Pourquoi, aujourd'hui, ai-je encore le douloureux souvenir des images, des sons, des mots, des sensations, des parfums et des goûts, singulièrement celui des larmes ? Parce qu'une multitude de détails ont incrusté dans mon âme un reflet, celui d'une pureté, une ombre, celle d'un ange. Les ballerines de Martine, par exemple, en cuir bleu foncé, largement ouvertes sur leur partie supérieure, laissaient paraître sa peau opaline. Ajourées aussi au niveau de leur pointe, elles faisaient voir six ongles rose pâle minutieusement émaillés et alignés comme des petits jésus. Dotée, sur son côté extérieur, d'une petite boucle carrée argentée, que j'imaginais Martine fermer avec délicatesse le matin, une fine sangle solidarisait le pied à la chaussure en enserrant le bas de la cheville effilée.