On m’a souvent répété que je manquais de ma-tu-ri-té. Mes parents, mes professeurs et un peu tout le monde me le répétaient si naturellement que je n’aurais jamais osé leur en demander le sens. Non par peur d’avoir eu l’air idiot. J’ai toujours aimé avoir l’air idiot parce qu’avoir l’air idiot, c’est mieux qu’avoir l’air de rien. Non, je ne leur ai jamais avoué mon ignorance parce que la maturité coulait si bien sur leurs lèvres que son sens coulait de source. Mon immaturité, en en parlant comme ils en parlaient, ils me l’expliquaient. Je devinais ce que c’était. C’était moi. Puisqu’ils me définissaient, je me construisais avec les matérieux qu'ils me donnaient. Ces autres qui savaient, je voulais les séduire, je voulais leur plaire, je voulais les épouser alors je suis rentré dans le corset qu’ils tressaient pour moi. Le cuir des chaussures militaires ne s'assouplit jamais. Les combat shoes ne se font pas à ton pied, c’est ton pied qui doit se faire à elles. J’ai contrefait mon image dans un miroir. J'ai torturé mes chevilles et tout ce qui me portait pour me fondre parmi eux. Les vies sont des malentendus, la mienne en tout cas. Ils disaient de moi un mot qu’en vérité ils ne comprenaient pas. Et moi, pour eux, ce mot marron, je m'en suis vêtu. Quel bordel l’adolescence ! La vie entière parfois est un vaudeville. Les portes claquent dans le vide. Comédiens et comédiennes jouent leur rôle. Ce spectacle poussif, pas vraiment satisfaisant, on va s’en satisfaire et le jouer encore et encore jusqu’à la fin, quand on tire le rideau rouge.
Aujourd’hui, je dis que la maturité c’est la vieillesse ! Il est parfaitement possible d’être vieux à 16 ans. La maturité, c’est le renoncement, la responsabilité, l’acceptation. Je n’étais pas trop jeune. Ils sont trop vieux et trop vieux depuis trop longtemps. Enfin, peut-être pas trop. Peut-être aiment-ils être vieux. Peut-être, ça leur donne la sensation d’exister. Quel paradoxe que s’oublier et se fondre parmi les autres, les responsables, pour exister !
Le PS prend ses responsabilités quand il s’assied sur sa mission sociale, les Ecolos prennent leurs responsabilités quand ils abdiquent face au nucléaire, les Centristes prennent leurs responsabilités lorsqu’ils marchandent honteusement leurs promesses. Les individus du MR, eux, avaient pris leurs responsabilités il y a bien longtemps, lorsqu’ils avaient troqué une sérénité jamais rencontrée contre un nœud de cravate.
Les captifs de Feydeau, les combat shoes, violentent ce qui importe. Ils abandonnent leurs rêves au réalisme. Je les emmerde et j’emmerde leur réalisme. Je ne suis pas vieux, comme vous. Je ne me couche pas, comme vous. Je ne fermerai jamais les yeux devant la Palestine, nos prisons, nos écoles, nos hôpitaux et le chapelet sans fin de la médiocrité que votre sainte maturité apporte et entretient avec un zèle presque drôle, en tout cas pathétique.