Le jeune orage colportait sa foudre à la surface de la Terre afin de se conforter dans l’asservissement total de ses habitants.
À chacune de ses colères, les hommes se réfugiaient aux abris les plus proches, les animaux dans les anfractuosités rocheuses les plus rassurantes… la peur dans les interstices les plus orphelines. Les « enracinés » quant à eux, ployaient sous le poids de son auguste courroux. Ses pleurs rageurs fouettaient le peuple vert, esclave de ses humeurs tapageuses. À qui osait défier sa toute-puissance, il délivrait ses griffes de feux, lacérant les troncs les plus vaillants. Il se répéta même qu’un cèdre fut pourfendu de part en part pour avoir manqué à cette déférence.
Nul ne connaissait les raisons de ce mal céleste et aucun ne souhaitait se frotter à sa toute puissante réponse. Les quelques inconscients qui eurent l’indiscrétion de se poser la question furent éconduits par des tornades et typhons d’une rare violence.
Une suprématie sans pareille qui allait pourtant être ébranlée, dans ses colères les plus vives.
Si la foudre frappait au hasard, il était établi qu’elle ne s’abattait jamais deux fois au même endroit. Nul ne sut jamais pourquoi. Mais il était là, une règle immuable. À quoi bon d’ailleurs, puisque tout le monde se courbait en présence de l’orage, se confondait en prière lorsque la foudre frappait.
Quelle ne fut donc pas sa surprise de constater qu’une douce et frêle marguerite était restée totalement impassible à son dernier coup de semonce ! De mémoire d’élément déchaîné, c’était bien une première. Et fort déconcertante ! Il demeura interdit un instant, face à si outrageante beauté qui ne semblait pas l’avoir remarqué. Elle se tenait là, à ses pieds. Elle lui faisait pourtant front de toute sa tige et n’avait pas sourcillé d’un seul de ses pétales. Chacune de ses feuilles était le prolongement d’elle-même, de son existence, et était fille unique, dans l’admiration réciproque qu’elles se portaient. Un tout d’amour à l’épreuve des foudres. L’orage n’était pas élément à comprendre les sentiments.
La pensant sourde, il redoubla d’efforts et tonna comme jamais, de sa plus contondante réplique. Le second impact s’abattit. Rien. Aucune réaction. La marguerite riait aux éclats, accompagnée de ses pétales. Ce qu’elles échangeaient, semblait de loin, bien plus important et précieux que pareil énergumène qui faisait tout pour attirer son attention.
L’orage n’en crut pas ses sombres nuages. Il devait y avoir nécessairement une explication. Si elle n’était pas sourde alors, peut-être avait-elle une mauvaise vision. La prochaine foudre se devait d’être un éclair des plus remarquables. Il se chargea comme il ne l’eût jamais été auparavant et redoubla de force, pour projeter sa colère pour la troisième fois au même point. L’ensemble de la planète fut aveuglée un temps, puis saisie d’effroi au grondement de cette griffe, qui éventrait la terre. Tous étaient apeurés. Tous, sauf la marguerite et ses fidèles pétales qui redoublaient de bonhomies et de légèreté.
L’orage comprit, à la vue du trou déjà assez profond, qu’il s’était employé de la plus visible et intelligible foudre pour se faire respecter… en vain. Quel pouvait bien être le secret de cette marguerite qui ne se dessaisissait jamais de sa joie et de sa bonne humeur ? Comment ses pétales ne pouvaient-ils pas, un seul instant, détourner leur amour de leur mère ? Il lui fallait percer ce secret qui le rendrait de nouveau respectable par tous, y compris et surtout… les marguerites. Il scruta donc de près le trou, à moins d’un mètre de la fleur et crut apercevoir un détail important. Il confia au vent le soin de retirer la terre meuble. Il fronça ses sourcils cotonneux.
À quelques centimètres seulement sous l’effrontée, il découvrit un fil ténu. La marguerite puisait ainsi sa force plus en profondeur dans le sol, pensa-t-il. Curieux de savoir à quoi elle était reliée, il accentua ses efforts, foudre après foudre, mètre après mètre. Le trou devint gouffre et ce fil continuait à descendre. Des jours durant, l’orage s’attela à la tâche. Une semaine s’écoula, et d’impatience de découvrir le secret, finit par s’engager à son tour dans le boyau qu’il avait confectionné. Il était désormais à plusieurs centaines de mètres sous terre. Plus il creusait et plus sa rage décuplait. Mais où donc pouvait bien mener ce fil ? De mètres en milliers de kilomètres l’orage œuvra sans faiblir, malgré la chaleur qui se faisait plus suffocante. Il était tellement profond que plus personne à la surface de la Terre ne percevait le bruit de son inlassable courroux.
Au bout de plusieurs semaines, il toucha au but : le secret de la marguerite se trouvait donc être une boule de feu en fusion, bien plus grande que lui. Ainsi donc, la frêle fleur pouvait compter sur pareil allié ! Fou d’orgueil, l’orage délivra à son ennemi une foudre à la hauteur de sa colère. La terre se mit alors à se secouer : qui donc osait la déranger en son cœur, à heure si tardive ? La lave en fusion remarqua le fautif, si minuscule à ses yeux, qu’elle rit aussi fort qu’avait pu rire la marguerite. D’une moquerie si franche que l’orage se retrouva enseveli dans son propre trou, sans plus aucune chance de pouvoir remonter un jour à la surface. Sa colère et sa défiance l’avaient mené à sa perte. Il comprit avant de mourir que ce fil ténu dont disposait la marguerite se prénommait racine. Que la racine s’enfonçait aussi profonde que la plante avait aimé, toute sa vie, sans jamais renoncer à ce sentiment. Cette racine était propre à chacun et avait pour seul et unique sol la Terre. Les graines d’avenir étant confiées au vent depuis la nuit des temps, les frontières n’avaient aucun sens pour la marguerite. Et la transmission de tout ce qu’elle était à ses pétales, faisait d’elle une fleur immortelle, appréciée et admirée de tous. De telle façon que personne ne se serait permis de la cueillir. L’orage avait enfin compris que les colères ne menaient à rien. Qu’il faisait partie d’un tout qu’il ne pourrait jamais faire plier à sa seule vue égoïste et étriquée. Il apprit que le respect ne s’obtenait pas par la violence ou la contrainte mais par la douceur et la sagesse. Le bonheur n’était qu’à portée de rire, pour qui voulait bien s’en donner un minimum la peine…