Elle s’était gavée d’amour physique comme si elle avait peur de perdre le réconfort et la plénitude que cela lui procurait. Mais cette fois-là, c’était très spécial et elle le savait. Néanmoins, elle manquait de mots, de mots justes et précis, pour fixer les choses avec elle-même, tant ses pensées étaient confuses. Quand le positif l’emplissait, quand le déni triomphait, une vague géante de négatif venait tout anéantir et elle passa, après le départ de l’amant, une affreuse nuit d’ascenseur émotionnel.
Le matin, elle prit les choses en main presqu’avec violence, se doucha à l’eau froide pour rééquilibrer son esprit, s’habilla élégamment et retourna chez son médecin. C’était un ami de longue date et ils eurent un quart d’heure de franche séduction quelques années plus tôt sans aller jusqu’à l’échange corporel. C’était sa décision à elle, dans un geste de lucidité toute spéciale.
Arrivée au cabinet, elle fut vite introduite par la secrétaire, prit place et se tut un long moment, avant de pouvoir balayer la facilité du déni et de laisser libre cours à une objectivité douloureuse.
Et ils convinrent d’un protocole de reconduction de bilans sanguins et de multiples imageries. Il savait qu’elle voulait mener les choses et il l’admit de concert avec elle. Après tout, elle apportait de la force et de la volonté et ce, même, dans la rage.
Le quatrième jour fut chargé. Elle choisit, pour sa batterie d’examens, de passer la matinée dans une clinique de son choix qui donnait sur la mer. Elle demanda à deux de ses amis-anciens amants, les plus solides en amitié, de rester en contact téléphonique avec elle sans qu’elle ne leur dît quoi que ce soit sur sa situation.
Elle gardait certains de ses amours dans le champ de l’amitié et de la présence amicale par légère crainte du lendemain. Ou par désir de meubler quelque chose de profondément vide. Ou parce que couper n’avait aucun intérêt dans l’équation vie-temps-mort.
Elle les appelait « Mes hommes » en son fort intérieur et savait pouvoir compter sur eux, ne serait-ce que symboliquement. Il y avait eu du corps, des sentiments, quelque chose de profondément humain et surtout une conscience philosophique de la vanité de la vie. Assez tôt chez elle et ensuite chez eux, parce qu’elle en materna pas mal quand le désir s’émoussait et qu’il fallait créer du neuf.
Ismahane, un personnage de corps, évidemment. Et de conscience philosophique. Mais surtout de volonté réfléchie qui fit, du plaisir des sens, une ligne de vie fondamentale.
Chapitre 4.
Début du protocole. Des protocoles. Lourds. Les médecins, même quand il s’agit de proches, veulent inopinément, du jour au lendemain, exprimer leur méconnaissance. Préférentiellement, faire appel à un mélange d’irrationalisme et de superstitions. Ce n’était pas à l’ordre du jour. Le monde d’Ismahane était carré, elle en avait dessiné les contours, assez tôt.
Ismahane, la guerrière des sens, l’aimée, l’amante, la passionnée, l’hédoniste.
Le corps ne remplissait plus ses fonctions épicuriennes. Et le mordant prit un coup imparable sur la tête. Ismahane choisit d’alimenter la gourmandise, l’esprit de revanche. La lutte armée. Hélas, il y avait les humeurs, les flux … Elle leur trouva une solution de réparation et, toujours dans le silence, continua à contrer ; à essayer de contrer, à vrai dire.
Il y a dans la solitude de l’ébranlé, de celui qui admit avec force sa précarité existentielle, une solitude double, profonde, peut-être même à étages, fantasque, capricieuse … Le chèque en blanc fait son revirement, l’heure de l’aléatoire, l’ascenseur peur-panique-indifférence-rage …
Faire l’amour tous les jours restait une option pour dire m… à la vie. Mais quand les odeurs chimiques s’exhalent ? Quand un sentiment de vide emplit l’espace intérieur ? Mais qu’est-ce que cette machine à liquides puants ? se disait-elle, rageusement.
Quand le glas de l’incertitude sonne, s’installe un kaléidoscope d’impressions et de sentiments. Oscillation entre rationalisme et puérilisme. Le corps attendra. Peut-être.
Ismahane choisit d’arrêter une stratégie de survie. Celle du condamné à mort. Suivre les protocoles, discuter les dosages et surtout sourire au restant de ses jours, à défaut de sourire à la vie. Le doute s’étant infiltré, elle n’avait pas toujours la possibilité d’agir dessus. Alors ce sera les options rires, être belle et élégante, sortir, trinquer et surtout n’en rien dire.
Selon l’énergie à disposition. Selon l’énergie fabriquée. Inflation ou pas. Le mal s’étant invité chez elle.
Elle regarda longuement Farid* et lui dit d'une voix pleine de promesses de bonheurs à venir :
Notes explicatives :
Farid : Prénom égyptien signifiant rare.
Fell : Jasmin dit oriental ou d’Arabie, mais carthaginois en réalité.