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La paresse : IL Y AVAIT UN JARDIN

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Ce texte participe à l'activité : Les 7 péchés capitaux

Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé serait purement fortuite…

 

      Adam s’ennuyait comme un rat mort… Allongé dans son transat au bord de la piscine, il essayait de s’imprégner du premier chapitre du roman que sa femme avait glissé dans ses bagages. 

      — Il faut absolument que tu le lises, chéri, c’est le dernier best-seller de Guillaume. Tu vas adorer.

Si Ève le disait…. C’était sûrement vrai…

      De toute façon — c’était plus simple ainsi — Ève régissait tout de sa vie sociale : les sorties, les cinés, les apéritifs avec les amis et les vacances bien sûr. C’était son activité favorite. Les voyages n’avaient aucun secret pour elle au point que si l’épanouissement de son mari n’avait pas été son centre d’intérêt principal, elle serait certainement devenue organisatrice touristique. Ève était de toute évidence une planificatrice et une décideuse hors pair de la vie des autres... avec comme sujet favori depuis toujours, celle de l’homme du transat : lui, Adam Eden, vaillant chef d’une entreprise familiale transmise de générations en générations. Débordé en permanence, certes… mais très heureux de l’être.

      La chaise longue en l’occurrence était plutôt bien choisie, hormis la couleur rose qui ne ferait bientôt qu’une avec celle de sa peau. Mais nul doute qu’une main douce couverte d’écran 50 imprimerait préalablement avec précision, des circonvolutions collantes sur chaque parcelle visible de son corps.

      — Tss tss…  C’est pour ton bien, mon chéri, pense aux mélanomes.

Si Ève le disait… c’était sûrement vrai…

      La voix suave et légèrement pointue de son épouse accompagnerait son geste insistant et il se laisserait pommader gentiment de la tête aux pieds car c’était la meilleure attitude à adopter au regard de la perpétuelle sollicitude d’Ève. 

      Accueillant et confortable ce transat, oui vraiment. Comme la vie dans laquelle il s’était engouffré il y a une éternité. Il avait donné un blanc-seing à Ève le jour de leur union : elle s’occuperait du quotidien, de leur vie sociale, de leurs loisirs et lui, en contrepartie travaillerait dur chaque jour de la semaine pour leur apporter le confort.

      Il faut dire qu’il avait été à bonne école. Son propre père, paix à son âme, était un travailleur acharné qui avait créé autour de lui un univers incroyable en un temps record. Enfin, c’est ce qu’il avait lu enfant dans une sorte de biographie à succès qui relatait des histoires fantastiques autour de son œuvre qualifiée de magistrale. Son créateur était célèbre et sa méthode : « Six jours de travail et un jour de repos » avait fait le buzz de l’époque et avait été adoptée par des centaines de millions de personnes dans le monde. Avec le temps, ses adeptes l’avaient fait évoluer en « cinq jours/deux jours » et en y incluant des périodes de vacances. Pendant ces périodes d’accalmie, la vie était reposante, le labeur écarté. C’était le temps du farniente, du repos du guerrier. C’était aussi un moment propice pour perpétuer la vie mais cela ne concernait plus le couple Eden ; ils avaient largement contribué à l’épanouissement démographique de la planète avec de beaux enfants disséminés dans le monde entier.

      Dans son transat rose donc, Adam paressait en tentant de laisser son esprit vagabonder vers l’état de douce torpeur préconisé mais la tâche était compliquée. Pourtant, Il n’entendait plus la voix d’Ève, partie leur chercher un cocktail des Caraïbes antioxydant « inoubliable à base de carotte, de kiwi et de cranberries » — Si Ève le disait, c’était sûrement vrai — il  ne ressentait plus l’enduit désagréable de la crème solaire sur la pilosité de ses jambes, les jeunes enfants du club étaient à la sieste, les plus âgés participaient à des activités extérieures, le DJ n’avait pas encore lancé sa playlist et « Guillaume-best-seller » ne l’avait pas encore kidnappé dans son premier chapitre. Aucun bruit. Seuls persistaient le léger bruissement du vent, somme toute bien agréable, sous le parasol coordonné à sa chaise longue qui protégeait son visage des rayons UVB,« les plus nocifs mon cœur ». Merci Eve.

Tout était propice à se laisser porter par… RIEN.

      Mais qu’est-ce que c’était chiant aussi ! Il détestait par-dessus tout, ce moment qui vous mettait en relation avec vos pensées, cet instant où vous commencez à lâcher prise, mais pas encore vraiment, cet entre-deux où votre cerveau fonctionne encore mais plus très bien, celui où il prend la tangente et vous envoie des images en direct live de vos souvenirs, celui où vous voudriez bien dormir pour les remiser de nouveau. Seulement voilà, vous avez beau crever de fatigue, vous êtes encore bourré d’Adrénaline. 

 

      Malgré la crème solaire, la chaleur du soleil martyrisait sa cicatrice. Elle avait beau dater, chaque fois qu’il se prélassait, cette satanée blessure se rappelait à son souvenir.

      — Les côtes, c’est toujours douloureux, disait Ève. Arrête de te plaindre, chéri. C’était pour la bonne cause ! Rappelle-toi, grâce à toi je suis vivante et nos enfants aussi.

Ève avait raison bien sûr…

      Exemple typique de ce que la paresse provoquait, une image vint vriller son cerveau sans crier gare. Il se vit jeune, nu comme un ver, les yeux écarquillés d’admiration au milieu d’un jardin magnifique, entouré d’animaux et porté par le chant mélodieux de centaines d’oiseaux. Le bonheur à l’état pur.

Aussitôt, le même Adam était plié en deux sous l’effet d’une douleur intense sur le côté du thorax, qui lui coupait la respiration et le plongea dans un trou noir salvateur. Il se rappelait juste qu’en se réveillant, il n’avait plus mal. Ève se tenait devant lui, dotée d’une chevelure magnifique qui couvrait sa nudité. Il était immédiatement tombé amoureux de cette créature fabuleuse. Rougissante, elle lui avait tendu un pagne pour qu’il se couvre à son tour. C’était la première fois qu’il avait suivi ses conseils.

 

      La paresse, c’était la chienlit, oui — sans compter que ça faisait sauter des écrous, et que vous commenciez à vous laisser aller côté langage — ça vous rappelait aussi que le temps passait, que le jardin n’était plus aussi vert qu’avant, que le ciel était un plus opaque, que le chant des oiseaux diminuait en clarté. Alors Ève pouvait argumenter que la beauté des pelouses était dépendante de notre bon vouloir et qu’avec l’âge la cataracte et la surdité nous atteignait, Adam remarquait aussi qu’au fil du temps moins une personne sur deux avait perdu de sa sociabilité et de leur humanité. Même lui…

      C’était carrément flippant de s’examiner en profondeur et de s’apercevoir que finalement on était comme les autres. Au moins, lorsqu’il avait la tête dans le guidon toute l’année, il conservait une haute opinion de lui-même, de son utilité dans la société et de son altruisme et c’était bien confortable. Tout cela aurait-il évalué au fil des années ?  L’homme dérogeait-il petit à petit à tous les grands principes d’humanité préconisés par son ancêtre ? 

      Il fallait absolument qu’Adam échappe de cet état batard qui le faisait réfléchir et le mettait dans un inconfort préjudiciable à son bien-être. Ou bien il s’endormait pour de bon, ou bien il se réveillait, mais une chose était certaine, il devait échapper à cette paresse délétère. Comment faire ?

Une fois de plus, ce fut Ève qui le sauva et rétablit la situation périlleuse à son avantage :

      — Ouh ouh, Chéri ! tu ne devineras jamais qui j’ai rencontré au club house ? Tu te souviens de ce barman qui faisait des cocktails sublimes au club med, il y a quelques années ?  Hé bien, il nous a concocté un drink sensationnel qu’il appelle « Amnésie ». Allez tchin tchin mon Amour. Aux vacances et à la vie !


Publié le 17/08/2024 / 14 lectures
Commentaires
Publié le 17/08/2024
Hello Agathe, bravo pour cette belle participation! Curiosité mais tu n’es pas obligée de répondre évidemment, s’agit-il d’un extrait de ton roman dont tu parlais avec cette même héroïne , Ève ? Très belle vue de transat, on a l’impression de voir ce couple, c’est très vivant. J’apprécie la référence à l’enfance au jardin d’Eden. Le cocktail « amnésie » semble idéal pour le héros.
Publié le 19/08/2024
Bonjour Myriam ! Non pas du tout. Ce texte est tout frais "pondu" pour l'occasion de l'atelier. Dans "RESSAC" l'héroïne se nomme Anaîs. Pour la petite histoire, la genèse de ce livre a pour origine un texte écrit sur"Ipagination" l'ancien site. Merci pour ton retour
Publié le 19/08/2024
Bonjour Agathe, dans ton texte précédent, l'héroïne disait "mais je ne suis pas Ève" ou quelque chose comme cela et donc j'ai eu un doute. Je regarde tes textes de ce pas. ;-)
Publié le 17/08/2024
C’est très bien mené, une lancinante et périlleuse paresse qui flirte avec l’introspection déjouée de justesse. Qu’il est difficile pour l’humain de ne pas cogiter. Pour bien des personnes comme le héros, le travail permet d’être un exutoire de premier ordre. Et pour ce qui est du reste, heureusement qu’EVE est là, d’autant plus que comme elle le dit, c’est qu’elle doit avoir raison. Adam et Ève en plein Eden factice, des symboles universels sur la vacuité de nos vies et de nos existences… un très bon moment de lecture, merci Agathe.
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