On a beaucoup hésité, Josiane et moi, rapport à Flacq. On ne manquait de rien dans notre T3 sur la Sablière. Pourquoi risquer de se prendre un mauvais coup ? A part de l'argent, il n'y avait rien à gagner dans cette histoire, et l'argent en trop grande quantité, on savait à quel point c'est un poison. On avait plus à perdre qu'à gagner à courir chercher après je ne sais quel trésor. Si on avait encore eu 20 ans, on aurait pu l'envisager, mais à 49 et 59 balais, tu rigoles ? Les matin, midi et soir, je dois faire des exercices de petit-vieux pour mes épaules. C'est pathétique et humiliant. D'abord dix fois lever les poings serrés à partir des épaules, puis dix fois lever les poings serrés à partir de la taille, puis dix fois lever les mains ouvertes à partir de la taille, puis dix fois lever un kilo dans chaque main. Pour économiser, sur les vrais poids d'athlète, je levais des boîtes de 800 grammes de tomates pelées. Vous avez l'image ? Vous me voyez en Daniel Craig avec mes conserves en mains ?
On est resté à hésiter en regardant le plafond quelques secondes avant que Josiane décrète : "J'ai vu que des vélos étaient à notre disposition, ici, à l'hôtel. Faisons plutôt une balade ce matin. Le temps est magnifique. Tant qu'à faire on poussera jusqu'à Flacq. J'ai vu sur la carte - bien sûr Josiane, prévoyante comme toujours, avait fait les frais d'une carte qu'elle avait soigneusement agrafée au carnet à spirales - que ce n'est pas très loin. Nous serons rentrés pour le déjeuner et tu pourras te rendre tranquillement à ton rendez-vous de 14 heures. Partons dès que tu m'auras mis un peu de crème solaire sur le dos, mon chéri."
Avec quand même peut-être une arrière pensée, j'ai commencé à lui enduire le dos longuement, tendrement, en prenant tout le temps nécessaire pour bien faire pénétrer. Doucement, elle se détendait, expirant ponctuellement des souffles de satisfaction. Alors moi, poussé par ses pudiques encouragements, très graduellement, je me suis égaré vers d'autres merveilles. Mon initiale complaisance piano s'est métamorphosée, imperceptiblement, en vigueur triple forte jusqu'à la résolution extatique. La préparation pour la balade s'était finalement poursuivie pendant bien plus longtemps que prévu et nous ne sommes sortis de la chambre qu'une heure plus tard, souriants et amoureux. Dans ces moments-là, on n'est plus dans les contraintes ménagères, dans la cohabitation contractuelle, dans la routine des vieux couples ni même dans la tendresse complice. On redevient, moi un Dieu, unique, beau et invincible, pour elle, elle, une déesse schizophrène, à la fois angélique et franchement bandante pour moi.
En pleine forme, nous avons enfourché nos bécanes en suivant l'itinéraire imaginé par Josiane. Mais quand avait-elle pu l'imaginer ? Du statut de Dieu, je suis redescendu à celui d'ange, volant vers la complice tendresse, jusqu'au prochain embrasement. De toute façon, on ne peut rester un Dieu bien longtemps, notamment à cause de la purée de tomates.
La route, bordée de bougainvilliers, étant large et peu fréquentée, nous pédalions côte à côte à droite d'une culture de cannes à sucre qui s'étendait à perte de vue. Nous avions du faire deux ou trois kilomètres qu'un véhicule venant de derrière nous a méchamment klaxonné. Sans me retourner, j'ai fait signe au conducteur de nous doubler, il y avait largement la place. Josiane a serré sa gauche à la limite de tomber dans le champ. Mais le chauffeur, toujours pas satisfait a fait vrombir son puissant moteur. Je me suis retourné et j'ai vu briller, hors de l'habitacle le métal d'un revolver. J'ai doublé Josiane en danseuse en lui criant de me suivre. Un coup de feu a retenti à nos oreilles alors que nous bifurquions à toute blinde vers les hautes tiges. Les cannes nous coupaient le visage et les jambes mais on a continué à fuir sans nous retourner, entendant le véhicule puissant qui peinait à nous suivre sur ce terrain. Nous gagnions du terrain et l'espoir de semer nos poursuivants se transformait en certitude. De toutes façons, je ne peux pas expliquer pourquoi, mais en présence de Josiane, je n'avais pas une seconde craint pour ma vie, ni pour la sienne. Nous avons poursuivi à perdre haleine jusqu'à arriver à la limite du champs où se dressait une maison singulière surmontée de deux toits rouges.
En sueur, nous nous sommes arrêtés. Nous avons caché nos vélos dans la forêt végétale qui nous avait sauvés et, à l'ombre d'un palmier, nous avons réfléchi, échangeant ce que nous avions noté ; probablement que nos deux poursuivants étaient les fameux frères Suarez cités par notre contact. Mais qui était le troisième ? J'avais entendu crier durant la course poursuite "Fais gaffe, Fabien, tu conduis comme une patate ! Arrête, tu vas planter la caisse !" Qui était ce fameux Fabien ? Peut-être le cerveau de la bande ? Pour sûr, les frères, des cerveaux, ils n'en étaient point. Bien sûr l'habit ne fait pas le moine mais passée une certaine limite, le doute n'est plus possible. Ces deux-là n'avaient pas inventé l'eau chaude.
Et là, on a vu un truc vraiment singulier, un singe est passé devant nous avec une chauve-souris sur le dos ! Une variante de la matrice ? Un cirque à proximité ? Une erreur de casting ? Une diversion ? Ne pas se laisser distraire ; on a pris notre courage à deux mains et on est entré dans la maison devant nous. Josiane, la première.
Les portes et les fenêtres de la bâtisse étaient ouvertes, laissant passer un vent rafraîchissant qui gonflait les longs cheveux de Josiane et faisait voleter le bas de sa robe légère partiellement déchirée. Après quelques pas, elle marqua un arrêt, comme un chien à l'affût, puis se retourna vers moi et, de son beau sourire de femme triomphante, ouvrit plus grand son décolleté. Hypnotisé par cet élan de sensualité inattendu, je l'admirais, béat. "La clef ! Tu vois, j'ai la clef. Je l'avais attachée à la chaîne que je porte toujours autour du cou ! Tu regardes quoi ? C'est la clef que je te montre et qui ouvre le coffre là, juste devant toi !" Elle me sourit en secouant la tête de droite à gauche, ôta sa chaîne avec élégance et en libéra la clef. Elle fît ensuite les trois pas qui la séparaient du coffre et, dans la serrure, 'introduisit. Elle tenta de la faire tourner... en vain. Je m'approchai, saisis sa main sur le coffre et y posai un baiser avant d'attraper la clef et de la faire pivoter "dans le sens des aiguilles d'une montre, ma chérie" lui dis-je d'une sourire à la fois tendre et revanchard.
Dans le coffre, il y avait un parchemin sur lequel était écrit à l'encre bleue "« En Port-Louis, par la barque colorée, puis à pied, allez non loin des ombrelles et trouvez l’homme au sac violet. Partez ensemble au plus vite. L’homme vous protègera, vous racontera tout ce que vous ne savez pas, les choses d’ici et de l’au-delà. » L’énigme s’épaississait.