Elle toucha à peine au dessert. Pourtant elle raffolait du coulis de mangue au fromage blanc, une sorte de panna cotta, mais avec du fromage à la place de la crème. Elle baissait la tête et fixait son verre.
- C’est de la mangue spécialement pour toi. Je sais que tu l’adores.
Elle leva la tête et le regarda droit dans les yeux.
- Tu es un homme d’orifices et je te hais pour cela.
- Pardon ? dit-il, les yeux tout ronds.
- Tu fais tout cela pour du c … !
Il avait du mal à saisir tellement c’était inattendu. Que lui disait-elle ? Il prit une profonde aspiration, régla le timbre de sa voix sur « Calme extrême » et dit :
- Je fais cela pour ma femme que j’aime et dont j’ai besoin pour échanger, sortir, regarder et bien finir les derniers 300m.
Il choisit de la regarder sans sourciller. Elle parlait et elle parlait gros. C’était bon signe. Cela faisait un moment qu’elle trouvait refuge dans le mutisme et dans les bras de Dieu.
- Non, tu fais ça pour toi. Moi je vaux bien plus que des parties et des orifices.
- De quel orifice parles-tu ? Ce n’est pas toi ces mots crus. Je suis ton mari, ton compagnon et je veux te faire plaisir, d’où ce dessert et le reste.
- J’ai trouvé l’amour, le vrai. Quant aux hommes, je les plains. Ils s’imaginent être indispensables.
- Mais Sophia, que racontes-tu là ?
- Te rappelles-tu ce que tu m’as dit après la naissance de notre benjamin ?
- Heu … non. C’était il y a vingt-six ans. Sophia, dit-il, d’une voix radoucie. Tu te laisses aller, tu fuis le réel, tu ne lis plus et cela fait plus de trois mois que tu ne parles presque plus. Arrêtons avec les orifices ou je ne sais quoi. Allons marcher en bord de mer, nous avons la chance de l’avoir au bout de notre bras. Allez viens et dis-moi tout ce que tu veux.
Elle se leva avec peine comme si une masse ou une peur l’empêchaient de gérer ses mouvements. Elle semblait réticente, mais il ne la laissa pas se démonter.
- Viens, je débarrasserai plus tard.
Il mit le dessert au réfrigérateur et se hâta pour lui trouver un gilet et un sweet pour lui.
- Sophia, je suis là pour toi et ensemble nous allons tout déblayer. Je voudrais comprendre la phase par laquelle tu passes.
- Je veux être aimée, mais surtout qu’on ne me touche pas. Je suis une prude moi !
- Le toucher est bon pour le moral, dit-il, en lui prenant très lentement le bras.
Elle se raidit. Il lui sourit et dit :
- La mer panse toutes les blessures. Et dis-moi tout. On n’est pas obligés de nous toucher plus que cela. De nous aider mutuellement, oui.
- Mon père me touchait et il n’arrêta qu’au premier poil et je n’aimais pas cela. Quand il comprit que je grandissais, il arrêta. Je déteste les hommes.
- Ton père t’adorait, il est mort il y a trente ans. Paix à lui. Ce n’était pas ce que tu croyais. C’était de l’amour, un peu excessif certes, mais pas ce que tu penses aujourd’hui. Il y a un peu de confusion Sophia. Quand même.
- Je n’aimais pas cela.
- Pourquoi en parles-tu aujourd’hui ?
- Parce que toi, tu es attiré par les mêmes choses.
- Quelles choses ?
- Le corps.
- Là, maintenant, non. Mais tu me manques, c’est vrai ces dernières années. En quoi est-ce insultant ou illégitime ? Nous sommes un couple.
- Mais sais-tu seulement ce que moi je veux ?
- Dis-moi, je suis tout ouie.
À suivre