessous, nous avons flirté sous le soleil devant les paysages verdoyants de cette magnifique île que le destin nous avait jetée sous les pieds, nous arrêtant ça et là pour partager notre sentiment à propos d'une éphémère odeur d'épice ou de la splendeur d'un champs, tellement exotique pour ceux qui, comme nous, vivent à Bobigny, avons-nous ri, elle, doucement, discrètement comme seules les femmes savent le faire, moi,... différemment.
Alors que je longeais une magnifique plage pour atteindre l'arrêt du bus qui m'amènerait à la direction locale des impôts, le taxi, appelé par l'hôtel, disparaissait déjà sur la route de la mer, emmenant avec lui, Josiane, vers la mystérieuse petite clé en métal. Nous devions nous retrouver à 18 heures dans le restaurant de la veille.
Plus ponctuel que je l'avais imaginé, le bus est arrivé et m'a embarqué. Je me suis faufilé à travers les gens vers l'arrière où je me suis installé et nous sommes partis, les voyageurs, ma clef USB et moi vers les chicanes fiscales imaginées par ceux qui pensent pouvoir gruger le trésor public et qui, faute de volonté politique, y parviennent la plupart du temps. J'étais en pleine reflexion quand le sentiment d'être suivi en plus d'un reflet aveuglant m'ont fait me retourner et j'ai vu, derrière nous, une Bentley noire. Sûrement pas celle d'Uncle David car Michel était installé à l'avant. Michel ??? Mais qu'est-ce qu'il faisait là ? Un congé de convalescence ? Je lui ai fait signe de la main - Je suis comme ça, instinctivement, je dis "bonjour". C'est plus fort que moi. Quand on me regarde dans les yeux, même si c'est un type que je ne supporte pas, je réponds par un bonjour, un salut, un sourire, un signe de la tête. Ce que je ne supporte pas et qui me fait sortir de mes gonds, c'est qu'on ne me rende pas la politesse. Ne pas répondre, c'est injurieux, c'est méprisant, c'est comme me cracher à la gueule. A plusieurs reprises, j'ai pris le cracheur à parti, lui hurlant ma façon de penser. Un jour, j'ai même été applaudi par des badauds, spectateurs de mon emportement qu'ils trouvaient, il faut le croire, justifié. - mais il ne m'a pas répondu. Ca ne devait pas être lui, d'autant que je ne connaissais pas les trois autres types, plutôt louches, avec lui dans la voiture. C'était un sosie de Michel dans la voiture ! Exactement la même tête de con ! Je ne pensais pas qu'il pouvait y en avoir deux, et fringués pareil en plus. Incroyable ?
Une fois arrivé à destination, j'ai été présenté à mon collègue et, devant quelques cafés, nous avons échangé, avec un plaisir gourmand, des documents très instructifs concernant les flux financiers de Total à Maurice. Durant près de trois heures nous avons comparé nos données qui auraient du être identiques mais des différences substantielles entre elles nous ont confirmé, sans le moindre doute, qu'il y avait matière à approfondir. Nous le ferions dès le lendemain dans les bureaux financiers de la multinationale. Joe, mon nouvel ami, inspecteur des impôts, se chargeait des modalités auprès du juge en charge.
Tout guilleret, sans la moindre angoisse, heureux de la fécondité de ma journée professionnelle, j'ai rejoint l'hôtel exactement au même moment que Josiane, elle et moi secouant triomphalement nos clefs respectives au dessus de nos têtes. Nous nous sommes approché et, main dans la main, nous sommes rentrés nous préparer pour le dîner en terrasse.
Près de la paisible piscine où abondent les nénuphars, devant nos Spritz, en attendant le repas, Josiane m'expliqua que pour l'affaire de mon grand-père, nous devrions partir sans tarder pour "Flacq", y chercher la maison des deux chapeaux rouges et trouver le parchemin dans son coffre. Sur un rocher non loin de notre table, un magnifique gecko, des plus colorés, semblait nous observer avec un calme et un sang-froid qui me rappelaient Josiane. Je me suis tourné vers elle. Nous nous sommes souri ; nous savions ce que l'autre avait pensé, elle, à cause de ma prévisibilité, moi, parce que j'étais toujours aussi amoureux.