Les grandes vacances se sont évanouies sans que je ne m'en rende trop compte, occupé que j'étais, à turbiner en tant qu'étudiant au Delhaize de Lessines et ensuite, avec les sous gagnés, à vagabonder dans le sud de la France avec les copains. Cet été-là, Martine aussi travaillait, elle, chez un marchand de livres par correspondance. C'est sûrement parce qu'elle lisait beaucoup qu'elle a pu trouver cet emploi mais, en ce temps-là, j'ignorais qu'elle était une grande lectrice ; de ses hobbies, je ne savais rien. Elle était muette. J'étais sourd. Ce n'est que maintenant, après avoir échangé avec certaines de ses amies de l'époque et après avoir laissé macérer durant plus de 40 ans les souvenirs, les questions, les espoirs, les amertumes, les incompréhensions, les mensonges, les faux-semblants, les photos, certainsmots, parfois terribles, que je la découvre un peu plus, que je nous découvre un peu plus et que je parviendrai, peut-être, à enfin fermer une porte laissée trop longtemps entre-ouverte. Je ne sais pas vous mais moi, je ferme les portes des placards, je ferme les portes intérieures de la maison, je ferme les cartons et les boîtes à biscuits. A 59 ans, j'ai besoin que les espaces soient clos, que les questions en suspens trouvent une réponse définitive, j'ai besoin de libérer l'alléger l'espace entre mes oreilles, j'ai besoin de tranquillité dans ma caboche.
Septembre et sa rentrée des classes se sont également déroulés sans accrocs et donc sans surprises, déjà tombés que nous étions dans une forme de routine pour, j'imagine, pouvoir nous adapter l'un à l'autre. Elle avait ses exigences de discrétion auxquelles je me pliais, moi, mon dilettantisme, qu'avec patience, elle subissait. Sans doute voulions-nous, presque à tout prix, tous les deux, poursuivre... Poursuivre quoi ? Poursuivre rien, juste poursuivre. Nous ignorions, surtout moi, la fadeur des perspectives du couple que nous formions. Finalement, cette relation mi-figue mi-raison devait nous convenir. Je veux dire qu'il nous paraissait nécessaire que nous fassions avec. Elle savait que je ne pouvais pas moins et je savais qu'elle ne pouvait pas plus. Nous nous entre-apercevions à l'école, nous sortions ensemble de temps à autre à l'occasion d'une surboum ou d'une fête d'anniversaire et parfois nous échangions des moments de tendrex.
Il y avait aussi sans doute un autre obstacle qui nous empêchait de franchir le cap, ce cap qui aurait peut-être pu cristalliser notre duo, la contraception. Nous étions à l'automne 1981, le sida n'existait pas encore vraiment pour nous, il venait à peine d'apparaître aux USA, le virus n'était pas même identifié. Du coup, les préservatifs n'étaient pas tendance du tout. Le seul mode de contraception dont nous parlions, nous les jeunes, c'était la pilule. Mais ça ne devait pas être simple pour une jeune fille qui allait à la messe tous les dimanches matins de la réclamer. Or maintenant et depuis peu, je sais qu'elle allait à la messe tous les dimanches matin... sans doute avec ses parents.