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Ce matin là

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Ce texte participe à l'activité : Vous par un autre

Aujourd'hui semble être un grand jour. Vêtue d'un tailleur strict, les cheveux tirés en arrière, elle rejoint d'un pas souple la table où je l'attends déjà, fumant d'impatience.

Pas un sourire, pas un regard. Pas même le contact désinvolte de la main qu'elle pose habituellement sur moi, à peine assise. Aujourd'hui n'est pas un jour comme tous les autres. Le livre qu'elle pose sur la table, entre nous deux, restera fermé. Leçon américaines, d' Italo Calvino.

J'aime ces matins dorés, où elle entre échevelée, la marque de l'oreiller traçant encore des sillons sur sa joue. Elle me rejoint un livre à la main, Delivrances de Toni Morrisson ou La ferme aux Animaux d'Orwell, dont elle tourne impatiemment  les pages en me frolant distraitement...alors que j'attends le contact de ses lèvres.

L' appart est calme dans ses moments là, deserté par ses trois enfants, et bien que nous nous fréquentions depuis 20 ans au moins, un détail inédit me saute toujours aux yeux: Elle déteste répondre au téléphone le matin. Le moindre bruit l'agaçe lorsque le monde s'éveille. Elle a renoncé à la radio et à la télévision pour cela. 

Après sa lecture matinale et la consultation compulsive de ses mails et réseaux sociaux, elle se lance son activité freelance de chargée de projet, oubliant jusqu'à ma présence silencieuse, mais chaleureuse.

Aujourd'hui n'est pas un jour comme les autres: elle présente le livrable du projet sur lequel elle travaille depuis une semaine, sans certitude d'être entièrement payée. Dans ce secteur, elle ne cesse de me le répéter, la concurrence est rude et pour se démarquer, innover ne suffit pas: il faut également que le format de l'offre soit interessant. 

Elle se lève rapidement, range son ordi dans son sac à dos et enfile sa veste dans le même mouvement. J'ai à peine le temps de la saluer, et lui dire bonne chance. De lui dire que je l'aime.

Du moins à ma façon inanimée. Après tout, je ne suis qu'une tasse de café, refroidissant lentement.

 


Publié le 21/10/2024 / 15 lectures
Commentaires
Publié le 21/10/2024
C'est dommage ! C'était vraiment chouette, touchant, sensible, formellement perfectible, mais l'essentiel y était. Il y avait ces deux personnes. On les voyait comme dans le déjeuner du matin de Prévert. Pourquoi faudrait-il toujours surprendre avec un gros machin, un pelle de conducteur de train ? Le lecteur n'est pas nécessairement un abrutis. Tu l'as compris je dis toujours ce que je pense et je n'ai aucune compétence spécialisée dans le domaine. Au plaisir ! ;-) Déjeuner du matin (Prévert) Il a mis le café Dans la tasse Il a mis le lait Dans la tasse de café Il a mis le sucre Dans le café au lait Avec la petite cuiller Il a tourné Il a bu le café au lait Et il a reposé la tasse Sans me parler Il a allumé Une cigarette Il a fait des ronds Avec la fumée Il a mis les cendres Dans le cendrier Sans me parler Sans me regarder Il s’est levé Il a mis Son chapeau sur sa tête Il a mis Son manteau de pluie Parce qu’il pleuvait Et il est parti Sous la pluie Sans une parole Sans me regarder Et moi j’ai pris Ma tête dans mes mains Et j’ai pleuré.
Publié le 22/10/2024
Bah, là je ne comprends pas pourquoi le lecteur serait un abruti. Moi je trouve ça original de prendre le point de vue d'une tasse de café pour le défi soi-même comme un autre. Non seulement, c'est original mais surtout c'est amusant. Moi, à l'époque j'avais pris le point de vue de mon N+1 ce qui n'était pas littérairement élaboré mais thérapeutiquement cathartique. As-tu participé à cet atelier aussi? Si non, quel point de vue prendrais-tu pour te décrire comme un autre? Tout dépend de pourquoi on écrit, exercer sa plume? se mettre du baume au coeur? etc. Là d'un point de vue littéraire, je trouve la chute originale. Et puis, si on me parle d'Italo Calvino, d'emblée pour moi, ça part bien.
Publié le 23/10/2024
Merci Myriam...Italo Calvino aurait dû avoir au moins 2 vies. Revenir et écrire à nouveau. Aucun de ses livres ne m'a jamais déçu...je crois que cet homme s'est amusé toute sa vie, comme un gamin brillant et rieur, devant la page blanche :)
Publié le 21/10/2024
Bonjour un fils de Louis, tu as raison. Merci pour ton retour. Si on veut faire du neuf, c'est vers l'ancien qu'il faut se tourner. Rien ne se crée vraiment, rien ne se perd non plus: tout se transforme (Lavoisier). L'intertextualité est partout et les textes, au delà des auteurs, se répondent entre eux. Merci pour ce texte de Prevert.
Publié le 21/10/2024
Et bien moi je salue ton très beau texte, car ton écriture sait capter l’attention et la mener par le bout du nez car, connaissant l’objectif de l’atelier je savais qu’un autre était aux manettes mais très loin d’imaginer que ce serait un objet. Je trouve que ce point de vue épousé par ce qui tient éveillé et fait tenir est un parfait angle d’attaque pour, sur un texte très court parvenir à livrer énormément d’informations ; sur un fond intimiste, sur un ton sensible, sur une force et une détermination des plus fragiles. C’est tellement bien fait que je comprends la frustration d’un fils de Louis, mais elle tient au fait de coller avec la consigne de l’atelier. Je trouve et c’est un grand plaisir de le lire, que les livres ont une grande importance… dis moi ce que tu lis et je te dirais qui tu es. Dans « Gérer mes lectures » tu verras qu’il est possible de chroniqueur des livres, si tu as un peu de temps, ce serait avec grand plaisir que nous pourrions y découvrir tes recommandations et en plus ça débloque aussi des badges). À plus tard et encore bravo pour cette mise à nue réalisé avec classe.
Publié le 22/10/2024
Merci Leo pour ce retour. Les sujets de concours et des ateliers sont très bien pensés: ça facilite l'écriture un bon canevas. L'angle de vue est déjà donné: yapluka :) Mais j'attends avec impatience l'espace collaboratif car, vraiment, je ne sais jamais ce qu'il convient de développer. Ma plume est lacunaire: j'aimerai bien apprendre à développer ce qui doit l'être dans un texte. Bien que j'ai déjà publié 3 livres, c'est quelque chose que je ne sais pas faire. Aussi pour éviter les longueurs, je fais court. Des livres comme "La Perle" de Steinbeck ou "Shogun" de James Clavell sont des exemples de cette maitrise absolu du travail d'orfèvre dans l'écriture, de l'artisanat ciselé des mots, du "pas un mot de trop". Je sens que c'est le bon lieu pour apprendre à faire cela. Merci encore: Ce site est très bien organisé. Je ferai régulièrement des chroniques de livres.
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