À l’ombre d’un regret. Quelque part entre chien et nuit. L’intention ferme de me déserter une fois de plus, me livrer aux aboiements crépusculaires. Un banc, ma posture. Mon litron se gausse du réverbère qui fait le tapin en bordure de trottoir. L’ampoule cligne fatiguée ; l’automobiliste volage qui carbure au remords intarissable n’y prendra même pas garde. Je me lève pour regagner mon ombre.
Fleur de bitume, ce sont toutes mes racines qui étouffent à la vue de personne. Une prise de terre dans le recoin d’une ruelle coupe-gorge, située dans l’épicentre de mon cœur. Loin des opulents boulevards, mes artères camées sommeillent grassement, la tête sur les économies de mes peurs.
Rien ne sert de chialer, il faut souffrir à point. Alors avant que mon monstre quémande sa pitance, j’ai erré la populace tardive des quartiers malfamés. Tenter d’échapper à ma clandestinité, en étant merdeux parmi les merdeux, un et indivisible. J’arpente la 8 ° 6 qui converse mentalement avec son ivrogne, la traînée qui panse sa chatte de promesses qu’elle ne tiendra pas. Je passe les jeunes prostitués qui n’auront pas su vendre leur cul pour une once d’autodestruction supplémentaire. J’évite les braqueurs-héroïnomanes comme moi sans Dieu ni lois, si ce n’est ce putain de poison qui permet à lui seul toutes les échappées. Toutefois la voie céleste est semée d’embuches. Il se dit que « Jake » a sodomisé le chiwawa de sa vieille sur la machine à laver en mode essorage, qu’elle lui a craché toutes ses dernières économies à la gueule. Qu’elle aurait, suite à cet incident, remplacé les serrures de son deux pièces. Changer de rejeton aurait été plus adéquat, mais l’on pardonne tout au diable, lorsqu’on l’a mis au monde. Les larmes de la maternelle à Jake c’est comme le formol dans la vie des damnés. Depuis, les autres se foutent de lui, disent « que sa vieille a investie dans des hamsters. Moins coûteux, puis ça n’avale pas, c’est toujours ça qu’il n’aura pas ce fumier de Jake ».
Je les évite les junkies, car dans leurs regards, il y a moi, paumé en eux. Il y a tous nos bidonvilles d’espérances, bâtis sur tout notre dépotoir agonisant. Il y a la mort nous amputant des décennies consanguines qui nous sépare d’elle. Il y a enfin, toute une peuplade de rêves défoncés qui frappent lourdement sur les tôles froissées de notre cerveau.
J’ai fait du lèche-vitrine devant un grand restaurant, bavé comme un porc sur la réalité des couples illégitimes. Je convoite leurs engueulades, nourries par le manque d’audace de l’un ou l’autre. Je les envie car il leur reste au moins encore quelque chose à bousiller ; et ils s’y emploient avec panache.
J’arpente le sentier de mon cul-de-sac. Une terre battue par ma noirceur, se recueillant aux abords de mon charnier de pensées démembrées. Je suis mort avant d’être né, et le dégoût du quidam n’y changera rien. Son silence, une desserte garnie des plus fins mépris : la place du pauvre, que l’on dresse en priant qu’il ne s’installe jamais à sa propre table. À bien y réfléchir, je ne peux en vouloir à personne de détourner le regard. Comment faire face au produit périmé d’une société de consommation ? La honte et la crasse, ça couperait l’appétit à n’importe quel bourgeois. Tout le monde a toujours été prêt à accueillir ce qui ne viendra jamais frapper à la porte de son égoïsme. L’idéal s’engage à sauver ce qu’il refuse d’avoir sous la main, à portée de conscience ébréchée.
Je vais me poser à l’Arizona Dream, tenu par Momo. Un repaire de brigands, de renégats des temps modernes. Un jour, un corbac cravaté était venu se saouler pour oublier qu’il était cocu. Nous comprenions à l’échange, que Momo n’avait jamais vu le film éponyme de son cloaque. Il n’y a rien de plus chiant qu’un intello qui se déchire au bar. Il n’y a rien de plus drôle que des parasites qui assistent à un ramassis de conneries. C’est ainsi que Tonio avait balancé une vanne cinglante pour relancer l’ambiance « “garde donc Heckel qu’a perdu sa Jeckel sortir sa science, alors que l’aride zona trime ! ». Éclats de rire et huées. Momo n’a pas bronché, il a continué de s’astiquer les verres solitaires. Le corbac a coassé et Tonio l’a sorti pour qu’il piaille un pater noster sur sa propre tombe entre deux containers, dans l’arrière-cour des Asiates » d’à côté.
Mon alcool commandé se dissout dans mes veines, sans pouvoir couvrir la menace qui bouillonne. J’ai le plein d’héro sous cape. Demain, c’est jour de grande distribution, « la semaine du blanc » comme dirait ce con de Tonio. Le paradis est au paumé, ce qu’est le quinté+ dans l’ordre pour les smicards : Saint Pierre est un putain de capitaliste qui marche au bakchich, il faut le savoir.
Je me rue aux chiottes pour faire ce que Momo n’a jamais voulu voir dans le cristal de ses verres.Je me charge la voie rapide pour battre de nouveaux records, le futal en bas des chevilles. Je trône sur la crête d’un plaisir sans nom. J’oublie mon arrière-train qui épouse la pisse et les poils de couilles du rebord des chiottes. Ça fuse comme un lévrier, courant après un putain de lapin sur une rambarde de sécurité de l’A6. Trop vite, j’angoisse, des rats couinent sous mon cul, j’ai peur qu’ils me bouffent les testicules alors je me laisse tomber au-devant. Je rampe pour m’accouder aux chiottes, l’envie de gerber sur ces saloperies de bestioles. J’entends ma mère m’insulter de nuisible, je sens la pression de ses doigts sur ma nuque pour me faire goûter au crépi de la faïence : « t’aimes ça la merde enfoiré, viens voir papa ton sac à foutre barboter avec les rats » ; je ne comprends plus, ils sont morts il y a si longtemps. Les voix se distordent, frappent à grand coup de gourdin sur ma conscience, je sens la décrépitude, sûrement mon père qui se torche son mépris sur mon ultime dignité, le noir me cerne. Exit.
Tonio dira quelque jour après qu’il ait trouvé un nouveau fournisseur :
– J’ai toujours su que Blanche neige avait le cul merdeux. Elle lui a quand même bien tiré la chasse à sa putain d’âme. Tournée générale… à la mémoire de Fleur de bitume.