C'est pas la peine d'être gentil parce que c'est pas la gentillesse qui rend aimable.

PARTAGER

     Durant l'été 2020, sur l'insistance de Rosie et de Maurice, on a adopté un petit chat, une petite chatte en fait, l'un des chatons de la portée à naître qui nous avait été destiné via l'amie d'une amie. C'était prévu depuis tôt, alors, lorsque les petits sont venus au monde, Rosie est allée à leur rencontre, à Liège, et a choisi le plus noir de tous. Il lui avait tapé dans l’œil, j'imagine. Je n'y étais pas. Il ne nous rejoindrait qu'après son sevrage. On voulait que les choses soient faites dans l'ordre et dans le respect de la petite noirette qui nous accompagnerait pour de longues années pensait-on.

     Le moment venu, Rosie est allée la chercher. C'était la fête ici. Maurice et Rosie n'avaient d'yeux que pour cette merveille minuscule baptisée par celle qui l'avait tant espérée, « Nyx » .

     Elle était farouche. Dès notre première rencontre, elle m'évita. Je m'en foutais en fait qu'elle se foute de moi. Elle et moi cohabitions, sans plus.

     Elle a grandi petit à petit et a pris ses aises. De plus en plus familière avec Rosie, elle se rapprocha aussi de Maurice et de Luce, de moi, pas vraiment. Mais ça ne faisait rien. Je lui mettais des croquettes ou de l'eau dans ses écuelles comme un serviteur sert sa maîtresse, sans espérer le moindre témoignage de gratitude. Malgré tout, depuis deux ou trois mois, elle venait parfois se frotter subrepticement contre mon mollet et acceptait une ou deux caresses en se dirigeant vers son dîner.

     Comme tous les chats, elle passait pas mal de temps dehors. Quand elle estimait que le temps était venu de rentrer, elle s'installait sur le rebord extérieur devant la fenêtre, debout sur la pierre, très droite, très fière, la queue en l'air. Son cul écrasé contre la vitre était le signal et si j'étais celui qui le voyais le premier, j'allais lui ouvrir. Mais il fallait que je m'éloigne à plus de deux mètres de la porte pour qu'elle daigne entrer, d'abord doucement, avec méfiance, avant de foncer pour ne pas s'éterniser à mes côtés.

     Son sale caractère, je m'y suis habitué. Il faisait partie de la maison. Nyx était chez elle. Elle nous était devenue familière. Elle faisait partie de la famille. Elle était nous.

     Hier matin, Nyx n'est pas rentrée. Alors Luce s'est inquiétée. On s'est dit qu'elle était peut-être enfermée dans la cabane de jardin d'un voisin ou dans un grenier et qu'elle finirait par se libérer. Mais ce matin, toujours rien. Alors, après avoir rédigé un petit mot pour les voisins, accompagné d'une photo assez peu ressemblante, nous sommes partis l'imprimer. Lorsque nous somme rentrés, il était midi, trop tôt pour les voisins, trop tôt pour dîner.

     Du coup, nous sommes partis à la recherche de Nyx. Luce criait son nom de temps à autres. Durant une seconde j'ai eu l'impression qu'elle répondait. Mais non. Aucun écho. Les appels restaient vains. On s'enfonça dans l'impasse en regardant au dessus des clôtures des jardins. On découvrait ce que Nyx connaissait sans doute très bien.

     Une fois arrivés au bout, on a fait demi-tour et on a vu Marc, l'un de nos voisins, ancien éboueur et cultivateur à temps plein, toujours dehors à travailler. Il sait tout ce qu'il se passe. Alors, on lui a demandé s'il n'avait pas vu un chat noir. Il nous a répondu, désolé, sincèrement désolé, « C'est à vous ? Je l'ai trouvé hier matin. Je l'ai mis dans un sac. Je comptais le mettre à la benne mercredi. » Je lui ai demandé pour le voir. Il a ouvert le conteneur, en a extrait un sac en plastique orange et vert qui avait contenu de l'engrais. J'ai pris le sac et j'ai sorti Nyx toute raide. Elle n'avait pas la morgue que je lui connaissais mais quand même on distinguait encore sa fierté sur sa petite face noire malgré son museau entre-ouvert qui laissait voir ses dents ensanglantées.

     Et depuis ce midi, j'ai les larmes aux yeux a cause de cette bête qui ne m'a rien donné sauf peut-être une leçon, c'est pas la peine d'être gentil parce que c'est pas la gentillesse qui rend aimable.

     Et une seconde aussi. J'ai parfois entendu dire certains qu'ils ne voulaient plus d'animaux parce que ça leur faisait trop de peine quand ils s'en allaient. Je trouvais ça ridicule. Je les rejoins pourtant maintenant.

 


Publié le 16/02/2022 / 1 lecture
Commentaires
Publié le 16/02/2022
On va se fâcher là : on acquiert pas un chat ! Mais bon, sinon je comprends : l'un ne peut jamais remplacer l'autre et ça fait mal. C'est plus que bien ! - que les mots marquent leurs empreintes sur ces choses qui font nos vies. Merci fils de Louis - est-ce que je peux t'appeler autrement - parce ce que pour le coup c'est pas simple :)
Publié le 16/02/2022
;-) Avec grand plaisir je lirai d'autres mots de toi, précédés ou pas de Patrice. C'est mon prénom. Pour l'acquisition, je suis tout à fait d'accord. J'ai d'ailleurs failli changer la formule et puis je ne l'ai pas fait. j'aurais du. ;-) N.B. Je te donne décidément du fil à retordre avec mes pseudos. Pardon ! ;-)
Publié le 16/02/2022
Opération d'écriture réussie : que c'est dur à lire ! Aimer sans retour et souffrir de la disparition de cet amour.
Publié le 16/02/2022
"Aimer sans retour et souffrir de la disparition de cet amour" me fait venir les larmes aux yeux. Comme je suis content que ce récit ait pu toucher. Ce texte comme l'autre intitulé "reflex" ont été écrits à chaud juste après qu'un événement soit survenu dans ma vie. Je triche donc car c'est plus facile de faire un texte intense lorsqu'on trempe encore. ;-)
Publié le 17/02/2022
Il n'y a aucune triche. Les grands artistes sont ceux qui ont transformé une émotion intérieure insoutenable en œuvre d'art.
Publié le 16/02/2022
"Aimer sans retour et souffrir de la disparition de cet amour" me fait venir les larmes aux yeux. Comme je suis content que ce récit ait pu toucher. Ce texte comme l'autre intitulé "reflex" ont été écrits à chaud juste après qu'un événement soit survenu dans ma vie. Je triche donc car c'est plus facile de faire un texte intense lorsqu'on trempe encore. ;-)
Publié le 16/02/2022
on n'aime jamais sans retour ... :)
Publié le 16/02/2022
Nyx ne soit peut-être une illustration du contraire. ;-)
Publié le 16/02/2022
"L'enfer, […] c'est de ne plus aimer." (Bernanos)
Publié le 16/02/2022
J’aime beaucoup tes textes (je me permets le tutoiement), qui illustrent des tranches presque banales de la vie courante. Et pourtant ces scènes sont incarnées et narrées avec toujours beaucoup d’’authenticité, ce qui les rend spéciaux. Le vécu et le sens des détails comme dans ce texte et ce passage qui illustre parfaitement mon propos : “ Un moment j'ai eu l'impression qu'elle répondait. Mais non. Aucun écho. Les appels restaient vains. On s'enfonça dans l'impasse en regardant au dessus des clôtures des jardins. On découvrait ce que Nyx connaissait sans doute très bien.”. Il y a tour à tour le détail auquel tout le monde s’identifiera lorsque l’on a cherché une fois un animal que l’on souhaitait retrouver et dont on se persuade de pistes ou de sonorités faussées par le besoin de croire et pour conjurer le pire ; et puis aussi juste après, se mettre jusqu’à la place de cet animal qui nous manque pour s’approprier une part de son quotidien, là encore pour ajouter un peu d’espoir. L’universel qui rassemble, c’est ce qui rend le banal touchant et émouvant. Alors merci pour cette nouvelle tranche de vie, de mort, écrit en toute simplicité, même si ce n’est pas simple d’écrire ainsi.
Publié le 17/02/2022
que tu sois sensible à la simplicité de mon écriture. Fils d'ouvrier dans un bête village belge, en société, j'ai rapidement exhibé ma rusticité à Bruxelles ou dans les restaurants de Blankenbergh plutôt que de tenter maladroitement de la cacher comme l'a toujours fait ma mère. Autant assumer. Cavanna m'a ensuite démontré que c'est dans cette tonalité que l'écriture est la plus convaincante. C'est aussi vrai pour la musique, pour le théâtre et pour la danse. En ce qui concerne le passage que tu relèves, j'en étais content aussi sans trop savoir pourquoi. Ton regard argumente mon sentiment. ;-) Merci, Léo !
Publié le 17/02/2022
que tu sois sensible à la simplicité de mon écriture. Fils d'ouvrier dans un bête village belge, en société, j'ai rapidement exhibé ma rusticité à Bruxelles ou dans les restaurants de Blankenbergh plutôt que de tenter maladroitement de la cacher comme l'a toujours fait ma mère. Autant assumer. Cavanna m'a ensuite démontré que c'est dans cette tonalité que l'écriture est la plus convaincante. C'est aussi vrai pour la musique, pour le théâtre et pour la danse. En ce qui concerne le passage que tu relèves, j'en étais content aussi sans trop savoir pourquoi. Ton regard argumente mon sentiment. ;-) Merci, Léo !
Publié le 18/02/2022
Un texte qui me touche particulièrement, j'ai pour passion les chats.. Je les trouve fascinants. On ne leur impose rien, ils choisissent avec qui cohabiter, les moments de tendresse. Cela me rappelle mon petit chat Dexter, que nous avons cherché plus f'un mois et retrouvé au fond d'un puits. L'animal nous ramène à ce qu'il y a de plus naïf en nous. L'animal ne vous contraint à aucun jeu social. L'amour se niche où il le peut...
Publié le 18/02/2022
Je voudrais rendre hommage à nos amis les Belges qui possèdent ce que nous n'avons pas.. un sens absolu de l'autodérision..
Publié le 18/02/2022
L'authenticité, plus que la simplicité fait toujours mouche. Ne pas tricher ni surjouer l'émotion dans un texte, c'est à mon sens essentiel. Quelque soit le lexique utilisé où la forme des phrases, l'essentiel est de rester dans la vérité des personnages.
Publié le 18/02/2022
Merci beaucoup Fabien ! Authenticité, simplicité... On pourrait en débattre. A tout bientôt ! ;-)
Publié le 26/02/2022
"Elle était nous." Trois petits mots chargés d'une si intense émotion. Ils se suffisent, ils résument à eux seuls ce que l'on peut ressentir pour ces êtres, en dépit parfois de leur drôle de caractère. Une histoire pleine de sincérité, à la plume à fleur de peau. La perte reste l'inévitable coup d'épée au cœur. Merci Patrice.
Publié le 26/02/2022
Merci beaucoup pour tes observations. J'étais content de cette phrase. Je suis content que tu l'aies notée. ;-)
Publié le 12/02/2023
Un très beau texte qui m’a touchée parce qu’il décrit bien aussi l’attitude des chats et leur façon qu’ils ont de nous attacher à eux eux. La disparition de Nyx est triste et j’imagine très bien le chagrin que vous avez dû avoir… Merci
Connectez-vous pour répondre