Monsieur Le Juge d’Application des Peines du TGI d’I PAGINATION,
Avec douleur je prends connaissance des états d’âme qui animent toute notre communauté au sujet du cas « Astriate ».
Avant toute chose, un homicide même involontaire m’apparaît toujours d’une injustice criante : selon moi, il s’agit d’une injustice que l’on fait à soi-même tout en la faisant à un autre. Nul doute que le visage de cet enfant ainsi que l’odeur présente au moment de l’accident poursuivront Madame Astriate au détour d’une rue ou d’un carrefour toute sa vie durant. On n’a pas tous les jours vingt ans et l’on ne fauche pas tous les jours la vie d’un enfant de cinq ans.
Selon moi, il sera même probable que Mme Astriate ne puisse plus repasser par l’endroit même où l’accident aura eu lieu. Pour cette raison même, Madame Astriate me semble condamnée à un exil intérieur que la liberté ne lui rendra pas. Elle revivra probablement à l’infini cette réalité atroce. Pour rien au monde, je ne souhaiterais la liberté que nous lui accordons après une pareille trajectoire de vie.
Par ailleurs, rassemblés en jury populaire, peut-être avons-nous l’illusion de rendre ou non sa liberté à Madame Astriate. À mon avis, nous sommes victimes d’une illusion si nous pensons cela car nous ne possédons jamais ce pouvoir sur quelqu’un. Nous ne possédons en rien la liberté de quiconque : peut-être nous faudrait-il contrôler les pensées de quelqu’un pour lui rendre « la liberté » au sens ou peut-être nous l’entendons tous.
Monsieur Le Juge, si vous seul pouvez prononcer l’élargissement de Mme Astriate, vous ne pouvez lui procurer le soulagement d’avoir été jugée capable de ressortir. À lire son repentir sincère, son tribunal intérieur continuera de la poursuivre quel que soit votre verdict ou le verdict des autres jurés.
Aussi la question est-elle de savoir si Mme Astriate doit bénéficier d’une prison extérieure pour doubler sa prison intérieure.
À la lecture de sa lettre, je répondrai factuellement : Non. Non car depuis sa prison intérieure, Mme Astriate ne me semble plus constituer un danger pour l’extérieur.
Ainsi, j’insiste, rendre sa liberté de mouvement à quelqu’un n’est pas lui rendre son envie de vivre. Peut-être Madame Astriate aura-t-elle bénéficié d’un loisir studieux qui aura transformé son séjour en prison en une cellule de repentir. Quand je la lis, c’est ce que j’en comprends. J’ignore si la prison doit être un lieu d’une réflexion, je peux juste dire que fêter son vingtième anniversaire n’autorisait pas à faucher la vie d’un enfant de cinq ans et ne pourrait jamais constituer une excuse. La trajectoire de vie de la coupable n’excuse pas davantage cet accident, pas plus qu’elle ne la protège d’une récidive.
En somme, Madame Astriate sort libre de recommencer une vie dans laquelle les conditions d’une récidive ne seront pas réunies.
Pouvons-nous lui garantir la stabilité nécessaire pour empêcher toute conduite en état d’ivresse ? Nous ne le pouvons pas.
Monsieur Le Juge pour conclure, je ne peux que me prononcer en faveur de la libération de Madame Astriate. Cette libération n’ôtera rien à personne car l’injustice a déjà eu lieu et la peine purgée par Mme Astriate ne la réparera pas.
D’une manière plus prosaïque, on peut dire que la libération permettra juste à Mme Astriate de réfléchir dehors là où elle réfléchissait dedans.
En espérant avoir contribué au mieux à mon devoir de citoyenne en tant que jurée,
Je vous prie d’agréer l’expression de mes sentiments littéraires les plus élevés,
A.E MYRIAM.
AE. Myriam 2024
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