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L7PC 5 : Avarice

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Ce texte participe à l'activité : Les 7 péchés capitaux

J’ignore si le mari de Marie-Gabrielle est beau mais j’ai la certitude qu’il possède un « physique de radio ». Quand il parle, je reconnais l’une de ces voix masculines prisée dans les chœurs d’orchestre. Alors, je m’enroule dans les draps pour approcher ma déesse du sexe afin de comprendre ce que son ex lui dira. Forcément, c’est son ex. Sinon, pourquoi cette nuit improvisée dans une suite de luxe avec moi ?

 

Allongé en parallèle sur le lit, le regard droit dans ses yeux, je sonde Marie-Gabrielle pour deviner la place qu’elle m’attribuera dans sa vie. Je l’imagine en plein divorce et si c’est le cas, j’arrive au bon moment. Le ronronnement du père ses enfants dans le combiné augure un tempérament calme et taciturne.

 

Cependant, assez vite, le ton du personnage devient bizarrement enjoué. Quelque chose sonne faux à l’autre bout du fil et je démêle que Marc se sent menacé. Peut-être ne sont-ils pas séparés officiellement avec Marie-Gabrielle ? Est-ce un break unilatéral ? Peut-être ignore-t-il l’aventure de sa femme ? Les doutes m’assaillent. Approchons-nous du téléphone pour capter ce qu’ils disent.  

- Dis-moi comment se passe ta retraite spirituelle dans ton camping ?

Je trouve l’entrée en matière du mari particulièrement cauteleuse mais la réplique de Marie-Gabrielle ne l’est pas moins.

- Très bien mon amour !

Réponse de la bergère au berger. Les tourtereaux s’accordent sur un point : éviter le sujet de l’infidélité. À aucun moment, il n’est question de rupture, la vérité serpente sous un réseau de soie arachnéen.

- Est-ce que je te dérange Marie-Gabrielle ?

- …

- Es-tu seule chérie ?

Au cas où vous me prendriez pour un « paillasson », je signale que je tousse pour me présenter car j’aime les situations nettes, je joue l’éléphant qui se balance sur la toile d’araignée. J’espère que la toile craquera.

- Non, je ne suis avec personne ! se défend Marie-Gabrielle alors que sa nervosité crie le contraire. Alors je la considère avec effroi, ma compagne de jeu détourne farouchement son regard du mien.

J’ignore si elle a compris le mal qu’elle m’a fait quand elle a dit « personne » mais sa remarque m’atteint en plein cœur. En réalité, ce soir, j’étais seulement un voyageur égaré dans le lit d’une magicienne. Nous étions Ulysse et Circée. Devinez qui joue le rôle du cyclope à aveugler ?  Il ne reste que le Mari, notre histoire a abattu ses cartes depuis le début de partie.

Puisque je trouve juste de détromper ce pauvre cyclope, je me râcle la gorge bien fort. Chacun existe comme il le peut, personnellement, j’ai choisi de conquérir un semblant d’existence en râlant par combiné interposé. Cependant, le mari et l’épouse m’ignorent de concert et leur relation me semble un mystère. Elle ment, il sait qu’elle ment, je sais qu’ils se mentent et nous nous mentons. Nous pourrions conjuguer le verbe « mentir » à toutes les personnes et la vérité n’éclaterait pas.

Cependant, Marc délaisse la question des sentiments pour en venir à celle l’argent. Les comptes n’admettent ni l’hypocrisie ni le vague. À défaut de déchiffrer le cœur de sa femme, Monsieur étudie assidument ses comptes.

- Dis-donc chérie, je viens le lever le plafond de ta carte bancaire mais certaines lignes m’intriguent. Parmi les prochains prélèvements sur notre compte courant, je vois une écriture avec 105 euros 60 de restaurant et 350 euros 30 de chambre d’hôtel « Au Palace du cœur », à 150 kilomètres du camping. Est-ce que je dois faire opposition sur ta carte ?

- Non, ne t’inquiète pas, il n’y a pas eu de vol, c’est bien moi. Je passe la nuit là-bas. Te souviens-tu de cette suite que tu m’avais promise pour nos dix ans de mariage ?

- Oui, tu parles de celle dont j’ai annulé trois fois la réservation parce que je ne pouvais pas y aller.

- Bien, je m’offre la suite « Ciel et Nuage » ce soir avec des roses rouges en prime.

Le mari soupire. Un soupir d’amant éconduit qui demande « alors m’aimes-tu ? ».  Non. Un soupir de professeur d’économie qui s’étouffe. « Est-il encore possible de redresser la barre budgétaire ? ». « Non » répond notre avatar avec le romantisme de Wolfgang Schauble en pleine crise grecque.

- Marie-Gabrielle, apprécies-tu réellement cet endroit frelaté ? Je crois que nous aurions dû renforcer ensemble notre sacrement de mariage en partant pour l’abbaye de Cîteaux : campagne, cloître, prière : voilà ce qu’il nous faut.

- Rien de plus joyeux au programme ? plaisante Marie-Gabrielle.

- Quoi de mieux qu’une vie paisible et authentique Marie-Gabrielle ? s’agace son mari. Pourquoi faudrait-il s’amuser tout le temps ? Je travaille suffisamment pour te prouver à quel point je t’aime : je serai toujours là pour toi et tu ne manqueras jamais de rien. Je veillerai constamment à vous protéger toi et les enfants alors c’est inutile de dépenser dans des « suites de luxe ».

 

L’argument de l’austérité pouvait séduire son banquier mais pas sa femme. Marie-Gabrielle se moque de la sécurité qu’on lui offre puisqu’elle ne veut rien de paisible. Les nourritures célestes l’indiffèrent, elle désire une vie pathétique plutôt que la tranquillité. Quant à Marc, il est trop simple pour comprendre que quelqu’un veuille plus que le bonheur.

- Enfin, Marc, je ne me sens pas en danger. Pourrais-tu lâcher prise avec l’argent un jour ?

- Ma chérie, je comprends que tu as besoin de vivre dans une bulle : méditation pleine conscience, retraite, yoga, tu essayes tout pour ton bien-être et j’en assume le coût. Cependant, le monde ne tourne pas autour de tes chakras. Pense à notre famille. Nos enfants grandiront et leurs études coûteront de plus en plus cher. Enfin, considère la situation géopolitique globale : les puissances d’hier deviennent instables et la valeur « or » me semble un miroir aux alouettes. Je veux économiser alors que tu dépenses. Tu sais, j’hésite à investir dans la pierre ou bien dans des forêts domaniales pour garantir notre avenir.

- Si tu savais la passion ardente que m’inspire tes investissements d’avenir ! ironise Marie-Gabrielle.

 

Je contemple les pétales de roses qui jonchent le sol de notre suite, la tête entre mes mains, en entendant un marteau de frapper contre mes tempes : les derniers effets du Limoncello s’estompent.

Décidément, je crois que l’amour n’est pas beau. Malgré ma torpeur, je commence à trouver le mari de Marie-Gabrielle plutôt brave type même si leur couple m’inspire de la pitié. J’imagine Louis XVI et Marie-Antoinette : le Petit Trianon d’un côté, la serrurerie de l’autre et le déficit bancaire au milieu.

- Et la suite « Ciel de Satin » que tu voulais tant… quelles sont les options, des pétales de roses, du champagne, combien ça coûte ? s’enquiert le mari curieux des sommes dépensés.

Marie-Gabrielle parle texture, ressenti, toucher et c’est reparti pour la tyrannie du plaisir.

- Comme elle est magnifique cette suite ! Tout y est luxe, calme et volupté. Je me trouve dans un paradis blanc aux serviettes moelleuses, au gel douche sirupeux et au champagne pétillant. Là, je joue à souffler sur la mousse, celle en chocolat parce que j’ai fait monter le dîner ! C’est si aérien une mousse en chocolat ! Enfin, pour le champagne j’ai dû demander le roomservice car je m’attendais à le trouver à l’arrivée avec les pétales de rose sur le lit.

 

Monsieur déglutit péniblement quand il découvre que Madame Déficit a frappé sur leur compte commun. Un nouveau prélèvement apparaît même dans les prochains débits. « Nouveau créancier : Palace du Cœur». Monsieur s’affole, Monsieur est fou. Il repart à la quête de son idéal, celui du compte juste au centime près. Le graal.

Si Marie-Gabrielle se montre délicate sur ses sensations, elle apprécie l’impressionnisme budgétaire parce qu’elle s’abandonne au plaisir et déteste tout contrôle.

- Mais mon Dieu, combien cela va-t-il nous coûter ? s’écrit Marc qui ne peut plus cacher son désarroi.

- Il suffira de faire la somme des deux lignes d’écriture, s’énerve Marie-Gabrielle dont la voix devient vinaigrée. Iras-tu me chercher querelle pour mes dépenses de restaurants ? Est-ce que je critique les papiers gras dans ta voiture lorsque tu reviens de déplacement, moi ?

- Hors-sujet. Enfin, puis-je seulement connaître le prix de tes caprices pour achever nos comptes ? Entends-tu poursuivre avec cette folie des restaurants ? lui demande-t-il avec l’intonation de celui qui doit contrôler une chaudière inflammable.

Quand le corps de Marie-Gabrielle s’enflamme, son portefeuille aussi. Le mari s’excite de colère mais le désir s’absente toujours entre eux. Il contrôle, elle s’abandonne : ils se haïssent.

- Marc, j’arrêterai de dépenser quand tu cesseras de vivre en obèse au sous-sol de la maison. Enfin, pour un avocat d’affaires c’est le comble de me reprocher les restaurants car tu y vas tout le temps.

- J’y vais pour le travail, pas pour le plaisir.

- C’est quoi ton problème avec le plaisir à la fin ?  Quand tu rentres à la maison, tu vis au milieu de cinq ordinateurs, d’un coffre à code et d’un globe terrestre. Les enfants me disent : « papa est encore à la cave, enfermé dans son coffre-fort ». Pendant nos fiançailles, tu disais que tu te voyais en capitaine d’industrie à la fois tendre et militaire. Aujourd’hui, les seuls portulans que je trouve sont les papiers gras sous ton canapé. Enfin, tu n’es pas tendre avec moi et tu n’es militaire qu’à propos de l’argent.

 

Silence. Un ange passe.

- Marie-Gabrielle, je sais déjà que je te fais fuir physiquement mais pourquoi délaisser tes vacances ? Es-tu encore mécontente de ce que tu as choisi?

- Rien ne fonctionne plus dans le bungalow : clef bloquée, douche froide, chauffage à fond et plus de bouteille de gaz : impossible de faire cuire des pâtes.

- Tu aurais dû me le dire avant, c’est scandaleux ! Il va falloir demander le remboursement de ton séjour. S’ils ne veulent pas, exige au moins un avantage en nature…

Marie-Gabrielle me sourit d’un air suave en effleurant ma joue.

- Mon chéri, ne t’inquiète pas pour l’avantage en nature, je sais bien ce que je demanderai au Camping, j’ai une idée… déclare-t-elle par téléphone à son mari en m’embrassant.

Je demeure stoïque mais je m’estime flatté d’être promu au rang d’avantage en nature.

- Alors je ne m’inquiète pas pour nos comptes, répond sèchement le mari.

- Exactement !

Marie-Gabrielle prononce à nouveau le mot de la fin. « Exactement » semble clore leurs disputes en annonçant que le « compte est bon » pour chacun des deux époux.

Ce soir, Marie-Gabrielle n’a pas le temps de se composer un masque de femme fatale en jouant avec ses jambes. Alors que je cajole son visage, j’aperçois l’expression d’une jeune fille complètement larguée. Quarante ans et immature. Cette femme ouvre son cœur en jouant avec mes boucles brunes. Elle se baigne dans mes yeux puis m’avoue en toute transparence :

- Ce que j’aime chez toi Benjamin, c’est que tu es reposant… puis elle soupire d’aise d’un air paisible.

 

Vlan ! Je viens de recevoir une bassine d’eau en pleine figure. Marie-Gabrielle a décidément réservé le meilleur pour la fin. Je serre les mâchoires et je retiens le « c’est vraiment sympa merci » qui meurt sur mes lèvres quand elle me dit que je suis "reposant ». Après tout, la vérité sort de la bouche des enfants. Après m’être senti irrésistible, je deviens un Golden Retriever au pied de sa maîtresse. Je nage en plein enfer. En l’espace de 24h00, je passe du « bon coup » au clébard de service. On dirait que je n’ai plus qu’à remuer la queue pour acquiescer. Un rêve qui devient réalité c’est formidable mais un cauchemar, ça l’est un peu moins.

Quand je fais le compte de mes désirs, je trouve la note de mon aventure avec Marie-Gabrielle un peu « salée » et encore, je n’ai pas demandé l’addition !

AE. Myriam 2024

myriam.ae.ecriture[at]gmail.com

 


Publié le 07/08/2024 / 34 lectures
Commentaires
Publié le 08/08/2024
Il y a plein de choses succulentes : "Chacun existe comme il le peut, personnellement, j’ai choisi de conquérir un semblant d’existence en râlant par combiné interposé." par exemple. Un délice ! Comme toujours, il y a des fautes et des négligences. N'oublie pas que le lecteur doit comprendre. Insérer un dialogue sans les signes conventionnels n'est rien moins qu'une torture vis-à-vis de qui te lit. Je trouve aussi qu'il y a peut-être un manque de concision. ("Réponse de la bergère au berger. Les tourtereaux s’accordent sur un point : éviter le sujet de l’infidélité. À aucun moment, il n’est question de rupture, la vérité serpente sous un réseau de soie arachnéen.") Je crois en comprendre la cause. Lorsque je tiens une idée, je l'exploite et, en général, je la surexploite. Il faut ensuite réorganiser les choses pour que le sens soit limpide et retirer l'excès de graisse aussi sinon le trait de génie se noie dans la redondance et les qualificatifs débilitants. Sinon, je me réjouis que tu te sois intéressée à la crise grecque. Le nom de Schauble n'est pas si illustre. Un Belge sur mille le connaît. Merci pour cet excellent texte donc qui aurait encore gagné à avoir une forme plus soignée.
Publié le 08/08/2024
Hello, voici comment je fais (mal): je frappe au kilomètre dans "word" puis je mets en forme facilement. Je passe tout sous Antidote mais je ne prends pas le temps de vérifier les formulations dans le Grévisse. La mise en forme des dialogues se fait rapidement tout comme celle des citations sur Word mais je ne la retrouve plus à l'arrivée sauf si je transforme en pdf. Alors là, je regarde le résultat publié et oui, je constate que ça ressemble à un gros bloc informe et j'en suis désolée. Je demanderai à mon mari de se pencher sur cette mystérieuse conversion de fichier à moins qu'il me dise selon son expression que j'ai une version de logiciel "codée avec les pieds". Il faudra que je comprenne ce qu'il se passe avant de republier ici. Pour le temps imparti, il m'est impossible d'enlever les scories de ce texte plus rapidement et j'écris avec des conduites d'approche très pénibles. Pour cette raison, j'entre dans cet atelier avec une blouse et les mains sales et un rendu plutôt "salopé" en franche terre glaise, ça m'évoque un tour de potier. Bien sûr, pour moi, ce qui reste dans un atelier n'a pas vocation à être exposé dans une galerie d'art même si ça doit être lisible. En tous cas, j'ai réussi à boucler cette histoire de 7 péchés avant-hier... Pour faire clair, c'est racontable, partageable mais malheureusement non publiable dans le temps imparti... Merci pour ta lecture et ton retour. Je procède aux corrections nécessaires le plus rapidement possible et je vais voir si j'arrive à sauver ma mise en page la prochaine fois. Si c'est le cas, je fais sauter le champagne! À bientôt de te lire.
Publié le 08/08/2024
Si au départ on sentait bien que l’histoire se cherchait, la voici sur de bons rails, et les épisodes se succèdent à présent avec une belle fluidité. Je te dis bravo également car les péchés capitaux ne prennent pas le devant de la scène et c’est bien l’intrigue qui mène le lecteur dans un suspens grandissant. Qu’adviendra t-il des différentes relations, vivement la suite pour le savoir. Merci pour cette belle participation Myriam.
Publié le 08/08/2024
Bonjour Leo! Merci pour ta lecture, ton retour et tes encouragements à poursuivre. Dans ton sujet, « la vertu qui reste une vertu même en excès » est presque une énigme de sphinx. A bientôt de te lire également. Bonne semaine.
Publié le 19/08/2024
Pauvre Benjamin qui n'avait pas subodoré l'aventure... Ton texte est très chouette et nous embarque dans la vie de Marie-Gabrielle qui a besoin d'air et de légèreté et qui se les accorde, dans celle d'un Benjamin plein de rêves de construction d'une vraie relation et maintenant un mari qui manifestement s'est lui englué dans une union plaplan avec un relevé de banque dans la poche. Je suis d'accord avec Léo, ça mérite d'être poursuivie pour l'orienter vers un album de bandes dessinées ( genre Brétecher tu vois) ou avoir un recueil de nouvelles illustrées. Bravo Myriam !
Publié le 19/08/2024
Coucou Agathe! Merci pour ta lecture et ta revue. J'apprécie beaucoup les romans graphiques. Tu penses à l'album Les Frustrés de Brétécher pour le thème ou le graphisme ? Parce qu'il y a beaucoup de frustration chez les uns et les autres dans cette histoire. Le dernier recueil de nouvelles graphiques que j'ai vraiment apprécié c'était Strates de Pénélope Bagieu. Beaucoup d'émotion à lire ce recueil.
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